Un mois après le séisme des élections municipales, le nouveau premier secrétaire du Parti socialiste publie le 30 avril L'Europe sous la menace national-populiste. Un cri d'alarme : Jean-Christophe Cambadélis décrit la France comme « le maillon faible » et pronostique une course à trois PS-UMP-FN pour le second tour de la présidentielle de 2017.
Le soir du premier tour des municipales, Marine Le Pen annonçait l'avènement du tripartisme en France, un tripartisme PS-UMP-FN. Or, c'est aussi la thèse que vous défendez dans votre livre. Qu'est-ce qui vous pousse à dire cela ?
Jean-Christophe Cambadélis : De scrutin en scrutin, le FN s'installe dans la vie politique, porté par l'idéologie dominante qui consiste à prôner l'identité plutôt que l'égalité, la purification culturelle et la chasse à l'anti-France. Cette idéologie imprègne toute la droite. On voit bien que l'UMP est tenaillée entre l'idée de voler le feu national-populiste au FN et celle de rester sur des principes classiquement républicains voire gaullistes.
Les questions d'identité, d'insécurité, d'immigration ont pris le pas sur tout le reste. Elles sont au coeur de la concurrence qui se joue à l'intérieur de ce parti et entre ce parti et le Front national. J'ajoute que cette idéologie dominante gangrène tout le pays : pour se développer, le FN a produit et se nourrit de l'idée d'une France dépassée, dépressive, dépravée. Plus le FN progresse, plus il déploie la ligne mortifère d'une France qui s'effondre.
Vous annoncez « une lutte à mort » en 2017 entre les trois partis…
Oui, car l'un d'entre eux ne sera pas au second tour de la présidentielle et cela conduira dans les trois cas à un séisme politique. Si c'est le FN, on dira que la stratégie de la banalisation voulue par Marine Le Pen a conduit à son élimination. Si c'est l'UMP, le choc sera terrible et le débat féroce entre ceux qui voudront se rapprocher de Marine Le Pen et les autres. Si c'est le PS, avec un président sortant, les tensions que nous vivons aujourd'hui autour du plan d'économies seront démultipliées et comme il reste encore dans le pays une force radicale à gauche, le PS se retrouvera dans la même situation que la SFIO moribonde.
Il y a une vingtaine d'années, vous étiez à l'origine du « Manifeste » contre le FN. Désormais, vous actez un tripartisme installé. N'est-ce pas le signe de l'échec de la gauche face au FN ?
Si, l'échec est total. Nous avons surestimé la scission intervenue en 1999 au FN, sous-estimé la banalisation et nous n'avons pas compris le phénomène national-populiste sur le continent européen. Plus grave, nous continuons de commettre une erreur d'interprétation : le FN n'est pas un parti fasciste voire nazi comme il en existait dans les années 1930, même si on trouve des points communs comme la haine de l'immigré. Le FN n'est pas hors les murs de la démocratie, il est en marche. C'est un parti médiatique, une petite entreprise familiale qui dispose d'une certaine hégémonie sur le Net et dont l'ambition est de démolir la République en créant l'apartheid. Son projet est beaucoup plus dangereux qu'un fascisme sépia. Revendiquer la préférence nationale, demander la purification culturelle, exiger que « les Français de souche » soient supérieurs aux « Français de papier », c'est créer les conditions d'une guerre civile entre les communautés.
Pourquoi le PS est il autant sur la défensive ?
Il n'a pas pris la mesure de notre époque. Il fonctionne toujours sur de vieux logiciels. Du coup, il est incapable de faire le récit de ce qu'il fait et d'en donner le sens. Notre sémantique est devenue effroyablement technocratique. Nous donnons l'impression d'un entre-soi qui écrase la politique. Franchement, que signifie pour les Français la politique de l'offre et de la demande ? Il faut faire redescendre la gauche dans le peuple car aujourd'hui le Parti socialiste donne l'impression de ne s'occuper que de lui-même.
Vous décrivez, plus largement, une Europe rongée par « le national-populisme ». Sur quoi vous appuyez-vous ?
J'ai été estomaqué d'entendre Geert Wilders, le chef du PVV d'extrême droite aux Pays-Bas, répéter par trois fois à la fin d'une réunion publique : « Vous trouvez qu'il y a trop de Marocains ? On va s'en occuper ! » C'est mot à mot ce que disait Goebbels des juifs ! Ce national-populisme s'appuie sur la xénophobie d'un monde occidental qui constate qu'il a perdu son hégémonie sur le reste de la planète.
Il se nourrit aussi de « l'ordo-libéralisme » de Berlin et de Bruxelles, cette lecture hémiplégique des traités européens. La stabilité s'est transformée en austérité, jetant des milliers de gens dans la rue et des centaines de milliers dans la plus extrême pauvreté. Continuer comme ça est totalement suicidaire.
Vous appelez à revoir les critères de Maastricht, vous contestez la règle du 3 % de déficit public au moment où Manuel Valls affirme au contraire s'y conformer. La gauche n'est-elle pas devenue complètement schizophrène ?
Pas du tout, nous sommes complémentaires. Le gouvernement respecte les traités, c'est bien le moins ! S'en émanciper provoquerait une crise qui ne résoudrait rien. Mais le PS doit se battre pour pousser une nouvelle majorité au Parlement qui les dépassera. Ce chiffre de 3 %, arrêté avant les années de crise, a perdu toute pertinence dans la situation actuelle.
Comment espérez-vous vous faire entendre après le désastre des élections municipales ?
Je pense que les Français ne se tromperont pas de colère. Le sujet de l'élection européenne n'est pas Paris, mais Bruxelles. Si la majorité devient progressiste au Parlement européen, alors le président de la Commission européenne sera progressiste. Les électeurs peuvent changer le cours de l'Europe.
Comment expliquez-vous l'extrême tension qui se manifeste entre le gouvernement et le PS ?
Le traumatisme post-municipal a été très brutal. En outre, la fronde se nourrit de multiples facteurs, certains politiques, d'autres organisationnels. Les socialistes ont besoin que le gouvernement les écoute. Et ils veulent retrouver le sens de leur action.
De nombreux rendez-vous délicats sont prévus cette année : vote du collectif budgétaire cet été, vote du budget à l'automne, faut-il s'attendre à une fronde perpétuelle contre la politique économique ?
Le rôle du PS n'est pas d'être la courroie du gouvernement mais de peser pour la sortie de crise… Donc, à chaque étape, il faudra du dialogue mais du dialogue pour converger car nous sommes condamnés à réussir : si nous échouons, c'est le PS et la gauche qui seront remis en cause.
Plusieurs milliers de militants socialistes ont signé ces derniers jours un appel « pour une autre politique ». Comprenez-vous cette fronde ?
Ne commençons pas à nous envoyer des pétitions à la figure. C'est médiatiquement intéressant mais politiquement nuisible. Nous avons des instances, utilisons-les pour débattre.
Comptez-vous sanctionner les députés PS qui voteront contre ou s'abstiendront mardi 29 ? Demandez-vous leur exclusion ? Leur démission ?
Je ne veux pas brandir de menace mais j'insiste : personne n'a intérêt à s'enfermer dans une posture qui deviendrait une impasse. Si à chaque vote, des élus socialistes votent contre, on n'est plus dans une défiance plus ou moins organisée, mais dans une sécession. Or, personne n'avance d'arguments qui laisseraient présager l'envie d'un rapprochement avec Jean-Luc Mélenchon. Donc calmons-nous. Je suis persuadé que nous pouvons surmonter le trauma municipal et retrouver un certain plaisir d'être de gauche.
Quelle est votre ambition à la tête du PS ?
Lui redonner une identité lisible mais pas dans des débats académiques, dans un dialogue avec notre électorat, à travers les états généraux. Egalité réelle, liberté ordonnée, fraternité laïque. Dès qu'on identifiera le PS à ces trois questions, nos électeurs ne nous bouderont plus.
Commentaires