L’Assemblée nationale a adopté cet après-midi le projet de loi constitutionnelle de protection de la Nation. Il revient désormais au Sénat d’examiner le texte. Comme c’est le cas pour toute révision constitutionnelle, les deux assemblées devront voter le texte en termes identique. Le Gouvernement a annoncé qu’il sera ensuite soumis au Parlement convoqué en Congrès. Pour être approuvé, le projet de révision devra réunir la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés.
J’ai voté en faveur de ce projet de loi de révision constitutionnelle pour deux raisons. L'inscription de l'état d'urgence dans la Constitution, alors qu'il n'est prévu actuellement que par une loi de 1955, est une bonne chose car nous prévoyons qu'il soit mieux encadré et sous contrôle parlementaire, et il sera plus difficile à modifier et renforcer. C’est une protection des libertés en période de crise. La seconde est que nous avons, en commission des lois, réécrit l'article 2 sur la déchéance de nationalité. Il n'y a plus de référence à la binationalité et donc plus de caractère discriminatoire. De plus, il sera possible, aux juges chargés des affaires terroristes, de prononcer cette déchéance ou de priver le condamné d'une partie des droits liés à la nationalité, à l’issue d’un procès contradictoire et uniquement pour les actes terroristes les plus grave, que ce soit des crimes (comme les attentats du 13 novembre) ou des délits terroristes (comme le financement des attentats ou la complicité dans leur réalisation). Je sais le caractère symbolique, et donc l'efficacité relative, de cette mesure mais elle me semble justifiée pour celles et ceux qui se battent contre la République et ses valeurs. Je sais aussi combien il faudra être vigilant sur les lois d'application qui ne seront examinées que si la révision va au bout du processus, c'est à dire avec une majorité des 3/5e au congrès.
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Présenté au Conseil des ministres du 23 décembre dernier, un peu plus d’un mois après les attentats terroristes qui ont frappé notre pays dans la soirée du 13 novembre, le projet de loi constitutionnelle comporte deux articles qui suscitent de très nombreux débats. L’article 1er constitutionnalise l’état d’urgence. L’article 2 étendait, dans la version initiale du texte, la possibilité de déchoir de la nationalité française des personnes nées françaises qui détiennent une autre nationalité et qui ont été condamnées pour un crime constituant une atteinte grave à la vie de la Nation.
Comme je l’ai écrit sur mon blog le 1er février (http://www.olivierdussopt.fr/blog/2016/02/r%C3%A9vision-constitutionnelle-des-avanc%C3%A9es-en-commission-des-lois-qui-restent-%C3%A0-confirmer-en-seance-.html), je suis favorable à la constitutionnalisation de l’état d’urgence.
Alors qu’il est le régime de circonstances exceptionnelles le plus fréquemment utilisé sous la Ve République, il est le seul à ne pas être inscrit dans la norme juridique la plus haute. Au regard de notre hiérarchie des normes, la non constitutionnalisation de l’état d’urgence est une anomalie.
En outre, sa constitutionnalisation constitue également un rempart contre sa banalisation ou d’éventuels recours excessifs. En effet, contrairement aux craintes qui ont pu être exprimées, l’introduction de l’état d’urgence dans notre loi fondamentale renforce l’encadrement juridique de ce régime. Une fois inclus dans la Constitution, il faudra une réforme constitutionnelle et non un simple projet de loi ordinaire pour modifier les conditions permettant de recourir à l’état d’urgence.
Le travail de la commission des Lois a été confirmé en séance publique. Le contrôle parlementaire de l’état d’urgence, qui a aujourd’hui une valeur législative suite à la loi du 20 novembre 2015, est dorénavant inscrit dans la Constitution : « L’Assemblée nationale et le Sénat sont informés sans délai des mesures prises par le Gouvernement pendant l’état d’urgence. Ils peuvent requérir toute information complémentaire dans le cadre du contrôle et de l’évaluation de ces mesures. Les règlements des assemblées prévoient les conditions dans lesquelles le Parlement contrôle la mise en œuvre de l’état d’urgence. ». Pour rappel, ce contrôle parlementaire permet d’évaluer la pertinence des mesures adoptées et de formuler, le cas échéant, des recommandations.
Concernant l’article 2, le compromis dégagé en commission des Lois a été intégré dans le projet de loi constitutionnelle. La rédaction de l’article 34 de la Constitution retenue est la suivante : la loi fixe les règles concernant la nationalité « y compris les conditions dans lesquelles une personne peut être déchue de la nationalité française ou des droits attachés à celle-ci lorsqu’elle est condamnée pour un crime ou un délit constituant une atteinte grave à la vie de la Nation ». La référence à la binationalité a donc été supprimée. C’était une demande portée par de nombreux députés.
Comme je l’écrivais dans mon article du 1er février, l’article 2 est vraisemblablement celui qui divise le plus. La déchéance de nationalité est dans notre droit depuis plus d’un siècle. Aujourd’hui, l’article 25 du code civil permet de déchoir de la nationalité française, par décret pris après avis conforme du Conseil d’État, un individu qui a acquis la qualité de Français et qui dispose d’une autre nationalité « s’il est condamné pour un acte qualifié de crime ou délit constituant une atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation ou pour un crime ou un délit constituant un acte de terrorisme ». Il faut préciser que la déchéance n’est encourue que si les faits reprochés à l’individu en question se sont produits soit antérieurement à l’acquisition de la nationalité française ou dans le délai de quinze ans à compter de la date de cette acquisition.
Pour connaître la portée exacte de l’article 2, il est nécessaire de prendre en compte les annonces du Gouvernement relatives au projet de loi d’application de l’article.
La déchéance de nationalité mais également la déchéance des droits attachés à la nationalité, qui n’était pas prévu dans le projet de loi constitutionnelle initial, deviendront des peines complémentaires aux peines déjà prévues pour les crimes et délits constituant une atteinte grave à la vie de la Nation. Les droits attachés à la nationalité devraient vraisemblablement être le droit de vote, le droit d’éligibilité, le droit d’exercer une fonction juridictionnelle et le droit d’exercer une fonction publique ou un emploi réservé aux nationaux et aux ressortissants d’un État membre de l’Union européenne.
Ces peines complémentaires, et c’est une avancée, seront prononcées par le juge judiciaire dans le respect des procédures judiciaires habituelles. La déchéance de nationalité est aujourd’hui une décision administrative prise par décret après avis conforme du Conseil d’État Seront concernées les personnes disposant d’une autre nationalité que la nationalité française mais également les personnes ne disposant que de la seule nationalité française. Il n’y aura donc pas de distinction entre les Français condamnés pour un crime ou un délit constituant une atteinte grave à la vie de la Nation, qu’ils soient « mono-nationaux » ou binationaux. Le corollaire cependant sera que le juge pourra rendre un Français apatride.
L’article 2 dans sa version adoptée par l’Assemblée nationale et les annonces du Gouvernement relatives à l’application de cet article ont donc levé certaines de mes réticences. Et quand bien même je n’ai pas appelé de mes vœux l’extension de la déchéance de nationalité, j’ai décidé de voter en faveur de la révision constitutionnelle.
Je conclurai en soulignant que le travail parlementaire se prolongera, une fois que le Sénat aura examiné le texte et que le navette parlementaire aura permis d’avoir un texte identique tant à l’Assemblée et qu’au Sénat pour que le Congrès puisse réviser la Constitution avec une majorité de 3/5e, avec l’examen des deux projets de loi d’application de la révision constitutionnelle. L’élargissement des mesures de police administrative prévu par le projet de loi d’application de l’article 1er devra être regardé avec attention, l’état d’urgence devant rester un régime temporaire et respectueux autant que possible des libertés individuelles. La gradation des peines et le nouveau rôle du juge judiciaire proposés par le projet de loi d’application de l’article 2 devront être défendus. Le périmètre des crimes et délits concernés et celui des personnes pouvant être déchues de leur nationalité feront l’objet à coup sûr de longues discussions.
Je serai extrêmement vigilant lors de l’examen éventuel de ces deux lois d’application afin qu’aucune des avancées obtenues ne soit remise en cause et que rien de discriminatoire puisse être introduit. De même, je veillerai à ce que l’engagement pris de ratifier la convention de 1961 visant à la réduction de l’apatridie soit respecté.
La déchéance de nationalité ou des droits qui lui sont attachés est une peine avant tout symbolique. Je sais pertinemment qu’elle sera extrêmement peu appliquée.
C’est avant tout une réponse, celle de la communauté nationale et de la République face à celles et ceux qui s’attaquent aux intérêts fondamentaux de notre Nation, à nos valeurs, et qui – en réalité – rompent eux-mêmes le lien qui les attache à la communauté nationale et à la République. Ce sera finalement plus le constat de cette rupture que l’exclusion qui sera prononcé.
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