Le 5 mai dernier, avec 33 de mes collègues et le soutien du groupe SRC, nous avons déposé une proposition de loi relative à la suppression du crédit revolving, au renforcement de la responsabilité du prêteur et de la lutte contre le mal endettement.
Cette proposition de loi est le fruit de nombreuses auditions et reprend les objectifs de nombre d'associations de consommateurs. Elle est plus ambitieuse que la réforme du crédit proposée par Christine Lagarde.
Douze lois ont été adoptées depuis 1989 pour encadrer le crédit à la consommation. Mais la protection du consommateur demeure insuffisante à régler des situations financières de plus en plus complexes.
L’apparition de formes de crédits faciles à contracter et l’évolution du recours à l’endettement sont préoccupantes. En tête des instruments de crédits, le crédit permanent, plus connu sous le nom de crédit revolving, est une forme de crédit consistant à mettre à disposition d’un emprunteur une somme d’argent sur un compte dévolu à ce titre et ouvert auprès de l’établissement qui dispense ce crédit, de façon permanente.
Les premières offres de crédit revolving sont apparues en France en 1965. Le service financier des grands magasins Galeries Lafayette, en partenariat avec CETELEM, l’établissement de crédit, est à son origine. Le système copiait ce qui existait déjà dans les grands magasins aux États-Unis depuis les années 1930. L’objectif était de faciliter les ventes. De mineure à l’origine, cette forme de crédit est désormais devenue très importante en s’adressant d’abord aux classes populaires au revenu annuel moyen compris entre 11 478 et 20 942 euros, qui représentent 41,5 % des crédits renouvelables. Le crédit revolving a rencontré un « succès populaire ». Selon la Banque de France, la part de l’encours de crédit renouvelable dans le total du crédit à la consommation a perdu 6 points entre 1998 et 2007, mais elle demeure à un niveau de 21 %. Actuellement, son encourt est de 1105 euros par ménage, plaçant la France au troisième rang européen derrière le Royaume-Uni et les pays-Bas.
Cette forme de crédit agit comme un substitut au maintien du pouvoir d’achat des ménages précarisés et fragilisés, mais avec un taux effectif global énorme qui dégage des marges indécentes pour les acteurs économiques du secteur. En réalité, le crédit revolving s’apparente trop souvent à un crédit « revolver » braqué sur la tempe des plus faibles. L’établissement créancier vise non pas à octroyer une aide au coup par coup, mais bien à maximaliser la rentabilité du client ; ce qui passe par sa fidélisation.
À cette dérive, il convient d’ajouter les conditions actuelles de démarchage et de délivrance de ces crédits, qui confinent à l’abus de faiblesse. Les conseils pressants des vendeurs soumis à l’obligation de vente de crédits par leur hiérarchie visent à orienter le client vers une solution de crédit alors même que le paiement immédiat pourrait être effectué. À l’égard des ménages les plus faibles, les établissements de crédits qui pratiquent cette politique agressive de vente s’apparentent à des marchands de malheur. Comment est-il possible d’accepter la souscription de crédit renouvelable par téléphone, qui méprise toute connaissance interpersonnelle entre le conseiller commercial de l’établissement de crédit et le candidat au crédit ? Dans ce mode de relations téléphoniques, les travaux de la sociologue Hélène Ducourant montrent que « l’octroi du crédit sollicité est déterminé par le score du candidat, statistiquement prédictif de sa capacité de remboursement, score établi automatiquement sur la base des réponses apportées par le candidat à une batterie de questions concernant sa situation socio-démo-économique. » Évidemment, les techniques de vente sont faites pour promouvoir la vente du produit aux taux les plus élevés du marché. Ainsi, le faible temps d’entretien conduit le candidat au crédit à résumer sa propre situation économique et sociale. Il conduit à une analyse insuffisante des besoins réels et des capacités de remboursement de l’emprunteur, qui se trouve piégé dans un système prévu pour durer. Un tel système doit être supprimé. Le crédit revolving doit être interdit pour le bien de tous.
Les questions sociales sont essentielles dans la préhension du phénomène de mal endettement et de surendettement. Le Médiateur de la République le posait le 14 décembre 2006 : le surendettement est la conséquence d’une transformation des rapports sociaux. La cause peut en être trouvée dans « la financiarisation des rapports sociaux ». « Le crédit s’est aussi imposé comme un moyen banal pour financer un projet ou pour faire face à un besoin ponctuel et imprévu de liquidité. Alors que s’endetter était un signe de déchéance sociale, le système encourage maintenant l’endettement : à consommation de masse, crédit de masse ! »
Une telle situation est d’autant plus délicate que ces crédits permettent au consommateur de financer les achats de son choix. Ce ne sont plus seulement les achats exceptionnels pour lesquels le recours au crédit est opéré, mais l’ensemble des dépenses de la vie courante. Vivre à crédit signifie aussi désormais concrètement s’endetter à un taux d’intérêt de plus de 20 % pour se nourrir.
À ce titre, l’endettement pour les produits de consommation est d’abord la conséquence de l’augmentation du coût de la vie et des difficultés à consommer. Les pressions à la consommation désormais érigée en acte de citoyenneté active par des pouvoirs publics anxieux d’une baisse de la consommation, principal moteur de l’économie française, poussent chacun à vouloir toujours plus pour se conformer à la norme sociale.
Dans un chapitre Ier, nous proposons l’interdiction des crédits renouvelables (art. 1er), l’augmentation du délai de rétractation en conformité avec la directive 2008/48/CE concernant les contrats de crédits aux consommateurs (art. 2 et 3).
Dans un chapitre II, nous proposons l’abrogation de l’hypothèque rechargeable (art. 4), installé en France en 2007 sur le modèle du prêt hypothécaire anglo-saxon dit « mortgage » qui a amené à force de sophistication, la crise des « subprimes ». Ce montage implique que le bien est en réalité la propriété du créancier puisqu’il constitue pour lui une garantie. Or, la valeur du bien est, dans ce système, directement au fondement du pouvoir d’achat des ménages. Un ralentissement ou retournement du marché immobilier, comme il est visible aujourd’hui dans de nombreuses régions de France, conduit ainsi à une fragilisation plus grande encore des ménages. Le risque d’effet boule de neige sur la « richesse » du pays est réel. Malgré l’onction présidentielle sur ce système, il convient donc de revenir à des instruments classiques de notre droit sans emprunter à des modèles de droit anglo-saxon des instruments dangereux qui ont prouvé leur capacité à plonger le monde dans la crise.
Avec le chapitre III, nous proposons une responsabilisation des cocontractants du crédit. La création d’un fichier national des crédits aux consommateurs (art. 5), qui ne se substitue pas au fichier national des incidents de paiement caractérisés liés aux crédits aux particuliers (FICP) permettra à chacun de connaître précisément sa situation d’endettement, à quelque moment que ce soit. Indisponible aux établissements de crédits et géré exclusivement par la Banque de France, à qui les établissements de crédits adresseront tous leurs contrats, ce fichier sera interrogé par le seul emprunteur, qui pourra ainsi faire sa déclaration préalable au contrat de crédit sur le fondement d’informations fiables (art. 6). Au-delà de ce fichier, les prêteurs engageront leur responsabilité financière pour les prêts accordés sans s’être préalablement informés de la situation du client, en cas de défaillance de ce dernier. Ils ne pourront procéder au recouvrement (art. 7). La commission de surendettement des particuliers vérifiera par ailleurs les conditions dans lesquelles chaque créancier a accordé un prêt. En cas de comportement non conforme du prêteur, elle recommande la suppression des intérêts dus au titre du crédit considéré et peut mettre à la charge de l’établissement des indemnités, au plus égales au capital restant dû (art. 8). Les débiteurs sont aussi responsabilisés. Ainsi, il ne sera plus permis d’opposer à la communauté ou à l’indivision les dettes contractées par l’un des membres sans le consentement expressément accordé de la communauté ou de l’indivision (art. 9). La gestion du FICP doit aussi être revue afin de ne pas handicaper des particuliers à mauvais escient. Une procédure contradictoire est organisée dans un temps court, cinq jours, avant transmission des informations par la banque au dit fichier (art. 10). Enfin, la responsabilisation passe par une modification des modes de rémunération des vendeurs qui sont amenés à proposer des crédits. La part variable de leur rémunération assise sur la vente de crédits, part d’autant plus importante que le vendeur est efficace, doit être interdite (art. 11). Des négociations salariales doivent s’ouvrir pour accorder des salaires décents aux vendeurs sans qu’ils soient soumis à la pression de résultats de vente qui peuvent fragiliser les clients.
Avec les dispositions contenues dans le chapitre IV, nous souhaitons encadrer la publicité. Il s’agit d’interdire la vente de lots promotionnels liés à l’acceptation d’une offre préalable de crédits (art. 12), d’interdire la distribution et l’ouverture de crédits dans le lieu même de vente du bien de consommation, de même que d’interdire cette distribution et ouverture à distance par téléphone comme cela se pratique (art. 13), ou de laisser entendre que la souscription d’un crédit améliorerait la situation financière de l’emprunteur (art. 14) Nous souhaitons aussi que le taux d’usure soit clairement mentionné dans les messages publicitaires (art. 15).
Nous proposons en outre, avec le chapitre V, de réviser le taux annuel effectif global (art. 17) et les règles afférentes avec la définition du taux usuraire (art. 18), l’obligation de mentionner clairement ce TEG au consommateur (art. 19 et 21), de réguler le taux variable des contrats de prêt (art. 20).
Le chapitre VI (art. 22, 23, 24) nous permet d’aborder la question de l’exécution du contrat de crédit, et donc de la relation entre le débiteur et le créancier durant la durée de l’endettement.
Enfin, dans le chapitre VII (art. 25, 26, 27), nous adaptons les règles du rachat de crédit aux prescriptions que nous indiquons pour l’ensemble des opérations de crédit.
Le crédit n’est pas un instrument d’enrichissement. Il permet des facilités de vie et ne doit pas être travesti de cette mission pour assouvir l’appât du gain d’établissements financiers. L’adoption de l’ensemble de ces mesures permettra d’assainir un marché devenu trop souvent facteur de misère supplémentaire.
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