Pourquoi, huit jours avant sa présentation en Conseil des ministres, avez-vous décidé de découper le projet de loi initial en trois textes ?
Devant l’importance de ce chantier constitué de 124 articles souvent complexes, j’ai préféré procéder de manière méthodique et tenir compte d’un calendrier parlementaire chargé. Le découpage est le fruit d’un dialogue constructif que nous avons eu avec les sénateurs. C’est la méthode qui avait été choisie lors des premières lois de décentralisation de 1982, qui ont libéré les énergies locales et transformé nos villes et nos territoires.
Quand chacun de ces trois textes sera-t-il débattu au Parlement ?
Le premier, consacré à la clarification des compétences, aux métropoles et aux communautés urbaines, sera examiné ce printemps. Le deuxième, portant sur les régions et l’égalité des territoires, sera débattu à l’automne. La dernière partie, dédiée au haut conseil des territoires, aux autres transferts de compétences, au renforcement de l’intercommunalité, ainsi qu’à la démocratie locale et la transparence financière viendra fin 2013-début 2014.
Comment harmoniser les interventions des différents échelons tout en rétablissant la clause générale de compétence des départements et des régions ?
Pour éviter les millefeuilles, les élus devront se mettre autour de la table. Il s’agit à la fois de respecter la Constitution, qui indique que les collectivités s’administrent librement, et d’aller vers la simplicité, l’efficacité. Le but, c’est la mutualisation et l’économie.
Au lieu de procéder à une répartition mécanique des compétences par le haut, nous prenons en compte la réalité des territoires qui n’est pas la même partout. La présence d’une métropole ou, au contraire, de départements très ruraux où le chef-lieu est une petite ville, change les choses. Elle aura des conséquences sur l’organisation du développement économique, des transports scolaires ou du tourisme.
Est-ce là la grande innovation de cette réforme ?
C’en est une, mais la grande innovation, c’est l’instauration de métropoles dans les plus grandes agglomérations ainsi qu’à Paris, Lyon et Marseille. La France a besoin d’une grande métropole mondiale à Paris pour traiter la question du logement et contribuer au rayonnement mondial de la capitale. Il faut lui donner tous les moyens. Ce qui ne signifie pas que le réseau de transports du nouveau Grand -Paris se fera avec des financements nationaux. Il s’appuiera sur des financements régionaux.
Pourquoi le Grand Lyon devient-il une collectivité de plein exercice ?
Le Grand Lyon reprendra, si la loi est votée, les compétences du département. Tout cela se fait dans un climat de consensus politique alors que le président de la communauté urbaine, Gérard Collomb, est d’un autre bord politique que le président du conseil général, Michel Mercier.
Ce consensus fait défaut à Marseille…
Il n’y a pas de consensus politique, mais la métropole d’Aix-Marseille-Provence, qui réunira les six établissements publics à fiscalité propre existants, correspond à une forte demande de la société civile. Les chambres consulaires, les associations et les syndicats veulent que les choses changent. Les universitaires l’ont fait, avec la création de la faculté d’Aix-Marseille. Ce territoire a de formidables atouts pour devenir une grande métropole euro-méditerranéenne. La capitale européenne de la culture révèle toutes ses potentialités.
Comment comptez-vous surmonter les résistances ?
Nous mettrons chacun face à ses responsabilités. Les élus doivent s’engager. Il faut traiter les problèmes. Sur ce territoire, nous dénombrons onze autorités organisatrices de transports. Je veux bien que chacun fasse un tramway ici, un réseau en site propre là… Mais si l’ensemble n’est pas connecté, comment fait-on ?
Eurocopter, à Marignane, peine à recruter, alors que le taux de chômage à quelques kilomètres de là est très élevé. La métropole d’Aix-Marseille-Provence, en lien avec la région, répondra à ces questions.
Quel est l’objectif des métropoles « classiques » ?
Nous voulons que, dans les aires urbaines de 500 000 habitants, les groupements intercommunaux d’au moins 400 000 habitants prennent le statut de métropole. Rouen, Grenoble ou encore Montpellier, par exemple, seront concernées.
A terme, l’idée est de s’inspirer de l’exemple lyonnais, c’est-à-dire de mutualiser et de fusionner au maximum. L’objectif est que ces métropoles jouent un rôle fort d’entraînement du territoire.
J’ai une longue expérience à Nantes et je sais combien elles peuvent dynamiser tout un territoire. Dans le même temps, les autres grandes villes comme Dijon ou Reims, qui font partie d’une communauté d’agglomération, pourront passer au statut de communauté urbaine.
Les métropoles doivent-elles être élues au suffrage universel direct sans fléchage ?
En 2014, le fléchage sera opérant. La question du suffrage universel direct sans fléchage pour 2020 sera posée, à partir du moment où les compétences, les dépenses et les investissements de ces métropoles seront renforcés. Nous souhaitons une légitimité démocratique. Si des amendements en ce sens sont présentés au cours du débat, le gouvernement les accueillera avec bienveillance.
Quelles leçons tirez-vous de l’échec du référendum, le 7 avril, sur la fusion entre le Bas-Rhin, le Haut-Rhin et la région Alsace ?
Ce projet, séduisant intellectuellement, n’a pas été porté dans la population. Il est resté l’affaire des seuls élus. Si l’on veut convaincre et franchir des étapes nouvelles, il faut davantage associer. Sinon, une réforme de structure apparaît uniquement sous l’angle institutionnel, et des peurs se créent.
En quoi les régions sortiront-elles grandies de la réforme ?
Les régions ont fait leurs preuves. Elles doivent disposer de compétences très fortes en matière de développement économique, de soutien aux PME, d’innovation. Elles sont les partenaires naturelles de la Banque publique d’investissement.
Quelle architecture retenez-vous pour la formation professionnelle ?
Nous allons augmenter les compétences de la région, qui sera chef de file et chargée du schéma général de formation. Il s’agit de mieux prendre en compte les besoins. Dans des régions où ont lieu des restructurations industrielles, plutôt que de laisser les gens sans solution, nous allons engager des programmes de qualification.
Qui aura le dernier mot sur les dossiers économiques ? La métropole ou la région ?
Un accord doit être trouvé au sein de la conférence territoriale de l’action publique. Il faut être pragmatique. Dans une ville universitaire qui compte un CHU, la métropole peut, par exemple, s’occuper du développement des biotechnologies qui peut ne pas figurer dans les priorités régionales. Si des industries, comme l’automobile, sont présentes dans plusieurs départements, la région souhaitera intervenir. Ce qui compte, c’est l’efficacité, pas le dogmatisme.
Que préconisez-vous pour les communautés de communes et d’agglomération ?
Là encore, l’idée, c’est la montée en gamme. Le plan local d’urbanisme doit être élaboré par l’intercommunalité. Faut-il un seuil ? Ce sera un point de débat au Parlement. Les esprits ont énormément évolué. Cette réforme poussera à la rationalisation. Une commune ne peut pas garder un service de la voirie, alors qu’elle a transféré la compétence. Il faut aussi en finir avec les intercommunalités de circonstance.
Ne faut-il pas aussi obliger les communes riches à se marier avec des plus pauvres ?
Les petites intercommunalités de circonstance, en Ile-de-France, posent problème. La communauté d’agglomération formée de Clichy-sous-Bois et de Montfermeil ne peut pas s’en sortir. J’ai demandé – et ce sera dans le projet de loi – que le seuil démographique minimal pour les CA soit fixé à 300 000 habitants en petite couronne de l’Ile-de-France et à 200 000 dans la zone dense de la grande couronne. On va le faire !
Quelles perspectives financières tracez-vous avec la baisse des dotations de l’Etat ?
Les collectivités doivent contribuer à la mise en œuvre de la réduction des déficits publics. Chacun devra prendre sa part, dans la justice. Nous garantissons une stabilité dans leurs recettes et une plus forte solidarité. Il faut aussi, dans le pacte de confiance et de responsabilité entre les collectivités et l’Etat, une nouvelle étape de la péréquation. Il n’est pas possible de réduire les inégalités territoriales en prenant uniquement de l’argent à l’Etat.
En Ile-de-France, nous nous sommes engagés à créer un fonds de péréquation doté par les départements les plus riches en faveur des plus pauvres. C’est un impératif car les inégalités sont considérables.
Que prônez-vous pour les départements et les régions ?
L’objectif, c’est la stabilisation du financement de la dépense sociale des départements. L’Assemblée des départements de France et la ministre chargée de la Décentralisation traitent cette question dans un groupe de travail que j’ai mis en place. Les régions, de leur côté, souffrent parce qu’elles ont perdu beaucoup d’autonomie fiscale. Nous allons traiter tous ces sujets dans le pacte de confiance dont les conclusions seront intégrées au projet de loi de finances pour 2014.
Où en est le dossier des emprunts toxiques ?
C’est un dossier extrêmement compliqué. Des collectivités ont contracté des emprunts de leur propre chef. D’autres en ont souscrit de bonne foi, pour lesquels elles ont été mal conseillées… Cela a mis en difficulté certaines collectivités. En même temps, il y a un établissement financier qu’il convient de redresser, Dexia, dont les actifs de ce type ont été transférés à la Société de financement local.
La concertation avec les associations d’élus n’a-t-elle pas, finalement, bridé votre ardeur réformatrice ?
Une loi ne peut être l’addition des intérêts de chaque association d’élus. Sinon, il n’y a pas de réforme. Cette réforme, ce n’est ni le grand soir, ni l’acte III de la décentralisation. L’architecture, nous l’avons. Il s’agit, avant tout, de la simplifier. Nous ne reculons pas. Cette réforme de la décentralisation, nous allons la faire !
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