Avec 3 ans de retard, la Loi d'Orientation et de Programme pour la Sécurité Intérieure (LOPSSI2) est enfin revenue devant l'Assemblée Nationale en seconde lecture. Cette loi, en réalité, n'est ni une loi d'orientation ni une loi de programme, mais un fourre-tout juridique qui a vu le nombre de ses articles exploser et qui traduit une radicalisation impuissante du pouvoir mais aussi la privatisation rampante de cette fonction régalienne de l'Etat.
Le groupe socialiste à l'Assemblée Nationale a voté contre une loi aussi dangereuse qu'inefficace, qui privilégie une communication sécuritaire sans mettre les moyens de la seule sécurité.
Ce texte est le 16ème texte de loi sur la sécurité depuis 2002 et l'arrivée de Nicolas Sarkozy au ministère de l'Intérieur. Malgré cet arsenal de papier, l'échec est patent puisque de 2002 à 2009, les atteintes volontaires à l'intégrité physiques ont augmenté de 19,6%, les violences non crapuleuses de 50,6%, les violences contre des dépositaires de l'autorité publique de 35,4%, le nombre de mineurs mis en cause de 19% (et ceux mis en cause pour violence de 50%) selon les chiffres de la Direction Centrale de la Police Judiciaire. Aucune leçon n'est vraiment tiré de ces chiffres désastreux sur l'organisation et l'emploi des forces de sécurité, ni sur la rupture de confiance entre la Police et la population, ou le manque de présence sur le terrain.
La priorité n'existe que dans les discours et pas dans les actes, encore moins dans la réalité budgétaire. Depuis la première LOPSI en 2002, la Police a perdu 9000 postes et le ministère de l'Intérieur a annoncé la suppression de 7 000 postes supplémentaires d'ici 2012. C'est là la principale raison des fermetures de commissariats comme à Annonay. Pour répondre aux conséquences dramatiques de cette politique de baisse des moyens, il est fait appel à des emplois jeunes peu expérimentés (adjoints de sécurité) et le Ministre somme les maires de mobiliser leurs polices municipales. C'est une fausse solution car les compétences et les pouvoirs sont différents. C'est aussi ignorer la réalité financière des communes étranglées par la baisse des dotations de l'Etat.
En échec sur son terrain de prédilection Nicolas Sarkozy a radicalisé son discours pour cacher la réalité derrière des mots en se lançant dans une nouvelle escalade dans la stratégie de la peur. La stigmatisation des Roms et le projet de déchéance de nationalité des Français d'adoption s'accompagnent d'un nouveau tour de vis sécuritaire qui ne respecte aucun des principes fondamentaux de notre droit.
La banalisation des « peines planchers », prévues pour les primo-délinquants et non plus pour les seuls récidivistes, viole le principe d'individualisation des peines qui fonde notre système judiciaire. Les « peines incompressibles » facultatives de 30 ans sont étendues, à titre d'affichage, aux cas d'assassinats ou de meurtres aggravés dans le cadre de bande organisée ou de guet-apens sur dépositaires de l'ordre public. L'élargissement de la surveillance judiciaire à toute infraction punie de 5 ans d'emprisonnement méconnaît le droit à la réinsertion et ne freinera en rien la récidive. L'alignement de la justice des mineurs sur celle des adultes se poursuit, sans efficacité reconnue. Malgré une opposition d'une partie des sénateurs, tout cela a été introduit dans le texte.
Outre les principes bafoués et les excès de langage permanent de la frange la plus droitière de l'UMP, ce texte porte en germes la privatisation rampante de la sécurité.
De même, l'utilisation des fichiers de police est élargie sans précaution. Les seuils de peine, pour etre fiché, sont abaissées de 7 à 5 ans et concerneront tout type d'infraction. La CNIL a fait part de son « extrême réserve », et ce d'autant plus que l'utilisation des fichiers d'antécédents (STIC et JUDEX) et du fichier national des auteurs d'infractions sexuelles (FIJAIS) est élargie en ignorant tout des préconisations du rapport parlementaire de Delphine BATHO (PS) et Jacques BENISTI (UMP).
L'article 4 prévoit différents outils pour lutter contre la cyberciminalité : délit d'usurpation d'identité électronique, obligation pour les fournisseurs d'accès de bloquer les contenus pédopornographiques, capatation des données informatiques pour les services d'enquêtes... Tout cela paraît de bon sens mais l'absence de contrôle et la largesse du champ d'incrimination permettront en réalité de filtrer la correspondance électronique de tout le monde.
Pour les mineurs, un couvre-feu est décrété pour les mineurs de moins de 13 ans de 23h à 6h. Les parents qui ne se seront pas assurés du respect de cette interdiction pourront être pénalement responsables des actes de leurs enfants et devront payer une amende. Cette mesure est possible à l'initiative des maires et donne très peu de résultats. C'est de l'affichage. Tout comme la possibilité de suspendre les allocations familiales qui n'a jamais fait ses preuves et risque surtout d'accroître la précarité de familles souvent en difficultés.
L'article 32ter crée la possibilité pour les préfets et les maires d'interdire et de faire détruire toutes les habitations provisoires (yourtes, caravanes, cabanes...). Cela frôle le délit de pauvreté ou d'opinion. L’article 32 ter A, introduit par un amendement du gouvernement adopté par la commission des lois du Sénat, puis voté par le Sénat le 10 septembre 2010, crée une procédure d’exception, expéditive et arbitraire, à l’initiative du Préfet et en l’absence du juge, pour expulser les habitants installés de manière « illicite ». Nombreuses sont les personnes qui
risquent d’être concernées par cette disposition répressive. Si la procédure contradictoire est prévue dans les textes, elle est néanmoins compromise, et l’article prévoit également la destruction des biens, ainsi qu’une amende de 3750 € pour le propriétaire du terrain, public ou privé, qui s’opposerait à ces procédures arbitraires.
Dans le débat, les propositions des députés socialistes ont été claires. Avec trois principes : efficacité, fermeté, respect du droit.
L'efficacité ne doit pas être évaluée sur la base stupide d'une seule politique du chiffre mais au regard du service rendu à la population, de l'efficacité judiciaire et de l'évolution réelle de la délinquance.
La sécurité doit rester une prérogative régalienne de l'Etat et ne pas être sous-traitée au privé dans la mesure où elle touche à des droits fondamentaux.
La lutte contre la violence doit être le premier objectif et son efficacité nécessite de rétablir des liens de confiance entre la police et la population. Cela passe notamment par le redéploiement d'une police de proximité et de quartier dotée de moyens de dissuasion, d'investigation et de répression. Aucun système de videosurveillance ne doit pouvoir etre installé sans accord du Maire et de la CNIL.
Pour assurer une présence quotidienne, il faut revenir sur les suppressions d'effectifs et ceux de la Police doivent être portés à 105 000 personnes, ceux de la Gendarmerie à 100 000. Avec les maires, l'Etat définira des « zones de sécurité prioritaire » dans lesquelles seront coordonnées les services de répression de renseignement concernés par la lutte contre l'économie souterraine, les violences urbaines et contre les personnes et avec une présence quotidienne.
Chaque acte d'incivilité ou de délinquance doit donner lieu à une sanction efficace, rapide et proportionnée. Le traitement du premier acte délictueux est décisif pour lutter contre la récidive. Les collectivités locales et les organismes privés devront y participer en proposant plus de « travaux d'intérêt général » et des mesures de réparation. Des « centres de placement immédiat » devront prendre en charge sans délai les mineurs délinquants.
Chaque grand bassin de vie sera doté d'un « centre de discipline et de réinsertion » destiné aux jeunes délinquants multirécidivistes et il sera rendu possible de prononcer des peines complémentaires permettant l'éloignement de certains quartiers ou territoires.
Enfin les Maires pourront saisir directement la Justice lorsque la loi du silence empêche le traitement d'une affaire et retient les habitants de déposer plainte eux-même.
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