Certains pensent que la situation financière grecque ne regarde que la Grèce. D’autres voient même une question morale dans le risque de défaut de paiement du pays, sanctionnant des années de mauvaise gestion publique. Ils se trompent lourdement.
D’abord, nous n’en serions pas là si l’Europe avait pris les décisions qui s’imposaient après l’avertissement sévère de la crise financière de 2008. Mais de sommet en sommet, de déclarations en déclarations, aucune leçon n’en a été véritablement tirée pour éviter de nouvelles crises. Il est impératif, comme je le propose avec mes amis du Parti socialiste européen, d’accroître la régulation des produits hautement spéculatifs, de relever les normes en matière de capitaux propres des banques, de séparer les activités de dépôt et d’investissement, de revoir les normes comptables pour prendre en compte tous les risques, de créer une agence de notation publique sous l’égide de l’Eurogroupe, mais aussi une stratégie de croissance et d’emploi sans laquelle rien ne sera possible.
Et puis, aucun Européen ne peut accepter que nos amis grecs subissent ce que les Argentins ont vécu, dix ans durant, après la faillite de leur pays fin 2001. Il faut se souvenir des banques assaillies, des centres commerciaux protégés par l’armée, des émeutes et du désespoir profond de toute une nation : une telle réalité au sein de la zone euro signerait le terrible naufrage de la coopération européenne. Car, en Grèce, il n’est plus seulement question d’austérité, de récession, ni même d’économie, mais des conditions de la survie d’un peuple.
Chacun doit en avoir conscience : le défaut de paiement de la Grèce n’apaisera pas les tensions financières en Europe. Faute de solidarité et de lucidité, d’autres pays seraient amenés à subir à moyen terme le sort que nous aurions accepté pour nos amis grecs, le Portugal, l’Irlande, l’Espagne et l’Italie en tête. Aucun pays ne doit se sentir à l’abri. De grandes banques françaises, détentrices de titres grecs, pourraient peut-être aussi se trouver en difficulté. Et nous ne pouvons non plus laisser affaiblir notre principale protection financière qu’est l’euro. Il est probable que, sans l’euro, la France et bien d’autres pays européens auraient été confrontés, après 2008, à une crise spéculative majeure sur leurs monnaies isolées.
Enfin, la zone euro est aujourd’hui un pôle d’équilibre mondial entre des Etats-Unis incertains et d’autres grands pays dont la monnaie ne peut valoir refuge. Tolérer le défaut de paiement de la Grèce, c’est plonger le monde dans une crise bien plus grave qu’en 2008 - parce qu’alors les Etats eux-mêmes ne pourraient plus intervenir pour éviter le pire.
Notre soutien à la Grèce est donc une exigence de solidarité entre peuples, mais aussi un soutien à nous-mêmes, à nos emplois, à notre base productive et technologique, à nos territoires. Chaque Européen devrait se dire : les aider, c’est nous aider.
Au lieu de cela, nous assistons comme médusés à un concours d’atermoiements entre dirigeants de la zone euro, majoritairement conservateurs : la réaction de l’Europe a été trop tardive, trop timide et trop brutale. La crise grecque aurait pu être tuée dans l’œuf ; aujourd’hui elle s’étend ! Je note au passage que, en Grèce, c’est un gouvernement de droite qui a laissé les finances publiques se dégrader et que c’est un gouvernement de gauche qui doit aujourd’hui tenter de relever le pays. Je note aussi que la voix de la France n’est plus entendue. On aimerait qu’il existe un plan français entendu et respecté de tous !
La situation est suffisamment grave pourtant pour que la parole politique reprenne droit et impose des solutions aussi volontaires qu’efficaces. Nous devons dépasser les divergences de vue pour bâtir ensemble un plan de financement durable. Les solutions techniques existent, la volonté politique doit être à la hauteur de l’enjeu. Je propose une stratégie de sortie de crise qui repose sur quatre principes simples.
Le premier, c’est la solidarité : l’Europe doit stopper les attaques spéculatives contre la Grèce en assurant le refinancement durable de sa dette à des taux d’intérêts plus bas que ceux aujourd’hui consentis. Deuxième principe, c’est la responsabilité : les finances publiques doivent être assainies, les déficits et la dette réduits, c’est un devoir vis-à-vis des générations futures. Troisième principe, c’est la justice dans la répartition des efforts demandés. Le quatrième principe, c’est l’efficacité, et l’efficacité c’est trouver un chemin qui concilie croissance et réduction des déficits. Ne nous y trompons pas, il n’est de redressement possible des comptes sans retour de la croissance. Sinon ce qui est gagné d’un côté est perdu de l’autre : les dépenses se réduisent certes, les recettes, qui dépendent de la croissance s’effondrent et les comptes ne s’améliorent pas.
Pour contenir la contagion et permettre à la Grèce ainsi qu’aux Etats en difficulté de se refinancer, des mesures d’urgence s’imposent : maintenir le rachat par la Banque centrale européenne (BCE) de titres de dette souveraine des Etats attaqués ; adopter lors d’un sommet des chefs d’Etat et de gouvernement un plan clair global, crédible parce s’inscrivant dans la durée, afin d’accompagner la Grèce. Et ce plan devrait annoncer de nouveaux pas en avant dans des outils communs économiques, financiers et budgétaires. Concrètement, cela prendrait la forme d’un robuste fonds de solidarité financier européen, d’une émission d’eurobonds pour mutualiser une partie de la dette souveraine des Etats de la zone euro, de statuts rénovés de la BCE, et d’une taxe sur les transactions financières pour abonder le budget européen et faire participer le système financier au désendettement et au financement des investissements du futur - énergies renouvelables, transports, santé, biotechnologies, numérique… En matière monétaire, le temps d’une gouvernance partagée de la zone euro est venu, fondée sur le renforcement de l’Eurogroupe et la création d’un poste de ministre de l’Economie de la zone euro.
Redonner droit à la parole politique, ce n’est pas livrer le monde économique à l’arbitraire des marchés financiers - au contraire ! C’est briser la paralysie de l’Europe à un moment crucial de notre histoire, à l’heure où les assauts contre les pays dans la tourmente de la dette sont une agression contre la monnaie unique, et plus sûrement encore une attaque contre l’Europe, ses valeurs, son modèle, sa puissance dans la mondialisation. Comme les pères fondateurs, nous devons surmonter avec vigueur les susceptibilités entre gouvernements ou les rivalités entre nations. Pour dire fortement que ce ne sont pas les agences de notation qui doivent définir l’avenir des nations. L’Europe est adulte pour faire valoir ses décisions face aux marchés : encore faut-il qu’elle en prenne une…
Je n’imagine pas que la politique du pire l’emporte chez les dirigeants européens. Dans notre monde plus incertain, l’Europe nous protège. A condition de toujours la renforcer, ce qui suppose de la doter d’un nouveau projet et pas seulement de compliquer un peu plus ses procédures.
Nous devons aux peuples européens d’anticiper sur le changement de modèle économique, qui de toute façon s’imposera à nous avec une nécessaire justice dans les efforts à réaliser et avec les contraintes énergétiques et climatiques. Nous devons aux peuples européens une Europe plus solide : plus solide parce que plus solidaire.
Photo : Mathieu Delmestre
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