Par Benoit Hamon, Député européen - mai 2006
L'ampleur de la crise que vit la France nous place
en état d'urgence démocratique. La France n'est pas en déclin, les
Français ne sont pas un peuple ingouvernable, rétif à toute autorité,
frileux devant les réformes. La démocratie française, en revanche, est
en crise, les Français ouvertement méprisés par ceux qui les
gouvernent. Le pouvoir est aux abois ; en son sein, tous les coups sont
permis ; le gouvernement a perdu toute sa légitimité et n'est plus
qu'un théâtre d'ombres décadent ; la droite abuse aujourd'hui d'une
autorité qu'elle n'est plus en capacité d'exercer, minée par les
règlements de comptes et les complots.
Tout cela pourrait n'être qu'un épisode de plus
d'une histoire républicaine avec ses hauts est ses bas, ses grands
serviteurs et ses petits profiteurs. Mais la rencontre d'une crise
sociale profonde et d'une crise démocratique sans précédent depuis le
début de la Vème République crée un cocktail explosif. Et ce d'autant
plus quand des apprentis sorciers allument les mèches : Nicolas Sarkozy
en provoquant par sa violence les émeutes dans les banlieues cette
automne, Dominique de Villepin en choisissant l'arbitraire du
licenciement sans motif et la précarité comme modèle social, le tout
patronné par un Président de la République, chef de l'exécutif,
barricadé dans son asile élyséen. Ce n'est pas par hasard que ce
Gouvernement-ci sombre ainsi ; ce n'est pas par hasard que ce
Président-là est ainsi compromis. Ils ont usé jusqu'au bout les
institutions de la Vème République, elle coule donc avec eux.
La situation sociale et l'incompréhension entre le
pouvoir et les Français sont telles que la crise de légitimité actuelle
met en danger la démocratie représentative. La situation exige
maintenant un sursaut démocratique, celui-ci ne peut venir que du
peuple ; il faut donc lui donner la parole. La démission du président
de la République, parce qu'il est le chef d'un exécutif devenu
illégitime, est aujourd'hui un impératif démocratique. Cette année
qu'il voulait utile, est rythmée par le CPE et l'affaire "Clearstream".
Ce n'est pas la première fois que Jacques Chirac fait l'inverse de ce à
quoi il s'était engagé. Mais l'étendue de la crise actuelle doit
conduire le pouvoir à vérifier sa légitimité auprès du peuple.
Les Français, et singulièrement les classes
populaires, ne sont pas les mauvais élèves d'un système à bout de
souffle, ils en sont les victimes. La situation actuelle met en exergue
ce que nous sommes nombreux, au sein du Parti socialiste, à dénoncer
depuis plusieurs années déjà : crise sociale et crise démocratique sont
profondément liées. L'ultra libéralisme conduit à priver l'immense
majorité de nos concitoyens, non seulement d'une vie décente, d'une
promesse d'avenir pour leurs enfants, mais aussi de l'exercice réel de
leur souveraineté.
Il est faux de dire, comme on l'entend trop
souvent, avec condescendance, qu'en l'état actuel n'importe quel
gouvernement serait confronté à des difficultés de même ordre, la
France étant, par essence, ingouvernable. La politique, et donc
l'action gouvernementale, ne saurait être neutre, le contenu et la
forme de gouvernement sont affaire d'engagements et de choix
politiques. L'on entend, avec cette même complaisance, que le Parti
Socialiste ne serait pas prêt, dépourvu de projet et trop pourvu de
candidats. Bien sûr, est-ce sans doute plus confortable de connaître
les règles du jeu avant la bataille et de fixer son propre calendrier.
Mais de quel poids pèsent ces considérations face aux réalités vécues
par nos concitoyens ? Le Parti socialiste doit être au rendez-vous
démocratique qu'exige aujourd'hui la situation politique de notre pays,
c'est sa responsabilité.
Le Parti Socialiste confrontée à la l'intensité de
cette crise n'a pas le droit de calculer. Il ne peut pas dire au
Président, "ressaisissez-vous ! Vous avez encore un an pour sauver
votre présidence". Il doit exiger la démission du Président de la
République et se préparer à parler aux français. Le décor de l'élection
présidentielle est posé depuis longtemps. Un an de plus n'y changera
rien. La gauche devra offrir un débouché à la demande politique née du
"non" au référendum sur le traité constitutionnel européen, de la crise
des banlieues, du mouvement contre le CPE et de l'asphyxie des
institutions de la Vème République.
La rupture s'impose aujourd'hui face à une fin de
règne qui n'en finit pas. Cette rupture indispensable n'est pas une
posture. Elle ne saurait être portée par celui qui, à droite incarne
toute l'action et toute la violence du gouvernement dont il est le
numéro deux, et le caporalisme du parti dont il est le numéro un. La
rupture n'est pas une question de nature, ni même de principe, elle est
acte de volonté, elle s'appuie sur un projet radicalement alternatif à
celui mis en œuvre depuis quatre ans. La rupture commence par appeler
le retour immédiat devant le peuple et se poursuit par l'affirmation
d'une authentique alternative démocratique et sociale. Elle s'incarnera
notamment dans un projet politique qui rende à chaque citoyen la
parcelle de souveraineté que les institutions de la Vème République
leur ont progressivement enlevé. La VIème république parlementaire
relève désormais de l'urgence démocratique.
Si la gauche manque à cette responsabilité
historique, rien n'empêchera la droite dure et l'extrême droite
d'achever l'œuvre commencée le 21 avril.
Benoît Hamon, Député Européen,
Secrétaire National du PS aux questions Européennes, Porte-parole du NPS
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