Vous trouverez en cliquant sur ce lien et ci-après une tribune de Dominique Sopo, ancien président de SOS Racisme, publiée dans le Monde.
Pour le plus grand malheur des Syriens exterminés par le régime de Bachar El Assad, l'actualité mondiale de ces derniers jours a été marquée par un film raciste intitulé "Innocence of Islam" qui a servi de base à une manipulation grossière par des intégristes musulmans.
Le racisme de ce film ne tient pas à sa représentation de Mahomet et donc à son aspect blasphématoire du point de vue des textes que les musulmans tiennent pour sacrés. Il ne tient pas non plus au fait qu'il critiquerait l'Islam, la critique de la religion constituant un droit indissociable à toute émergence d'un espace démocratique, nous y reviendrons. L'aspect raciste du film tient au fait, en parfaite cohérence avec la pensée de l'auteur de cet objet, qu'il vise très clairement à faire de tout musulman un danger pour la liberté et la civilisation, Mahomet ne tenant ici que le rôle de prétexte à l'expression de cette haine.
Comme en un sinistre jeu de miroir, des groupes intégristes musulmans ont sauté sur l'occasion pour nourrir le feu de la haine, déclenchant une vague de manifestations antioccidentales et plus spécifiquement tournées contre le très fantasmé axe américano-sioniste. On remarquera d'ailleurs avec quelle rapidité l'information, que l'on sait depuis fausse, de la nationalité israélienne de l'auteur du film incriminé et du financement de ce dernier par des "juifs riches" a été tenue pour un fait qu'il était plaisant de penser exact. Il est à se demander par quel étrange manquement les francs-maçons ne se sont pas retrouvés impliqués dans ce vaste complot anti-Islam mis à jour par des groupes extrémistes dont la malhonnêteté n'a d'égale que la violence de leur obscurantisme crasse.
Dans la séquence de ces derniers jours, deux haines étaient à dénoncer : le racisme et l'intégrisme. C'est pourquoi la réaction des pouvoirs publics français visant à "désapprouver" la publication de caricatures de Charlie Hebdo sur ce sujet est pour le moins inappropriée. La mécanique de l'argumentation est parfaitement huilée et avait d'ailleurs déjà été employée par Jacques Chirac, alors président de la République, au moment de l'affaire des caricatures de Mahomet en 2006 : bien que la France soit un pays respectant la liberté de la presse, il ne fallait pas mettre de l'huile sur le feu par d'inutiles provocations. A cette époque, le proces qui avait été intenté à Charlie Hebdo pour incitation à la haine avait amené François Hollande parmi d'autres à venir témoigner en faveur de l'hebdomadaire satirique sur une ligne de fermeté face aux attaques contre la liberté d'expression.
La position était juste et renvoyait à ce que les différents témoins "pro Charlie Hebdo", dont moi-même en tant que président de SOS Racisme, tenaient comme des évidences.
Tout d'abord qu'il ne fallait pas céder aux tentatives d'intimidations de la part des groupes intégristes, à l'instar de ce qu'avait été la réaction en 1989 lorsque l'imam Khomeyni lança une fatwa contre Salman Rishdie suite à la publication des Versets sataniques.
Ensuite qu'il fallait répéter inlassablement que la démocratie est indissociable du droit au blasphème puisque s'interdire de blasphémer, c'est interdire la remise en cause des dogmes tenus pour sacrés par les croyants de telle ou telle religion et donc interdire que les sociétés soient régulées par des lois issues de la discussion libre et rationnelle.
Les intégrismes ne défendent jamais le vivre ensemble, même lorsqu'ils se parent des habits de la lutte contre le racisme dont leurs coreligionnaires seraient les victimes. Il est d'ailleurs significatif de remarquer avec quelle constance les réseaux intégristes s'en prennent à Charlie Hebdo, hebdomadaire dont il est utile de rappeler qu'il fut de tous les combats antiracistes (contre les tests ADN, contre le débat sur l'identité nationale, contre la stigmatisation des musulmans, des étrangers, des enfants d'immigrés, des roms et des gens du voyage par le pouvoir sarkozyste, contre l'extension de la déchéance de la nationalité, pour le droit de vote des étrangers,...). Il est tout aussi significatif de constater que ces réseaux ne défendent que très rarement les musulmans lorsque ceux-ci sont pris pour cibles dans la parole publique, à travers des agressions ou du fait des discriminations.
A la vérité, les réseaux intégristes ne s'intéressent pas au bien-être des musulmans mais ne visent qu'à instaurer un monde théocratique dans lequel ils détiendraient seuls la légitimité de la mise en œuvre pertinente de la parole divine. Tout au contraire du vivre-ensemble, le carburant de l'intégrisme, tout comme le carburant du racisme, est la désignation de l'Autre, du bouc-émissaire, de celui qu'il faut détruire dans le délire d'une purification sans fin.
D'ailleurs, les intégristes qui se sont illustrés ces derniers jours n'ont-ils pas besoin que leurs coreligionnaires soient haïs du reste du monde pour ensuite mieux les enjoindre à accepter une solution d'enfermement doctrinaire ? C'est au demeurant le résultat le plus évident de leurs actes dont on remarquera qu'ils sont complaisamment présentés – facilité de l'amalgame et des explications globalisantes - comme l'expression de la "rue arabe" par maints médias, alors même que les groupes agissants étaient finalement assez circonscrits, se réduisant à chaque fois à des manifestations de quelques centaines de personnes.
Dans un monde marqué par la crise économique, par les gigantesques convulsions politiques nées de la lutte entre l'espoir démocratique et les régimes autoritaires ainsi que par la redéfinition de la hiérarchie des puissances, la tentation du populisme, de la recherche névrotique des racines et de l'instauration d'une prétendue pureté sont des maux que seule la fermeté de l'expression politique du camp démocratique et laïque permettra de combattre. Sans haine mais avec détermination.
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