Ce 8 mars se tiendront dans toutes les villes de France et du monde de très nombreuses initiatives pour parler des problématiques du droit des femmes, pour dresser des constats, pour mesurer les progrès qu'ont permis toutes les politiques en faveur de l'égalité des chances et tenter de débusquer les pièges qui nuisent encore à une émancipation entière des femmes, en un mot pour témoigner.
Comme beaucoup d'entre nous, je serai à la MJC de Tain l'Hermitage en compagnie d'autres femmes « engagées » pour échanger sur ces problématiques, des femmes et toujours la difficulté de partager ces discussions avec des hommes, comme si les problèmes que nous rencontrions n'étaient finalement que le fruit de notre condition de femme, et donc trop spécifique pour pourvoir intéresser nos compatriotes masculins, comme si la cause était entendue et que le seul obstacle aujourd'hui dans notre démocratie moderne et sur-informée ne résidait plus que dans le bon vouloir des femmes de prendre ou non le pouvoir.
Après des années de discussions sur l'utilité des quotas, sur les moyens d'arriver à modifier la courbe dessinant l'incroyable disparité de l'accès aux responsabilités politiques, ou à l'égalité des salaires, le problème reste, me semble t-il entier.
Pour « preuve », mais une expérience personnelle ne peut évidemment servir à fournir aucune preuve, ma réflexion de ce jour.
La direction nationale de mon parti dans une note récente sur les futures élections municipales nous redonnent les chiffres affligeants de la réalité des mandats municipaux au regard de la parité :26,6% de femmes à l'AN (et cela grâce à un fort contingent PS), 13,8% à la fonction de maires, ou 13,8% dans les conseils généraux ; avec les décisions prise en faveur de la parité, ces chiffres sont évidemment bien meilleurs dans les scrutins de liste : 48% dans les conseils régionaux ou 43% aux élections européennes...
il faut parvenir à faire que plus de femmes ne se lancent dans cette bataille, comme dans tant d'autres. Et parce que je me sens concernée par cette question à titre personnel,j'essaie, à mon tour de comprendre pourquoi par exemple, les décisions sont tellement dures à prendre.
En même temps, j'en connais déjà les mécanismes :
Une femme et ses trois vies, trois vies qui ont bien du mal à co-habiter : le champ familial , le champ professionnel et le champ politique (il peut tout aussi bien être associatif, disons pour faire simple, l'engagement militant et citoyen). Une des luttes a été (et reste pour de nombreuses femmes) l'indépendance économique, subvenir à ses besoins et accessoirement à ceux de sa famille, ne plus avoir à connaître cette sensation insupportable de dépendance qui fait de nous des personnes assistées, restées petites filles demandant une permission.... ; pour réaliser cette indépendance, des études plus ou moins facilitées par le milieu social et familial, et le désir profond de connaître, de progresser, de se rendre capable de...
Ce premier combat nécessite déjà à lui seul quelques renoncements :
que faut-il répondre à votre prof d'université à qui vous adressez vos doutes sur votre capacité à poursuivre plus haut votre cursus universitaire (fort de vos plutôt bons résultats dans le domaine que vous avez choisi, et qui vous répond, de manière laconique « faites votre enfant d'abord, nous verrons ensuite). Alors, vous choisissez, un enfant d'abord, parce que la vie et le bonheur c'est aussi ça, que vous le sentez bien, d'avoir un enfant qui ressemblera (ou non) à celui que vous aimez, que vous aiderez à grandir, et qui,comme vous peut-être rêvera d'un monde meilleur., « d'inaccessibles étoiles »le monde ; mais le temps passe, vite, et parce que vous avez déjà pris des années à passer vos exams tout en travaillant, vous choisissez la maternité, la douceur chaude de ce petit corps contre vous, l'idée de la profonde harmonie que cela va apporter dans votre couple ; vous avez déjà 25 ans et malgré tout la révolte qui gronde en vous, l'envie de changer le monde, malgré vos années déjà « anciennes » d'engagement politique pour ne pas vous contenter de l'ordre social tel qu'il est, , pour ne plus voir vos parents ouvriers dans la misère, parce que vous êtes persuadée que la condition d'homme mérite de se battre, vous êtes sûre que c'est le bon choix, que vous aurez tout le temps de trouver votre place dans le paysage politique local plus tard ; parce que la politique n'est pas une fin en soi mais un outil, vous n'abandonnez rien, et vous chercher à concilier ces 3 mondes, vous avez un poste d'auxiliaire dans l'EN, il faudra passer un concours, pas de problème, après tout, vous n'êtes pas seule, cet a enfant a un père, compréhensif et moderne...
Les années passent, la politique exige que pour prendre une place réservée au départ à un homme (au départ, les places sont toujours pensées pour et par des hommes, qui ne doutent pas souvent de leurs capacités, de leur légitimité) vous soyez »toujours prête », bon petit soldat, c'est trop tôt ou trop tard, vous êtes trop jeune ou trop vieux, trop comme si et pas assez comme cela ! Le résultat est là, on en vous a pas appris à avoir confiance en vos potentialités mais à mesurer les insuffisances, à ne jamais valoriser vos qualités mais à nourrir le doute, intrinsèque ? Propre à votre condition de femme.
Puis, lorsque quelqu'un vient vous chercher pour une échéance politique collective, vous vous emballez, enfin un projet qui permettre de transformer des idées en actions concrètes ; vous vous emballez mais vous ne dormez plus prise d'un doute terrible, vais-je y arriver ? La question est là, on vous propose la culture que vous connaissez bien pour la pratiquer et être impliquée dans différentes associations mais le questionnement ne cesse pas, il ne cesse pas jusqu'au jour merveilleux de la victoire , et où vous sentez très vite, que vous êtes à votre place. Vous venez aussi d'avoir un deuxième enfant, de divorcer(rien que de très banal), et de vous retrouver faire face à diverses difficultés d'ordre matériel, financier, émotionnel.... la vie quoi.
Mais de toute cette expérience, un mélange en bouche de plaisir et d'amertume. La satisfaction d'avoir tenu le pari,d'avoir été à la hauteur de la tâche, des erreurs certes mais un bilan positif ; et puis un peu plus discret mais toujours en fond de bouche, ce sentiment de culpabilité face aux difficultés de vos enfants enfants, de culpabilité face au naufrage d'une histoire d'amour, ce sentiment d'incompétence stratégique face à une trajectoire personnelle. A qui ou à quoi fallait -il dire oui ? Que pouvais-je refuser sans pour cela mettre entre parenthèse interminable la possibilité d'accéder à d'autres responsabilités ? Car c'est bien là que le bât blesse, le combat politique vous nourrit mais il devient sacerdoce tant il est mené depuis des siècles par des hommes qui s'y livrent tout entier, et qui ont façonné, à défaut d'une morale politique intransigeante, un fonctionnement, des règles du jeu , une esthétique de la vie politique qui délimite la place de chacun, ses codes, et finalement l'acceptation d'un certain ordre social. Faire ses preuves lorsqu'on vous êtes une femme, pour ne pas risquer « l'erreur de casting », mais tenir pour acquis la compétence masculine en tout lieu, en toute place.
Il y a dans toute cette histoire une impression de vertige lorsque vous comprenez que vous devrez toujours composer avec ce doute, et avec l'idée même que vous avez de l'action politique ; avec la nature des concessions qu'il vous faudra accepter pour « gagner », avec la violence des combats qu'il vous faudra mener, au sein même de votre formation politique, avec le renoncement que l'action politique exige du bonheur simple et quotidien, avec la goinfrerie de la vie publique, avec l'exigence énorme de la responsabilité de l'action politique, avec en tête, l'éternelle question à l'heure du bilan « à qui aurais-je été le plus utile ?
Bien-sûr, ceci n'est en rien une démonstration, vous trouverez mille exemples d'hommes assaillis par le doute et de femmes enfermées dans leurs certitudes et le désir incontrôlable de pouvoir. « On ne naît pas femme, on le devient », c'est l'évidence mais comment ? Comment arrivons-nous à puiser en nous mêmes et seulement en nous mêmes la force de la bataille ? comment arrivons- nous à nous exonérer du regard bienveillant, de la parole approbatrice , des challenges inatteignables, et de la violence des défis que l'on nous soumet comme incontournables ?
Comment parvenons-nous à mener de front ces 3 vies ?
Voilà, un 8 mars encore où à quelques mois d'échéances électorales la question du rôle des femmes dans la société reste sans autre réponse que la conscience de chacune et chacun. Il faudrait des pages encore pour approcher un tant soit peu la vérité de ce questionnement mais finalement, courage à toutes, à tous ceux pour qui la politique n'est pas d'abord une question de but mais de chemin....la femme est l'avenir de l'homme non pour le compléter mais parce que le chemin pour devenir ce que nous voulons est aussi celui qui nous rend libre . Humains.
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