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Tout cela n’est pas vraiment limpide. Ce jugement de l’opposition sur la réforme territoriale “d’ampleur” de Manuel Valls a sa part de vérité. Le Premier ministre prévoit simultanément des avenirs reconfigurés et à calendrier variable pour la région, l’intercommunalité et le conseil départemental. De quoi heurter bien des intérêts. Au moins le retour à la suppression de la clause de compétence générale fait-il consensus ? Même pas.
Pourtant le deuxième projet de loi de décentralisation présenté le 14 mai en Conseil des ministres va affronter au plus près les réalités de la carte territoriale à la française. Un schéma d’organisation va être donné aux acteurs locaux pour les dix ans à venir. C’est méritoire, mais comme souvent avec les gouvernements Hollande, on s’embarque sans doctrine globale et sans point fixe prévu à l’arrivée. Entre l’affirmation des métropoles, thème du premier projet de loi, et l’affirmation du développement économique des régions, thème du deuxième projet de loi, comment trouver les nouveaux équilibres ?
En contrepoint apparaît le risque d’officialiser la géographie d’une France économique à deux vitesses. De quelle façon alors organiser les nouvelles solidarités avec les zones déconnectées des circuits de la mondialisation ? “Qui va faire de la péréquation ? On va parler de la clause de compétence générale au lieu de dire qu’est-ce qu’on veut faire de la France. Qu’est-ce qu’on fait du reste ?”, s’insurge François Sauvadet, député UDI, président du conseil général de la Côte-d’Or.
La frontière des compétences ne sera pas étanche
Marylise Lebranchu, ministre de la Décentralisation, de la Réforme de l’Etat et de la Fonction publique, essaie de répondre tant bien que mal à tous ces défis contradictoires. L’instruction de Manuel Valls est claire : “Dire qui fait quoi, c’est un gage d’efficacité et de réactivité. Des compétences spécifiques et exclusives seront donc désormais attribuées aux régions et aux départements.” Dans le même temps, communes et intercommunalités conserveront leur régime de “libre administration” et leur compétence générale.
Si le principe est clair, l’application sur le terrain l’est beaucoup moins. En supprimant la clause “générale”, l’idée est d’obliger les acteurs locaux à la clarification. Dans le projet de loi du 14 mai, les compétences obligatoires des régions vont être renforcées autour du développement économique et de la formation professionnelle. L’impact sera majeur puisque le département n’a à l’inverse aucune maîtrise “en dur” sur l’économie. La région pourra certes déléguer à d’autres échelons mais aura la responsabilité d’ensemble de l’organisation des subventions. Un chiffre donne le vertige : les services de Marylène Lebranchu ont recensé pas moins de 6 000 dispositifs d’aides économiques directes pour 6,5 milliards d’euros ! Les seuls coûts de gestion sont estimés à 11 %. La rationalisation permettra de mutualiser la flopée d’agences et de structures diverses qui surveillent le tout. Ce sera 500 millions d’euros de dépense “structurelle” en moins. De quoi mesurer les efforts nécessaires pour récupérer les milliards à économiser.
De son côté, le département va se recentrer sur ses compétences obligatoires, du RSA aux routes en passant par les allocations autonomie ou handicap. En attendant mieux, ou carrément de disparaître à l’horizon 2020… Mais tant que le département existe, il garde la “solidarité territoriale” : toute une série de projets, par exemple pour les écoles, ne peuvent pas se faire sans le département. Il faut laisser à l’intercommunalité le temps de monter en puissance. Attention, il y a un garde-fou : il devra s’agir d’un “projet de territoire”. De quoi, pour les optimistes, freiner la frénésie de ronds-points et de pots de fleurs.
Cette plongée de la future loi dans le “vécu” a également conduit le gouvernement à prévoir un certain nombre d’exceptions. La frontière des compétences ne sera pas étanche ! Le tourisme, le sport et la culture resteront des compétences partagées. Olivier Dussopt, député PS de l’Ardèche, rapporteur de la loi, explique que le tourisme s’appréhende “par territoire plus que par collectivité”. Exemple : on va passer des vacances en Bourgogne ou en Bretagne mais certainement pas en PACA , car on va à Saint-Tropez ou à Cannes. Voilà pourquoi il ne fallait pas tailler dans le vif. Idem dans le domaine sportif où il serait difficile de dire quel échelon doit assumer les compétences pour tel sport de compétition ou telle association. Quant à la culture, elle est par nature “trans-courant” ou si l’on préfère “multi-échelon”. Que reste-t-il dans ces conditions du levier de transformation que devait être la fin des doublons avec la fin de la clause “générale” – si flagrants dans le tourisme. Trop d’exceptions tuent la règle.
Une clarification à la carte
Il y a de quoi frémir. Où va-t-on dénicher les 11 milliards d’euros de baisse des dépenses dans “nos” collectivités ? D’autant que les compétences des communes ne seront jamais encadrées car “elles répondent à un besoin de proximité”. Bien sûr, il leur sera proposé des outils pour “économiser” sans dégrader le service au citoyen : ainsi en est-il des mécanismes pour encourager la mutualisation, ainsi en est-il du principe du chef de file “intéressant” – pour gérer les exceptions. Région par région, une Conférence de l’action publique permettra une clarification à la carte soit par “chef de filat” soit par spécialisation. “Le faux débat sur la libre administration des collectivités, cet alpha et oméga de la décentralisation, disparaît dès lors que l’on double ce débat d’une clarification soit par chef de filat soit par la spécialisation, ce qui vaut suppression assumée de la clause de compétence générale”, assure Olivier Dussopt.
Un tel cheminement gagne en pragmatisme ce qu’il perd en efficacité. En regard des objectifs de diminutions de dépenses publiques, le curseur n’est pas au bon endroit. Dans son analyse de l’organisation territoriale, la Cour des comptes était sans détour : “Le tourisme doit être confié aux régions et une clarification s’impose dans l’action culturelle et le sport.”
Le gouvernement n’aura pas convaincu non plus les opposants. André Chassaigne, député Front de gauche du Puy-de-Dôme, président de groupe, est le plus virulent : “La clause de compétence générale est indispensable à la démocratie locale sinon les élus locaux vont devenir de simples fonctionnaires appliquant des politiques déjà décidées.”
Dans ces conditions, la petite musique du rapprochement entre certaines régions relève plus du divertissement que d’une véritable stratégie de clarification des compétences entre les échelons. C’est un grave malentendu.
Par Jean-Michel Lamy
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