La Grèce est eclipsée de l'actualité brulante mais cela ne change rien à sa situation. Le pays est confronté à une crise de solvabIlité et de liquidité qui lui interdit de tenir ses engagements financiers. La Grèce emprunte à court terme pour payer ses dettes contractées à long terme, et la baisse de sa note bancaire a conduit à un renchérissement des taux d'intérêt qui lui sont proposés et qui frolent les 20%.
Malgré l'aide de l'Union Européenne, la situation reste difficile. Une nouvelle aide solutionnerait provisoirement la question des liquidités mais pas de la solvabilité structurelle d'une dette égale à 350% du PIB. La restructuration de la dette aurait pour conséquence un ébranlement du système bancaire dont certains acteurs perdraient leurs créances...
Dans un tel contexte, quel est le rôle de la Banque Centrale Européenne? Je vous invite à lire cet article de Mediaprt (secteur abonné) ou à la retrouver ci-dessous.
Grèce: le chantage de la BCE
Article publié le ven, 20/05/2011 - 19:23, par Martine Orange - Mediapart.fr
Le ton est inhabituel. Jeudi, la Banque centrale européenne a rompu avec son langage policé d'usage pour passer à la menace. Alors que la possibilité d'une restructuration de la dette grecque est au centre de toutes les discussions européennes qui se tiennent en coulisse, l'institution monétaire a redit son opposition à ce projet. Mais cette fois, les membres de la BCE ne se sont pas contentés d'agiter le spectre d'une catastrophe bancaire en série, ils ont engagé un bras de fer. Jürgen Stark, le chef économiste de la BCE, a indiqué que si une restructuration de la dette grecque intervenait, malgré l'opposition de la banque centrale européenne, celle-ci cesserait dans l'instant d'acheter de la dette grecque et d'en soutenir le marché. Mais surtout, la BCE refuserait de prendre les obligations grecques en garantie dans les opérations de refinancement bancaire.
En langage bancaire, cela s'appelle l'arme atomique. Car refuser de prendre des titres en garantie, c'est priver les banques de liquidités en dernier ressort. Dans le cas des banques grecques, qui dépendent totalement de la banque centrale depuis des mois, le marché interbancaire leur étant totalement interdit, c'est la faillite assurée. La crise systémique si souvent agitée deviendrait réalité.
Pourquoi la BCE, d'habitude si prudente, a-t-elle pris le risque de tenir de tels propos, qui pourraient créer une véritable panique bancaire en Grèce ? Déjà les banques grecques doivent déjà faire face à une fuite massive de capitaux : en quelques mois, plus de 20 milliards d'euros de dépôts ont été retirés. Dans une situation si tendue, cela ressemble à une stratégie de pompier pyromane.
Si l'institution monétaire en arrive à une telle extrémité, c'est qu'il y a urgence : elle est de plus en plus isolée dans sa stratégie de fermeté sur le dossier grec. Pendant des mois, elle a réussi à convaincre l'ensemble des Européens de la nécessité de ne surtout pas restructurer. Mais aujourd'hui, ses soutiens ne cessent de s'amenuiser. Le président de la Bundesbank, Jens Weidmann, est encore à ses côtés, tout comme la France, qui affirme, par la voix de Christine Lagarde, que le « sujet n'est pas sur la table ». Mais elle est bien la seule.
Même Jean-Claude Juncker, le président de l'eurogroupe, est en train d'évoluer. Il y a quinze jours encore, lors de la réunion secrète de Luxembourg, il affirmait haut et fort que la « restructuration de la dette pour la Grèce n'était pas une solution ». Aujourd'hui, il évoque une restructuration douce ou un reprofilage. En clair, il propose de différer une partie ou la totalité des remboursements qui doivent arriver en 2012 et en 2013 : le montant total des dettes à ces échéances est évalué à 66 milliards d'euros. Si une telle mesure n'est pas prise, explique-t-il en coulisse, la Grèce qui est dans l'incapacité de dégager la moindre ressource excédentaire, compte tenu de l'effondrement de son économie et de ses finances publiques, sera condamnée à emprunter auprès du FMI et des autres pays de la zone euro pour rembourser les créanciers privés.
Demander aux créanciers privés de prendre une partie de la charge plutôt que de faire payer uniquement les Etats et les contribuables européens, c'est le scénario pour lequel milite l'Allemagne depuis des mois. Son ministre des finances, Wolfgang Schaüble, l'a encore répété cette semaine. Et Berlin a fini par convaincre une large majorité des membres de la zone euro.
Le veto de la BCE
Le rapport d'étape réalisé la semaine dernière par la troïka (FMI, BCE, Union européenne) sur la situation économique de la Grèce ne laisse, il est vrai, guère d'illusion. Le pays s'enfonce dans une récession chaque jour plus cruelle. Les moteurs de l'économie s'asphyxient un à un. Les finances publiques, faute de recettes fiscales suffisantes, croulent sous le poids d'une dette de plus en plus élevée.
De nouvelles mesures d'ajustement économiques, passant par de nouvelles coupes dans les programmes publics et sociaux, la suppression des protections sur le marché du travail, sont prévues. Le gouvernement grec devait les discuter en conseil des ministres la semaine prochaine. Le programme de privatisation devrait être accéléré pour dégager 50 milliards d'euros très rapidement. Toutes les entreprises publiques ou presque doivent repasser dans le privé. Certains imaginent même que la Grèce vende des îles, comme l'a suggéré le patron Europe du FMI la semaine dernière. Pour s'assurer qu'Athènes, suspecté de laxisme, mette bien en œuvre ce programme de privatisation, les Pays-Bas suggèrent même que l'ensemble des actifs à céder soient confiés à une agence européenne qui en réaliserait les cessions, quel qu'en soit le prix. La proposition a obtenu le soutien de plusieurs pays européens et a des chances d'être rediscutée prochainement. Ce qui en dit long sur la conception de la souveraineté et de la démocratie des représentants européens.
Mais, malgré cette purge financière, la Grèce ne pourra pas faire face à un endettement de 330 milliards d'euros, jugé insoutenable par beaucoup. La restructuration semble inévitable, puisque toute dévaluation monétaire , qui accompagne normalement un programme d'ajustement économique, est interdit à Athènes, en raison de son appartenance à l'euro.
La BCE s'y oppose avec la dernière vigueur: la banque centrale ne saurait céder à la dictature des marchés qui spéculent depuis des semaines sur une restructuration de la dette grecque. Le fait qu'elle serait une des premières victimes d'un défaut grec n'est bien entendu pas dans ses arguments : elle détient dans son bilan d'énorme quantité de dettes de tous les pays européens malades, depuis qu'elle a racheté des pelletées de leurs titres pour soutenir le marché secondaire des dettes publiques européennes. Une restructuration l'obligerait à demander une recapitalisattion auprès des pays membres.
Non, si la BCE est contre tout aménagement de la dette grecque, c'est que cette mesure ouvrirait la boîte de Pandore, selon elle. D'autres gouvernements, l'Irlande en particulier, demanderaient à bénéficier d'une remise de peine sur leurs dettes. La spéculation, notamment par le biais des CDS ( credit default swap), risquerait de s'étendre à toutes les dettes publiques de la zone euro. Ce serait pire que la faillite de Lehman Brothers, répètent les milieux bancaires. A terme, le système financier européen risquerait de s'effondrer en cascade.
La crainte est-elle fondée ? Personne ne le sait. Car contrairement aux grandes déclarations des uns et des autres, les dirigeants européens n'y voient goutte sur l'état des banques européennes. « Nous ne connaissons pas l'état réel des banques. Les tests de résistance, qui auraient dû nous donner un éclairage précis, n'ont servi à rien. Trois semaines après leur publication, les banques irlandaises s'effondraient, alors qu'elles avaient passé haut la main les tests. Cette incapacité à évaluer l'état du système bancaire réduit notablement les marges de manœuvre », explique-t-on dans l'entourage du FMI.
L'Europe paie aujourd'hui son incurie sur les banques. Faute de les avoir obligées à mettre leurs comptes sur la table, à nettoyer leur bilan, et à se recapitaliser, elle se retrouve paralysée. Pendant ce temps, la mèche à retardement des marchés se consume inexorablement. Vendredi, les taux des obligations grecques à dix ans ont dépassé pour la première fois les 16%, ce qui amène la Grèce à être jugée moins sûre que le Zimbabwe. Les taux irlandais sont au-dessus de 10%, et ceux de l'Espagne se tendent dangereusement. La prochaine explosion semble se préparer.
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