Tribune publiée dans le Monde 27 juillet 2011
La création et la culture ne sont pas un luxe en temps de crise, elles offrent au contraire des atouts pour en sortir. Un pays qui affaiblit la création, l’innovation et la recherche ne prépare pas son avenir. Sauf à s’appauvrir, notre pays doit offrir à chacun de ses enfants le meilleur de la culture.
Voilà pourquoi j’espère pour la France un nouveau printemps de la culture, une ambition généreuse et authentique, comme chaque alternance en a produit, en 1936 comme en 1981. Voilà pourquoi j’en appelle, en ce domaine comme dans tant d’autres, à l’imagination collective, au renouvellement des manières de penser et de faire. Voilà pourquoi j’ai souhaité que les enjeux les plus actuels de la culture soient présents dans le débat pour 2012, et non pas ignorés ou victimes de mauvaises querelles. Cette action doit retrouver une inspiration, autrement dit un sens qui soit aussi un souffle.
Notre premier devoir sera de soutenir la création. Certes, le travail des artistes ne va pas sans l’incertitude. Mais fallait-il que cette décennie enfonce la plupart d’entre eux dans l’ultra-précarité ?
D’abord, répondons concrètement à leurs besoins par des lieux ! Je propose de multiplier des espaces souples et interactifs, des coopératives artistiques, où les équipes créatives, les associations, la population se rencontrent, autant pour expérimenter que pour partager. Où les cultures du monde se découvrent et s’enrichissent. Comme d’autres villes ou métropoles à leur manière, Lille, avec l’éclosion de nos maisons Folie, témoigne de cette action : la culture nous a changés parce qu’elle nous réunit.
Comme on partage aujourd’hui des « bandes passantes », j’invite aussi à l’ouverture et à la mobilisation des institutions culturelles pour donner l’hospitalité aux jeunes artistes et aux formes artistiques de demain. Pour rencontrer le public, la nouvelle génération disposera pendant un temps de l’année (de 5 à 10%) des outils de diffusion et de communication d’un opéra ou d’un théâtre. Il importe aussi de lui ouvrir l’Europe, en favorisant l’émergence de réseaux de soutien aux créateurs en devenir, et le dialogue des esthétiques.
Je pense aussi à la nécessité de consolider et de rendre plus juste un régime, l’intermittence – ce n’est pas un privilège ! – qui permet à des milliers d’artistes de faire face aux aléas de la création, et qui donne le temps et la liberté d’inventer.
Notre projet, c’est d’échapper à la concentration et à l’uniformisation. C’est de faire vivre la culture partout, dans tous les domaines de la vie sociale. Je mesure le rôle du mécénat, qu’il faut élargir et inciter à prendre des risques, et la place des entreprises culturelles. Beaucoup reste à faire pour que la France et l’Europe ne soient pas marginalisées dans la nouvelle économie créative! Si elle veut tenir le cap de la créativité, l’Union européenne doit accroître ses interventions, pour soutenir et pour réguler. Mais notre pays a aussi besoin de services publics, de continuité sur tout le territoire avec des moyens équitables, de gratuité autant que c’est possible : celle des bibliothèques, des collections, mais d’abord celle de l’école.
Nous combattrons sans répit les inégalités et les obstacles qui éloignent l’enfant et l’adulte de la culture. Le premier de nos « grands travaux », c’est l’éducation artistique. A l’Education nationale, il appartiendra d’assurer enfin la connaissance et la pratique des arts dans le socle commun. Je propose l’adaptation des rythmes scolaires : dans ce cadre, il devient possible d’allouer le temps nécessaire aux découvertes artistiques. Aux établissements culturels et aux artistes, reviendra la responsabilité directe d’une mission d’accueil et d’action culturelle intense. Aux collectivités et à l’Etat, il incombera de favoriser le temps des projets, avec les artistes, les enseignants et les médiateurs. Dès 2012, nous montrerons la voie : chaque enfant de France pourra se rendre deux fois par an dans un musée, un atelier, au concert ou dans un lieu de spectacle de danse ou de théâtre.
Une politique culturelle digne de ce nom ne se contente pas de réparer, elle prépare l’avenir. Le numérique est « notre » révolution culturelle. Une telle révolution ne se combat pas avec des lois répressives et inefficaces, elle nous invite à libérer un potentiel de création, de diffusion et de partage sans précédent. Réussir cette transformation exige d’innover, de construire avec tous de nouvelles règles, une intervention publique adaptée pour faire émerger les nouveaux modèles de production et de distribution, pour moderniser nos lois, sans jamais renoncer à soutenir les artistes et leurs droits que bafouent ceux qui s’enrichissent en pillant leurs créations. Pour entrer dans ces temps nouveaux, nous devons à la fois assurer le financement durable de la création musicale, cinématographique, ainsi que du livre, et garantir une rémunération équitablement répartie entre les auteurs et les artistes. Nous le ferons en mobilisant une part substantielle de la richesse créée sur les réseaux numériques, souvent sans bénéfice pour la culture et ses nombreux métiers, et par une contribution modeste et forfaitaire de chacun d’entre nous à la création.
L’art et la culture sont pour la société la plus grande force d’émancipation et le meilleur ferment de résistance ou de critique, mais aussi d’émotions, dans la vie comme dans la ville. Pour cela, les créateurs ont été si souvent à la fois flattés, méprisés, ou menacés. La création tend à chaque génération son miroir, elle en inscrit aussi la trace. Il ne tient qu’à nous de bâtir ensemble le patrimoine de demain. Je le vérifie chaque année à Avignon où se prolongent le théâtre populaire de Vilar, et son idée de l’art : « une certaine façon de mettre en ordre ou en désordre la nature ».
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