De retour du front, après la déroute électoral
Les campagnes électorales sont des moments particuliers. Propices à des rencontres moins formelles que l'exercice classique d'un mandat, elles sont l'occasion pour nos concitoyens de dire aux élus les choses qu'ils ont sur le cœur.
J'ai vu une France morcelée, inquiète et recroquevillée. L’avenir semble au mieux subi, au pire inenvisageable pour celles et ceux qui sont convaincus de vivre moins bien que leurs parents et que pire encore sera le destin de leurs enfants. La crise de pouvoir d’achat se double d’une crise de confiance ; cela nourrit l’abstention et le rejet d’un système qui parait étranger.
J'ai entendu des besoins. Des hommes et des femmes travaillent, souvent durement, et se trouvent placés dans une position de survie qui transforme chaque incident du quotidien en une bombe à surendettement et à précarité. C’est le lot de millions de ménages que de débuter chaque mois en ayant d’autre horizon que d’assumer des charges plutôt que de prévoir des dépenses correspondant à des besoins ou, mieux, des envies. A cette crise de la précarité, à ces générations qui se considèrent comme déclassées, vient d’ajouter la ségrégation territoriale.
Ce sont les familles des quartiers dits prioritaires qui ont vécu le désengagement des services publics et qui vivent la rupture avec un monde de l’emploi qui semble toujours s’éloigner. Les mêmes qui n’en peuvent plus d’entendre les discours stigmatisants tenus des opposants à la mixité sociale qui n’ont jamais de mots assez durs pour qualifier les logements sociaux à défaut d’oser dire leur appréciation des locataires. Ce sont aussi les familles qui habitent des villages désertés par les commerces et par les services publics, qui vivent dans la crainte de ne plus pouvoir assumer le coût des études nécessairement lointaines de leurs enfants. Ces familles dans lesquelles le coût de la mobilité est une charge fixe. Ces familles en demande de sécurité et de tranquillité, pour qui la peur, même parfois irrationnelle, vient s'ajouter à l'angoisse du lendemain.
Quiconque connait ces familles sait que «l’assistanat» n’est qu’un concept idéologique utilisé par celles et ceux qui veulent caricaturer les outils de la solidarité pour mieux les détruire.
Ont-ils déjà croisé le regard d’un adolescent qui demande une aide sociale pour régler la note de cantine ? Ont-ils déjà rencontré la honte de ces ouvriers aux mains en argent qui, brutalement, se trouvent face à un conseiller de Pole Emploi avec comme seul espoir un contrat intérimaire ?
Condamner la France des déclassés est plus facile sur un plateau de télévision que dans les cages d’escaliers empruntées par celles et ceux qui n’en peuvent plus d’attendre.
Le «système». C’est celui auquel nous appartenons toutes et tous malgré nos efforts pour paraître nous en extraire. S’il est devenu le bouc-émissaire facile des difficultés de chacun, c’est aussi car le fossé est désormais béant entre celles et ceux que nous sommes et celles et ceux que nous représentons.
La classe politique, les lieux d’exercice du pouvoir et les méthodes qui sont les nôtres sont autant de motifs de différenciation. Fils d’ouvriers, je mesure cet écart – parfois les yeux écarquillés devant les symboles de la République comme devant ses ors – alors mêmes que d’autres me dénieront désormais le droit d’appartenir à la même classe ou au même camp social qu’eux sans même que je puisse leur reprocher. Cette distance mise par les citoyens, entre eux et leurs représentants, tient en réalité plus à la nature de l’action qu’aux symboles que j’évoque.
Il y a des fronts à ouvrir. Le plus emblématique est celui de la réorientation de la construction européenne. L’Europe est vue comme un Goliath aveugle et cannibale. Clef et verrou de tout. C’est cette victoire qui rendra à la politique son utilité et sa raison d’être. C’est ce combat qui sonne comme un préalable aux batailles à mener sur la question du pouvoir d’achat et de la rigueur budgétaire, à celle des services publics et de la réussite éducative. C’est ce combat évidemment qui s’impose pour que nous soyons enfin efficaces sur le front de l’emploi.
Nous devons aussi changer nous-mêmes. Les résultats des élections municipales ont montré que nos concitoyens souhaitent le renouvellement, et ce à l’aune de l’échec électoral des élus en poste depuis souvent très longtemps. Les nouveaux visages, jeunes et moins jeunes, ont été plébiscités dès lors qu’ils offraient une alternative construite et porteuse d’un message d’avenir. La droite l’a entendu et cela lui permet aujourd’hui de voir arriver aux responsabilités locales toute une génération d’élus comme la gauche l’avait vécu…en 1977.
Notre famille politique semble dans l’incapacité de véritablement renouveler ses responsables depuis l’émergence de la génération Jospin, et ce, même si Martine Aubry a permis l’arrivée au parlement d’une nouvelle génération d’élus, impliqués et engagés dans le travail parlementaire.
Les élections municipales de mars 2014 marquent un recul historique de notre implantation locale. Nous ne pouvons pas être seulement le parti de celles et ceux qui vont bien, qui ont le loisir de penser leur avenir et de se projeter, qui innovent et qui découvrent. Il nous faut aussi redevenir le parti de celles et ceux qui souffrent et qui doutent. Cela implique que nous aussi puissions douter et nous interroger, réfléchir et changer.
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