Patrimoine : nos trésors méritent une décentralisation aboutie
On ne le dira jamais assez, le patrimoine n’est pas simplement une somme de lieux, de murs ou de monuments. La matérialité de chacun de ces ouvrages constitue un témoignage, chargé d’affects, de notre passé commun qui contribue à structurer notre mémoire collective et à éclairer le temps présent. Sans revenir ici sur l’histoire de la « décentralisation à la française », il est intéressant de souligner que c’est cette spécificité affective, ce rôle particulier dévolu au patrimoine qui explique que le Législateur ait choisi de mettre la démarche partenariale et la logique contractuelle entre différents acteurs publics au cœur de sa politique.
Si l’Etat demeure le « chef d’orchestre » de la politique générale de gestion de ces richesses, le projet de loi « création artistique, architecture, et patrimoine » porté la Ministre de la Culture Fleur Pellerin, examiné en ce moment même par le Parlement, vise à changer la donne et esquisse les premiers contours d’une « décentralisation du patrimoine » doublée d’une simplification. Cette démarche va dans le bon sens et ne peut que réjouir nos villes, tant le patrimoine est synonyme de rayonnement, d’impact économique positif et d’idiosyncrasie locale pour les territoires. Dans le même temps, à l’heure de la raréfaction des ressources budgétaires, il est indispensable que ce transfert de compétence au bénéfice des échelons locaux soit accompagné des moyens financiers suffisants, au risque d’abîmer ce qui fait notre richesse collective mais aussi notre histoire.
Carcassonne, Figeac, Arles, le Mont-Saint-Michel, Aigues-Mortes, Chinon ou encore Vaison-la-Romaine, ces villes dont les noms résonnent dans notre mémoire collective jouissent d’ouvrages exceptionnels. Profitant des multiples possibilités contractuelles et partenariales, ces villes ont bâti leur renommée et leur développement en relation étroite avec les ouvrages qu’elles ont hérité de l’histoire. La valorisation du patrimoine s’est avérée être un véritable levier économique pour ces territoires : les retombées financières effectives sont moins liées aux ressources générées par l’action patrimoniale en elle-même, comme les recettes relatives à la billetterie dans ses déclinaisons diverses, qu’aux répercussions générées dans le sillage de l’activité touristique : le développement de l’offre hôtelière, la restauration et d’activités commerciales connexes qui impliquent création d’emplois locaux et recettes fiscales supplémentaires pour la collectivité. L’exemple de la petite ville de Sarlat-la-Canéda est un cas d’école en la matière : l’intérêt de la municipalité pour l’action culturelle s’est manifesté à travers la restauration du bâti de cette ancienne cité médiévale. Un investissement à hauteur de plusieurs millions d’euros qui a eu pour effet de susciter une activité touristique sans précédent. Il paraît donc justifié que nombre de municipalités françaises identifient le patrimoine comme une ressource stratégique de développement économique. A l’image de la ville d’Autun en Bourgogne, labellisée « Ville d'art et d'histoire » qui, pleinement consciente de tels enjeux, consacre plus d’un tiers de son budget municipal à l’action culturelle et à la valorisation de son patrimoine. On pourrait également citer l’exemple de la ville de Salins-les-Bains qui, à la suite de la mise en place d’une politique de valorisation de ses « salines », ces anciens sites industriels d’extraction et de production du sel, a vu ces dernières classées au Patrimoine mondial de l’Unesco. Cela a eu pour effet de multiplier par deux la fréquentation touristique. Il est également indispensable de souligner que, dans l’esprit des élus locaux, une politique proactive sur le plan patrimonial et culturel constitue un facteur d’attractivité – d’entreprises comme de nouveaux habitants. J’ai par ailleurs le sentiment qu’avec l’éclatement des pratiques sociales, notamment lié à la dissociation accrue entre les lieux de résidence, d’emploi et de loisirs, les villes françaises et tout particulièrement les plus petites d’entre elles, sont confrontées à un enjeu social de taille : comment installer un sentiment d’appartenance au territoire chez les habitants et renforcer les sociabilités locales ? Confrontées à cette problématique, des municipalités comme celles d’Auch revisitent leur histoire, leur folklore au bénéfice des habitants comme des touristes et le recours au patrimoine s’avère ainsi un levier intéressant pour créer du lien social, voire pour réactiver le sentiment d’une identité locale commune.
A l’aune de ces enjeux, il n’est pas étonnant que les villes, conscientes qu’elles sont à la fois engagées dans une relation affective vis-à-vis de leur patrimoine mais qu’elles sont également détentrices d’une vision stratégique pour celui-ci, militent en faveur d’une décentralisation de la compétence « gestion du patrimoine » en conformité avec l’esprit du principe de subsidiarité. Le projet de loi relatif à la création artistique, à l’architecture et au patrimoine qui fait actuellement examiné au Parlement pose les premières pierres de ce processus de transfert de l’Etat vers les collectivités avec en toile de fond une simplification des règles d’urbanisme. Le projet de loi simplifie et fusionne pour cela les nombreux dispositifs de protection des espaces patrimoniaux existants au sein d’une seule et nouvelle servitude d’utilité publique : les « cités historiques », au sein desquelles, les villes auront plus de marge de manœuvre pour définir leur stratégie de valorisation et de sauvegarde du patrimoine. C’est tout le sens du plan local d’urbanisme « patrimonial » crée par ce texte dont l’ambition est de remettre entre les mains de l’échelon local les moyens d’agir sur ses ouvrages historiques. Ce texte donne la possibilité aux villes de déroger à différents obstacles règlementaires et déverrouille quelques tabous architecturaux, ce qui permettra à nos municipalités d’avoir les mains plus libres. Son article 36 est emblématique de cette philosophie : il réécrit le code de l’urbanisme de façon à stimuler la créativité des architectes qu’il s’agisse de constructions nouvelles, de réhabilitation ou de projets urbains. C’est pourquoi, à mon sens, ce texte est en mesure d’offrir un saut qualitatif en termes de créativité tout en réduisant les délais de délivrance des permis de construire à proximité des monuments historiques.
Si ce pas en avant vers la décentralisation du patrimoine doit être salué, il convient de veiller à ce que ce l’Etat accompagne cette transition en apportant les soutiens techniques et financiers nécessaires. En effet, cette « décentralisation du patrimoine » invite les collectivités à prendre la main et à superviser toute une chaîne de travail (identification, localisation, conservation, restauration d’ouvrages historiques) qui incombait jusqu’ici à l’Etat. Face à l’ampleur de la tâche, l’Etat va devoir pleinement jouer son rôle de soutien : la pérennité de nos « lieux de mémoires » doit ainsi être assurée.
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