Dossier Bolkestein : Non au dumping social ! Interview de Benoît Hamon
On la croyait enterrée. La directive Bolkestein pour la libéralisation des activités de services revient en force. Intacte. Le texte, menaçant pour les services publics et incitant au dumping social et fiscal sera voté, en première lecture, au Parlement européen, le 16 février, après un débat en plénière le 14. La Confédération européenne des syndicats et la plupart des syndicats français appellent, ce jour-là, à une grande manifestation contre la directive à Strasbourg. Les socialistes français, qui l’ont combattu depuis un an, défendront son rejet. Le point avec Benoît Hamon, secrétaire national chargé du projet Europe.
On la croyait enterrée. La directive Bolkestein pour la libéralisation des activités de services revient en force. Intacte. Le texte, menaçant pour les services publics et incitant au dumping social et fiscal sera voté, en première lecture, au Parlement européen, le 16 février, après un débat en plénière le 14. La Confédération européenne des syndicats et la plupart des syndicats français appellent, ce jour-là, à une grande manifestation contre la directive à Strasbourg. Les socialistes français, qui l’ont combattu depuis un an, défendront son rejet. Le point avec Benoît Hamon, secrétaire national chargé du projet Europe.
À quelques jours du vote en première lecture sur le projet de directive Bolkestein, quel rapport de force se dessine au Parlement européen ?
Il n’est pas favorable à la gauche, minoritaire au sein du Parlement. Les socialistes français sont en pointe dans le combat pour le rejet du texte, mais une assez forte majorité, qui rassemble conservateurs et libéraux se dégagera probablement en faveur de son adoption. Nous ferons connaître le vote des députés français car aujourd’hui, toute la droite européenne, l’UMP y compris, est favorable à l’inclusion des services d’intérêt économique général dans le champ d’application de la directive. Cela revient notamment à intégrer au régime concurrentiel classique tous nos services publics en réseau, comme l’eau, l’électricité ou le gaz. Plus généralement cette menace concerne tous les services publics rendus en contrepartie d'une contribution financière (en clair tout service
public pour lequel l'usager paie quelque chose).
La mobilisation réussie contre la libéralisation des services portuaires ne rejaillira donc pas sur la directive Bolkestein ?
Elle a déjà eu un impact, elle peut en avoir encore. Mais il y a un tel lobbying de la Commission et des États membres auprès de leurs élus que la bataille va être plus difficile. L'adoption d'un budget européen minimaliste a massivement rangé les députés des nouveaux Etats membres en faveur de la directive. Ils estiment que dérégulation du marché intérieur favorisera la croissance dans leur pays en raison de la faiblesse de leurs coûts salariaux et de leur faible règlementation en matière de protection des consommateurs ou de protection de l'environnement. L'égoïsme étriqué de Chirac, son choix de défendre un budget incapable de financer le développement des nouveaux États membres a précipité les
représentants de ces pays dans les rangs des partisans d’une
libéralisation rapide du marché intérieur. S'il existe une majorité
demain pour accélérer la dérèglementation de nos règles du jeu sociales
et pour démanteler nos services publics, nous la devrons à Chirac et à
l'UMP.
Dominique de Villepin s’est engagé cette semaine à une « remise en cause du principe du pays d’origine » et à « la disparition de tout risque de dumping social ». Info ou intox ?
Le récent compromis réalisé par le PPE (droite) et le PSE pour supprimer de l’article 16 de la directive toute mention au Principe du pays d’Origine pourrait laisser croire à une victoire contre les menaces de dumping présentes dans ce texte. Il n’en est rien. Si progrès il y a, ils ne doivent rien
à la droite mais tout à la mobilisation de la gauche européenne et des syndicats. Cependant, ce n’est pas parce qu’un texte mauvais devient moins mauvais que les socialistes doivent crier victoire et
l’approuver.
Ensuite, ce compromis est d’ores et déjà contesté par une partie du PPE et la patronat européen, il pourrait donc être remise en cause.
Enfin, même s’il n’était pas remise en cause il n’est absolument pas acceptable en l’état.
Que propose t’il ?
- Il propose de
supprimer la mention au principe du pays d’origine mais n’affirme pas
que les règles qui encadreront l’activité d’une entreprise de services
seront celles du pays de d’accueil (là où il vend son service). Une
incertitude juridique considérable naît de cette ambiguïté qui renvoie
à al cour de justice européenne (CJCE) et donc au juge européen le soin
de dire le droit en ce domaine. Quand on s’intéresse à la jurisprudence
de la CJCE, on observe qu’elle systématiquement arbitré en faveur d’une
libéralisation accrue duc marché intérieur.
- Enfin que dit le
nouvel article négocié par le PPE et le PSE : que la liberté
d’établissement d’une entreprise de service doit être totale partout
dans l’UE. Un Etat peut être en mesure d’opposer des conditions à cet
établissement que s’il agit selon une « raison impérieuse d’intérêt
général ». Mais que fait simultanément cette directive, elle restreint
ce qui pourrait relever d’une raison impérieuse d’intérêt général et
réduit donc la capacité d’un Etat membre à exiger des contreparties
sociales ou environnementales à l’installation d’une entreprise de
services. Exemples : on ne pourra plus exiger d’une entreprise de
services aux personnes âgées un nombre minimum d’employés, ou imposer
des tarifs minimums et maximums à une entreprise de services d’intérêt
général. Ce type d’encadrement sera considéré comme une entrave à la
liberté d’établissement. La directive supprime le Principe du pays
d’origine mais lui substitue un dispositif pas moins dangereux qui en
interdisant aux Etats membres de s’opposer à l’installation d‘une
entreprise de services, déréglemente le marché intérieur et aligne les
standards européens sur le niveau de protection des pays les moins
exigeants.
Nous ne devons pas
être dupe de la formidable opération de communication préparée par la
droite au sujet de ce texte. Demain c’est sûr, ils affirmeront avoir
sauvé notre modèle social. Mais comment croire que ceux qui cassent le
code du travail à Paris cherchent à le reconstituer à Bruxelles. Tout
ça n’est pas sérieux. Les imposteurs logent toujours à l’Elysée, à
Matignon et place Beauvau.
Considérez-vous
qu’il a quand même des entraves à la liberté de prestation de services
qui nécessitent une législation européenne ?
Oui, il y existe de
vraies entraves discriminantes à la liberté d’établissement, contraires
à la liberté fondamentale inscrite dans les traités. Mais au prétexte
de les supprimer, c’est la capacité d’un État souverain à calibrer ses
préférences sociales, environnementales ou en matière de protection des
consommateurs qu’on remet en cause. Nous assistons aujourd’hui à une
libéralisation à marche forcée de l’économie européenne dont les deux
premières victimes sont les modèles sociaux européens et nos services
publics.
Quelles vont être les batailles des socialistes français à Strasbourg?
Si nous perdons sur le
rejet de la directive, nous nous battrons pour trois choses : remettre
en cause principe du pays d’origine et lui substituer les règles du pays de destination,
exclure du champ d’application de la directive les services économiques
d’intérêt général et des secteurs comme les services sociaux ou le
logement social et, enfin, supprimer les dispositions visant à la
déréglementation des activités de services, notamment lorsqu’il s’agit
d’encadrer des enfants, d’organiser des services aux personnes
handicapées, etc.
Le débat parlementaire
est fondamental mais ce n’est qu’une étape. Après le vote, viendra la
décision du Conseil, probablement avant l’été. Il faudra dans
l'intervalle faire pression sur le gouvernement français. Bref, la
mobilisation doit continuer et nous mènerons campagne, en France et
dans le reste de l’Europe.
Propos recueillis par Anne Mosoni, pour l'Hebdo des socialistes
Le vote du 16 février 2006 au Parlement européen à Strasbourg
sur la directive services dite Bolkestein et sur les amendements de
modification n’a pas permis de changer la nature profonde du texte qui
reste nocif pour le modèle social européen.
La mobilisation des syndicats et associations n’a pas été inutile
puisqu’elle a permis de modifier le texte dans un sens moins libéral.
La gauche a réussi à soustraire quelques dispositions négatives mais
pas toutes, loin s'en faut. En outre elle n'a obtenu aucune conquête
supplémentaire, aucune garantie, amélioration ou protection
nouvelle et concrète pour les salariés, les citoyens et les usagers de
services publics dans un marché intérieur en voie de libéralisation complète.
Ainsi, le texte voté conserve plusieurs dispositions qui ont conduit les députés socialistes français à le rejeter au final :
- Il ne prévoit pas d’harmonisation des
législations applicables aux services. Pour la première fois dans
l’histoire de la construction européenne, la libéralisation d’un
secteur ne s’accompagne pas d’une harmonisation, ce qui remet en cause
les fondements de cette construction ; applicables aux
services. Pour la première fois dans l’histoire de la construction
européenne, la libéralisation d’un secteur ne s’accompagne pas d’une
harmonisation, ce qui remet en cause les fondements de cette
construction ;
- Il n’exclut pas les services d’intérêt
économique général du champ d’application de la directive. Dans le même
sens, les services de l’eau et de l’enseignement ne sont pas
explicitement sortis du texte ; de la directive. Dans le même sens, les services de l’eau et de l’enseignement ne sont pas explicitement sortis du texte ;
- S’il n’est plus présent dans l’article 16 de la directive, le principe du pays d’origine est toujours mentionné dans les considérants du texte laissant la porte ouverte à toute interprétation.
Par le flou juridique qu’il instaure, ce texte
laisse ainsi toute latitude au juge européen pour l’interpréter, créant
ainsi une insécurité pour l’ensemble des salariés en Europe.
Pour ces raisons, nous avons voté le rejet et
nous nous inscrivons dans les mobilisations à venir contre ce texte,
lors des prochaines étapes d’adoption et notamment la décision du
Conseil.
Benoit HAMON
Commentaires