Les femmes et les hommes des Lumières ne doutaient guère que la mobilisation de l'intelligence humaine, de la science et de la technique assurerait un progrès de la prospérité des nations et des conditions du bonheur de l'humanité. Les luttes sociales en étaient, à défaut, une garantie. Or qu'entend-on aujourd'hui ? Que la gravité de la crise et les périls qui s'accumulent exigent de chacun des sacrifices, des abandons d'avantages conquis grâce au progrès et à la mobilisation de nos pères. Tout optimisme du progrès serait devenu caduc, l'homme aurait cessé d'en être le bénéficiaire pour devoir se mettre au service d'une logique techno-scientifique et financière dont toute finalité humaniste a été gommée.
C'est ce qui explique en partie la suspicion générale en laquelle nos concitoyens tiennent la notion de progrès. Elle renvoie en effet l'image d'un espoir déçu, puisque nos contemporains sont, à l'inverse de leurs prédécesseurs depuis le temps des Lumières jusqu'au XXe siècle, enclins à penser que leurs enfants et petits-enfants connaîtront des conditions d'existence moins favorables que les leurs. De plus, un développement technique et économique dépourvu de finalité autre que le développement lui-même et la création associée de valeurs numéraires fait peser une menace sur l'environnement et tend à accroître les inégalités plutôt qu'à les réduire. Une société du "toujours plus" ou le quantitatif étouffe la question de la qualité des conditions de vie, ici et maintenant, au loin et pour les générations futures, n'incite en effet guère à l'optimisme. Si on ajoute à cela les craintes ressenties d'un progrès techno-scientifique peu soucieux de la dimension humaine, on comprendra le peu d'appétence des citoyens pour ce concept.
Nos sociétés sont en crise, la crise du progrès en constitue l'une des facettes. Et pourtant ! Quel bel idéal que celui de mobiliser la raison et la créativité humaines au profit des siens et des autres. Tout dans le passé démontre que c'est possible, à condition de s'en fixer l'objectif. La magnifique épopée du pasteurisme et de la médecine, l'éducation dispensée par les "hussards noirs" de la République en témoignent entre maints autres exemples. C'est par conséquent un progrès sans projet humaniste explicite, y compris écologique, qui a cessé d'être crédible, non pas l'ambition collective de mobiliser les efforts afin de créer un monde plus accueillant.
Une telle ambition est une condition essentielle pour affronter la crise. Il ne sera en effet pas possible de mobiliser l'énergie des citoyens dans le but de sauver un système de cupidité sans limite utilisant les découvertes de la science et les outils techniques et financiers pour aggraver sans fin les inégalités et endommager la planète. En revanche, les femmes et les hommes ont démontré dans l'histoire qu'ils savaient accomplir des prodiges dans le but d'édifier la société de leurs voeux, quels que fussent les adversaires à vaincre.
Sans enthousiasme d'un progrès refondé, humaniste, il n'y aura pas de victoire durable sur la crise dans laquelle se sont enfoncés la plupart des pays développés. Sans analyse lucide et dépourvue de complaisance des mécanismes qui conduisent à la grave crise et identification des responsabilités en cause, il n'y aura pas de plan crédible pour en sortir de façon durable.
Réalisme, ambition, humanisme et progrès sont, par conséquent, des mots-clés de l'action de la ou du futur(e) président(e) de la République. Martine Aubry est la seule des candidat(e)s à l'élection présidentielle à se les être appropriés, c'est pourquoi j'appelle tous ceux qui partagent ces valeurs et ces objectifs à la soutenir.
Axel Kahn, généticien, président de l'université Paris-Descartes
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