L'assemblée nationale a adopté une proposition de loi visant à abolir la prostitution et à lutter contre le "système prostitutionnel". Je ne l'ai pas votée. Comme une trentaine d'autres députés PS, je n'ai pas voulu prendre part au vote. Non pas que je sois opposé à toutes les dispositions du texte, bien au contraire. Non pas que j'accepte une quelconque complaisance pour les proxénètes et le trafic d'être humains. Non pas que je sois partisan de la marchandisation du corps, mais parce que je considère que cette loi présente plus de défauts que d'avancées. C'est une position que je partage avec des associations comme Médecins du Monde, le Planning Familial et Aides.
D'une part, elle est abolitionniste dans son inspiration. Je ne crois pas à cette philosophie politique qui voudrait que la prostitution disparaisse car on l'aurait interdite. Au contraire, je pense que cela conduit les personnes prostituées, hommes et femmes, à rejoindre une clandestinité absolue et donc dangereuse. C'est dans le huis-clos de cette clandestinité que se multiplient les risques sanitaires, les violences physiques et la traite. C'est la clandestinité qui renverra la prostitution à des espaces non protégés et qui éloignera les personnes prostituées des structures de prévention. Le Planning Familial l'a dit et nous alerte sur les conséquences en matière de santé publique de ce texte.
Par ailleurs, si je suis d'accord avec l'abrogation du délit de racolage passif, je ne suis pas d'accord avec la pénalisation des clients. Les abolitionnistes considèrent qu'ainsi, c'est la demande qui va être tarie. Je crois plutôt que cela va conduire les clients à exiger encore plus de discrétion et donc de clandestinité. Faire passer le statut de coupable de la personne prostituée au client n'inverse pas le rapport de force entre eux. Les études du Programme des Nations Unies pour le Développement montrent l'échec de ces politiques prohibitionnistes dans les pays comme la Suède qui les ont appliquées. D'autres vont dans le même sens.
Enfin, ce texte de loi défend une approche de la prostitution qui me paraît trop monolithique. C'est ce qui amène certains opposants du texte à considérer cette proposition comme un texte d’inspiration moralisatrice, tournant le dos aux préoccupations de santé publique et niant la complexité des situations en les réduisant à de l’esclavage. Or la prostitution est évidemment diverse, comme le souligne le rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS). Ainsi, elle est essentiellement féminine mais peut aussi concerner les hommes ou les personnes transgenres/transsexuelles. Elle est pratiquée sur une très large tranche d’âge, par des personnes de nationalité française ou étrangère. Elle peut être régulière ou occasionnelle, se pratiquer sur la voie publique ou à l’intérieur, de forme plus ou moins contrainte ou autonome. Cette complexité peut paraître niée par le texte qui nous a été présenté. Que des femmes et des hommes aient recours à la prostitution sans contrainte est aussi une réalité. Les stigmatiser ne résout rien. Cela n'empêche pas évidemment de reconnaître que la majorité des personnes prostituées ne sont pas volontaires et font l'objet d'une traite insupportable
C'est là d'ailleurs l'argument à mon sens le plus favorable au texte.
En quelques décennies la prostitution a changé et aujourd'hui, énormément des personnes prostituées sont des femmes jeunes et étrangères souvent à la merci des réseaux et des trafics. C'est à cela qu'il faut s'attaquer : traquer les proxénètes, traquer celles et ceux qui asservissent et humilient pour leur intérêt personnel. C'est d'ailleurs une des difficultés du présent débat : dire que l'on ne partage pas l'inspiration de ce texte tout en disant notre attachement à ce que la traite et le trafic d'êtres humains soient combattus sans merci.
Le texte présente aussi des dispositions intéressantes. Je pense notamment aux parcours proposés aux personnes prostituées pour sortir de la prostitution. Accompagnement social, protection contre leurs anciens proxénètes, sécurisation de la situation juridique des personnes étrangers et privées de leurs titres de séjour. Beaucoup de choses sont prévues par le texte pour véritablement aider les personnes prostituées.
Ces propositions vont dans le bon sens. Je les soutiens et souhaite que l'on accompagne encore plus ces hommes et ces femmes car je sais aussi que peu ont choisi délibérément la prostitution. C'est évidemment le fruit d'un parcours personnel et toujours singulier, de la précarité, des situations familiales ou conjugales malheureuses et parfois reproduites.
Pour moi, ce sont les deux seules priorités en la matière : lutter contre les proxénètes et la traite des êtres humains, aider les personnes prostituées qui le souhaitent à sortir de leur situation et retrouver une place pleine et entière dans notre société.
Ci-après deux tribunes publiées par Libération pour la premiere, et Le Monde pour la seconde, qui donnent d'autres arguments.
Tribune d'associations et organisations politiques. Publiée par Libération
Pour une approche réaliste de la prostitution
Alors qu’une proposition de loi pénalisant les clients ayant recours aux prostitué-e-s doit être déposée prochainement à l’Assemblée nationale, c’est la question de l’abolition de la prostitution qui est de nouveau posée et à laquelle cette proposition ne répond pas. Dans la ligne du Planning familial, si en tant que jeunes, nous pensons qu’il faut «agir et lutter pour la construction d’une société égalitaire, sans marchandisation et sans violence», nous croyons fermement que «cet objectif ne doit pas nous conduire à agir, ici et maintenant, en aggravant la situation des personnes en situation de prostitution du fait du système prostitueur» .
Cela nous incline d’abord à ne pas faire fi de l’expertise d’organisations nationales (le Conseil national du sida par exemple), et internationales (l’ONU, l’Onusida, l’OMS, ou encore le PNUD), qui sont régulièrement au contact des personnes prostituées, et qui sont toutes unanimes pour dénoncer les lois anti-prostitution comme des obstacles à une prévention efficace des infections sexuellement transmissibles et tout particulièrement du sida.
Le Pnud (Programme des Nations unies pour le développement), dans un rapport sur le VIH et le droit souligne : «Certaines législations pénalisent non seulement le commerce du sexe, mais refusent aussi aux travailleurs du sexe tous les droits civiques fondamentaux auxquels ils peuvent prétendre. […] De telles conditions de vie augmentent la vulnérabilité au VIH, il n’est donc pas surprenant de constater que les travailleurs du sexe sont en général 8 fois plus susceptibles de contracter le VIH que d’autres adultes. […]». Comment en connaissance de cause défendre encore une législation qui ne pourra que détériorer la santé d’une population dont la précarité sociale entrave déjà suffisamment l’accès aux droits et aux soins ?
Nous entendons et partageons la volonté de protéger l’intégrité physique et psychologique des personnes prostituées, mais il est des moments où cette volonté idéologique s’oppose à une réalité de santé publique objective, rationnelle, et empirique. Il ne suffit pas de décréter vouloir invisibiliser la prostitution en l’abolissant pour considérer que le problème est résolu. L’exemple suédois montre de manière cinglante qu’une législation abolitionniste, voire prohibitionniste quand elle pénalise le recours à la prostitution, si elle rend moins visibles les personnes prostituées, ne fait qu’augmenter leur clandestinité, donc leur vulnérabilité, et compliquer le travail de prévention des associations. Surtout l’abolition, et son premier bras armé qu’est la pénalisation des clients ne règle pas la question de l’exploitation sexuelle et de la traite humaine. Le rapport du Pnud démontre que la pénalisation des clients de prostitué-e-s en Suède a été totalement inefficace dans la lutte contre les réseaux mafieux et les a même renforcés dans leur emprise et leur violence : «Depuis son application en 1999, la loi n’a pas amélioré les conditions de vie des travailleurs du sexe, mais au contraire les a empirées.» Ce sont les paradoxes de la bienveillance, et ce n’est pas le féminisme que nous voulons.
L’abolitionnisme prétend combattre la misère. Mais ce n’est pas en s’attaquant seulement à la prostitution ou à sa clientèle et pour ainsi dire, au gagne-pain des personnes qui se prostituent, que l’on met fin à cette misère. Au contraire, on l’aggrave. Rendre plus difficile l’exercice de la prostitution, c’est enfoncer objectivement encore davantage les prostitué-e-s exploité-e-s dans cette misère et aviver d’autant plus le rôle des proxénètes. Nous préférons de notre côté lutter pour une société où l’Etat donnerait à chacun-e, et d’abord à la jeunesse et aux plus vulnérables, les moyens de leur autonomie, nous préférons nous battre pour que les prostitué-e-s étrangèr-e-s victimes d’exploitation se voient délivrer un titre de séjour et ne vivent plus dans la crainte permanente d’être expulsé-e-s, nous préférons en définitive ne pas stigmatiser davantage les personnes prostituées et tout faire pour qu’elles aient droit à la sécurité sociale, à la médecine du travail, à l’assurance chômage, à la retraite, et avoir accès à la formation professionnelle.
En tant que jeunes et progressistes, nous pensons qu’en matière de prostitution, c’est la raison et le pragmatisme qui doivent nous guider. Nous refusons d’ignorer et de mépriser toute l’expertise menées depuis des années par les associations de terrain, les organisations de lutte contre le sida, les professionnels de santé et les institutions. Nous refusons une politique qui contribuera à accroître la précarité d’une population déjà fragilisée. Nous pensons que toutes les mesures répressives en la matière (qu’elle porte le nom de pénalisation, abolition ou prohibition) sont contre-productives, et mettent in fine en danger la vie des personnes prostituées. L’histoire de la santé publique regorge d’exemples abolitionnistes et prohibitionnistes pavés de bonnes intentions et dont les conséquences sanitaires et sociales ont été catastrophiques : nous ne serons pas les complices de celle-là.
Sélim-Alexandre Arrad, Président, Jeunes radicaux de gauche (JRG); Carine Favier et Véronique Séhier, co-présidentes, Planning familial; Bruno Spire, Président, Aides; Denis Quinqueton, président, Homosexualités et Socialisme (HES). Soutien : David Poryngier, président, Mouvement des libéraux de gauche (MLG).
Tribune de parlementaires opposés à la proposition de loi. - publiée par le Monde
Pourquoi nous voterons contre la proposition de pénalisation des clients.
S’il comporte bien quelques mesures intéressantes, tel l’accompagnement des personnes prostituées souhaitant quitter la prostitution ou l’abrogation du délit de racolage (déjà votée au Sénat en mars), cette proposition n’en est pas moins un texte d’inspiration moralisatrice, marqué par un souci d’hygiénisme social, tournant le dos aux préoccupations de santé publique, et niant la complexité des situations de prostitutions pour la réduire à l’esclavage.
POLITIQUES PROHIBITIONNISTES
C’est ce dont témoigne notamment la pénalisation des clients qu’il instaure, des clients qui seraient passibles d’amende, de 1500 euros ou plus, et contraints de suivre des stages de sensibilisation destinés à les faire réfléchir sur les implications et les conséquences de leurs actes. Les politiques prohibitionnistes dont cette mesure s’inspire auront pour conséquence une plus grande précarité pour celles et ceux qui ont recours à la prostitution pour gagner leur vie. C’est le constat que dressent les organisations internationales, comme Onu sida et les ONG qui accompagnent les personnes prostituées dans l’accès à leurs droits.
La prostitution peut aussi concerner les hommes ou les personnes transgenres/transsexuelles et elle est pratiquée sur une très large tranche d’âge, par des personnes de nationalité française ou étrangère. Elle peut être régulière ou occasionnelle, se pratiquer sur la voie publique ou à l’intérieur, de forme plus ou moins contrainte ou autonome. Cette complexité, que met en lumière le rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS), est niée par ce texte.
Que des femmes et des hommes aient recours à la prostitution sans contrainte est une réalité. Les stigmatiser ne résout rien. Il est grand temps, pour la société et a fortiori pour le législateur, de rompre avec ces préjugés, qui humilient ces femmes et ces hommes et qui n’honorent pas celles ou ceux qui en jouent pour des raisons purement idéologiques.
Nous regrettons qu’on n’ait pas assez écouté les personnes prostituées elles-mêmes pour mieux se saisir de la question et éviter d’imposer une loi à toutes et à tous d’une manière autoritaire et non concertée.
ISOLEMENT ET CLANDESTINITÉ
Nous regrettons que les chevilles ouvrières de cette proposition de loi n’aient pas davantage prêté l’oreille aux ONG et aux associations qui s’occupent de la santé des personnes prostituées et leur apportent leur aide, et qui annoncent, si ce texte est voté et appliqué, une précarisation accrue de ces personnes. Elles seront condamnées dès lors à l’isolement et à la clandestinité, travaillant à domicile par internet, plus que jamais à la merci de leurs clients par l’effet d’une raréfaction de la demande, et plus que jamais exposées aux violences ainsi qu’aux risques sanitaires, en raison d’une moindre utilisation des moyens de protection. La pénalisation des clients aura de fait bel et bien les mêmes effets que l’instauration, en 2003, du délit de racolage public.
Nous regrettons que l’Etat, par la loi, s’octroie le droit de décider pour elles ce que les femmes feront ou non de leur corps, bafouant ainsi la première des libertés individuelles, dès lors que celles qui se prostituent le font par libre consentement, que ce choix soit ou non lié à des difficultés économiques ou aux accidents imprévisibles de la vie.
REPRÉSAILLES DES PROXÉNÈTES
Nous regrettons que la proposition de loi en examen réintroduise le filtrage administratif de l’Internet que nous avons abrogé, sans même avoir pris la peine de consulter le Conseil national du numérique contrairement aux engagements du gouvernement.
Nous regrettons que l’autorisation de séjour qu’il est prévu d’accorder aux personnes prostituées étrangères ayant cessé la prostitution soit de six mois seulement. Celles-ci devront-elles ensuite rentrer chez elles et subir les représailles de leurs proxénètes, lesquels n’hésiteront pas à leur faire payer au prix fort leur incartade ?
Nous regrettons que le montant du fonds d’aide pour la protection des victimes de la prostitution demeure dans un flou d’autant plus inquiétant que le contexte actuel de restrictions budgétaires n’autorise guère de charges supplémentaires.
Nous regrettons enfin que l’idéologie radicale qui sous-tend cette proposition de loi irréaliste s’accommode d’une hypocrisie qui ne veut pas dire son nom. D’un côté, le délit de racolage est abrogé. De l’autre, les clients des personnes prostituées sont pénalisés.
A quoi joue-t-on? Légiférer n’est pas moraliser. Et moraliser une société sur le dos des personnes prostituées ne relève certes pas d’une politique éthique.
Quoi qu’il en soit, nous, signataires de cet appel, affirmons qu’une lutte sans faille doit être menée contre le proxénétisme et toutes les formes de traite des êtres humains, lutte qui ne doit pas être éclipsée par un débat à la fois daté, pudibond et moralisateur. Nous voterons résolument contre une proposition de loi qui sacrifie l’éthique politique à l’idéologie.
Collectif d’élus de la majorité et de l’opposition
Les signataires:
Esther Benbassa, sénatrice (EELV) du Val-de-Marne ; Sergio Coronado, député (EELV) des Français établis hors de France ; Kalliopi Ango ella, sénatrice (EELV) des Français établis hors de France ; Isabelle Attard, députée (EELV) du Calvados ; Denis Baupin, député (EELV) de Paris 6. Jean-Marie Bockel, sénateur (UDI-UC) du Haut-Rhin ; Christophe Cavard, député (EELV) du Gard 8 ; Yvon Collin, sénateur (RDSE) du Tarn-et-Garonne ; Pierre-Yves Collombat, sénateur (RDSE) du Var ; Jean-Pierre Decool, député (app UMP) du Nord ; Patrice Gelard, sénateur (UMP) de Seine-Maritime ; Joël Giraud, député (PRG) des Hautes Alpes ; Nathalie Goulet, sénatrice (UDI-UC) de l’Orne ; Sylvie Goy-Chavent, sénatrice (UDI-UC) de l’Ain ; Denis Jacquat, député (UMP) de la Moselle ; Joël Labbé, sénateur (EELV) du Morbihan ; Jean-Yves Leconte, sénateur (PS) des Français établis hors de France ; Hélène Lipietz, sénatrice (EELV) de Seine-et-Marne ; Roger Madec, sénateur (PS) de Paris ; Noël Mamère, député (EELV) de la Gironde ; Jean-Pierre Michel, sénateur (PS) de la Haute-Saône ; Paul Molac, député (EELV) du Morbihan. Barbara Pompili, députée (EELV) de la Somme, co-présidente du groupe écologiste à l’Assemblée nationale ; Henri de Raincourt, sénateur (UMP) de l’Yonne ; Jean-Louis Roumégas, député (EELV) de l’Hérault ; Odile Saugues, députée (PS) du Puy-de-Dôme ; Eric Straumann, député (UMP) du Haut-Rhin.
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