Ministre délégué chargé de l’Economie sociale et solidaire et de la Consommation et figure de proue de la gauche socialiste, Benoît Hamon revient sur un an d’exercice du pouvoir pour la gauche dans une interview donnée à Libération (Laure Bretton)
Un an après la victoire de François Hollande, pensez-vous, comme certains, qu’il faut ouvrir dès maintenant un «deuxième temps» du quinquennat ?
François Hollande a défini lui-même les deux temps de son quinquennat : d’abord le redressement, ensuite la redistribution. Forcément, ce deuxième temps est pensé comme le résultat des efforts qu’on demande actuellement aux Français. Dans cette séquence du «mieux vivre» à venir, il faut hiérarchiser les priorités, c’est certain. Mon obsession à moi, ce sont les classes populaires. Le défi, c’est comment cette majorité sociale se reconnaît à nouveau totalement dans la majorité politique, parce que nous aurons su lui apporter des réponses concrètes et durables. La gauche ce n’est pas qu’une prime de Noël plus épaisse que la moyenne.
A l’heure du «sérieux budgétaire», la gauche doit-elle choisir entre redonner du pouvoir d’achat ou créer des emplois ?
Il est évident que les deux doivent aller de pair. Relancer la consommation dépend de ce que les Français ont dans leur poche mais aussi du nombre d’entre eux qui peuvent consommer grâce à leur travail. Avec le projet de loi sur la consommation que je défends, on ne distribue pas de revenus, mais on agit sur les dépenses contraintes des ménages. Via les actions de groupe, on vise la rente économique indûment captée par les grands groupes au détriment du consommateur, pour la réinjecter dans l’économie utile.
La crise oblige selon vous à penser de nouvelles solutions pour aider les Français. Que proposez-vous ?
Une bonne partie des liquidités injectées par la BCE [Banque centrale européenne, ndlr]est allée vers des valeurs refuges et non vers l’investissement productif. L’arme pour réorienter cet argent en France, c’est la Banque publique d’investissement (BPI) qui ouvre la possibilité - que n’a pas l’Etat - de se refinancer auprès de la BCE. Elle doit jouer son rôle dans le soutien à la nouvelle économie et aux PME, mais aussi dans des domaines socialement utiles.
A quoi pensez-vous ?
Aux crèches par exemple. Aujourd’hui, on estime qu’il manque entre 300 000 et 350 000 places, et nous pourrions créer 10 000 emplois par an dans ce secteur soit 50 000 sur le quinquennat !
Pour des raisons de coût, Hollande avait refusé de reprendre à son compte cette promesse PS d’un service public de la petite enfance…
Il suffit d’orienter une partie des moyens de la BPI vers cette économie de services qui change la vie des gens. Une crèche en plus, c’est utile pour l’enfant, pour les familles et pour le territoire qui l’accueille. C’est du trois en un.
Avec Arnaud Montebourg et Cécile Duflot, vous critiquez l’austérité au niveau européen. Que faut-il changer en France qui nous serait imposé par cette Europe austère ?
Ce que nous disons c’est que l’austérité, c’est la droite. Si elle s’applique en Europe, c’est parce que le continent est dominé par des gouvernements de droite. Les faits montrent que cette politique produit de la récession, du chômage et de la pauvreté. La priorité à l’éducation, les emplois d’avenir ou les moyens donnés à la DGCCRF [Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, ndlr] n’auraient pas existé si nous avions accepté les politiques punitives d’austérité défendues par les droites européennes. Je vois bien le terrain sur lequel certains veulent nous emmener : mettre un signe égal entre le sérieux budgétaire prôné par la France et ce qui se passe en Allemagne avec des emplois à 4 euros de l’heure, ou en Grèce avec une réduction du salaire minimum de 22 % en 2012. Ce n’est pas la réalité. Et si le paysage européen a changé - l’annonce de la Commission européenne aujourd’hui en est la preuve [lire pages Evenement] - la contribution personnelle de Hollande n’y est pas pour rien. Je souhaite que le revirement de doctrine de la Commission ne soit pas qu’une parenthèse. L’Europe doit complètement tourner le dos à l’austérité.
Une partie de la gauche estime qu’Hollande a échoué et réclame dimanche dans la rue une autre politique à l’appel du Front de gauche…
Y aurait-il eu un seul chômeur de moins depuis un an, si Jean-Luc Mélenchon avait été ministre du gouvernement Ayrault, alors que le pays est ruiné par dix ans de politique libérale ? Ce n’est pas certain… La situation sociale d’aujourd’hui est le résultat de politiques qui n’ont rien à voir avec ce gouvernement. Que la gauche de la gauche ne se trompe pas en essayant de nous faire payer les fautes de la droite.
Pacte de compétitivité, crédit d’impôt, accord sur la sécurisation de l’emploi, vote contre l’amnistie sociale : comprenez-vous qu’une partie de la gauche conteste ces choix ?
Quand on entre dans un gouvernement, on accepte forcément de s’effacer en partie derrière les exigences d’un travail collectif. Ce qui ne veut pas dire qu’on abdique ses convictions. Je n’ai pas de problème avec le fait qu’on soit critiqués. Pour certains, la gauche deviendrait forcément impure dès lors qu’elle se frotte à l’exercice du pouvoir. Je ne crois pas à cette fable.
Etes-vous encore le chef de l’aile gauche du PS ? Votre leadership est contesté, car vous avaleriez toutes les couleuvres économiques…
Au sein du gouvernement je ne représente pas un courant. Au pouvoir, on est responsable de l’intérêt général. Un Conseil des ministres n’a pas la même vocation qu’un bureau national du PS. Ce que tout républicain conséquent devrait être en mesure de comprendre… Mon temps aujourd’hui, c’est celui de la réussite de la gauche au pouvoir. Le fait de savoir si cela doit passer par la parole ou par le silence relève de mon choix.
Un ministre de la gauche du PS devient-il mécaniquement un social-démocrate hollandais ?
Il faut arrêter d’assimiler toute participation au gouvernement à de la frustration ou à une capacité à s’accommoder avec petites et grandes trahisons. Notre projet politique c’est de stopper le déclin du modèle français et reprendre la marche du progrès social. C’est la fonction de la gauche et moi je sers cet objectif-là.
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