Mercredi 27 mai, l'Assemblée Nationale a adopté une résolution qui, une fois validée par le Conseil Constitutionnel, vaudra réglement intérieur.
Pour la première fois sous la Ve République, le réglement de l'Assemblée n'a pas été adopté par consensus... C'est un évènement grave mais motivé par le fait que ce réglement est inspiré par le seul esprit de revanche du groupe UMP et sa seule volonté de réduire autant que possible les droits de l'opposition. Le Président de l'Assemblée, Bernard Accoyer (UMP) avait fait une proposition plus acceptable mais son groupe ne l'a pas suivi. La machine à écraser et humilier était lancée...
Nous contestons les limites mises à l'expression tant pour la durée que pour le nombre des intervenants. Nous contestons la remise en cause du droit d'amendement. Nous contestons tout simplement ce changement de régime voulu par le Président de la République, en total décalage avec les déclarations d'intention de sa réforme constitutionnelle en juillet 2008.
Notre collègue Jean-Jacques Urvoas, député du Finistère, a expliqué les raisons de notre opposition lors de cette séance du 27 mai. Vous pouvez retrouver son intervention dans la suite de cet article.
La parole est à M. Jean-Jacques Urvoas, pour le groupe SRC.
M. Jean-Jacques Urvoas. Monsieur le président, mes chers collègues, avec ce vote se termine la phase parlementaire de la révision de juillet dernier.
En apparence, dans quelques instants, les votes des uns et des autres sembleront cohérents : vous étiez favorables à la révision et vous allez voter pour la modification du règlement de notre Assemblée ; nous y étions opposés et nous allons voter contre. Pourtant, dans la réalité, ce scrutin va faire une victime : le débat démocratique au sein de cet hémicycle.
M. Richard Mallié (ump). C’est scandaleux !
M. Jean-Jacques Urvoas. C’est d’ailleurs un paradoxe. En effet, il y a un an, nous partagions un diagnostic : il ne pouvait y avoir de réforme significative de la Constitution sans renforcement de grande ampleur du Parlement, à la fois dans ses missions législatives et dans sa fonction de contrôle de l’exécutif.
M. Richard Mallié (ump). Vous auriez mieux fait d’écouter M. Goasguen !
M. Jean-Jacques Urvoas. Pour notre part, nous avions vu, dans cette perspective, davantage qu’une modification des institutions et des textes. Il s’agissait, ni plus ni moins, d’instaurer une nouvelle pratique du pouvoir laissant plus de place à la délibération collective, afin de redonner force et vigueur à l’espérance démocratique. Telle fut la perspective dans laquelle nous nous sommes inscrits, depuis la révision jusqu’à cette résolution, en passant par le projet de loi organique.
Pourtant, avec constance, vous avez refusé nos amendements, ce qui, pour une part, était logique : nous ne partageons pas la même lecture de la fonction parlementaire. En matière institutionnelle, les projets présidentiels présentés en 2002 par Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal étaient différents. Votre candidat souhaitait « rééquilibrer la Ve République » ; la nôtre dénonçait la « présidentialisation croissante du régime » et militait pour « une république nouvelle ». Les Français ayant choisi, il était normal que vous soyez en mesure de concrétiser la lecture de Nicolas Sarkozy. Cependant, vous avez aussi rejeté une partie de nos amendements qui n’avaient d’autre ambition que d’améliorer le fonctionnement interne de notre assemblée. Ce fut singulièrement le cas lors de ce débat.
Le règlement d’une assemblée comme la nôtre ne saurait se résumer à la somme, plus ou moins bien agencée, de dispositions parcellaires. Ce n’est pas un dispositif qui viendrait combler les lacunes du droit parlementaire. Ce n’est pas non plus un instrument qui tendrait à se substituer aux usages ou aux coutumes tenant lieu de précédents, parfois codifiés par des auteurs célèbres.
Le règlement, mes chers collègues, est un élément essentiel de la vie parlementaire. Le doyen Vedel avait même l’habitude de dire que le règlement « donne sa physionomie vivante au régime représentatif ». De fait, c’est la charte acceptée par tous et qui fonde l’unité collective. C’est une référence durable qui ne doit être modifiée que dans l’intérêt de l’institution. Elle n’a pas pour vocation de refléter le succès d’une majorité.
Le règlement ne peut mépriser certains au profit de quelques autres, détenteurs d’un pouvoir par essence éphémère. Il ne lui revient pas d’être oppressif. Pourtant, par votre choix, demain, celui-ci le sera. La dureté des faits viendra contredire la promesse de vos mots. Vous êtes en train d’ajouter l’autoritarisme au parlementarisme rationalisé et au fait majoritaire.
À nos yeux, vous avez fait de ce règlement – le « vous » s’adressant en l’espèce au président du groupe UMP – un arsenal où vous comptez venir vous fournir pour mener à bien vos prochains combats. Il semble que vous ayez oublié ce que répétait Philippe Séguin quand il présidait cette assemblée : « La démocratie ne se résume pas à la loi de la majorité : elle s’exprime surtout dans le respect des droits de la minorité ».
À ce propos, je voudrais, au nom du groupe SRC, saluer le président de notre assemblée, Bernard Accoyer, pour la façon dont il a dirigé nos débats. (Quelques applaudissements sur les bancs du groupe SRC.) Nous regrettons simplement que le groupe auquel vous appartenez – « le groupe le plus important qui n’est pas de l’opposition », puisque vous avez refusé de vous définir comme « la majorité » dans le règlement de l’Assemblée – ne vous ait pas suivi. Ce groupe a une marque de fabrique, qui est aussi celle de Nicolas Sarkozy : l’excès de pouvoir, devenue la règle et non l’exception. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR. – Vives protestations sur les bancs du groupe UMP.)
M. Richard Mallié (ump). Scandaleux !
M. Jean-Jacques Urvoas. Mois après mois, nous constatons que le dévoiement progressif de nos institutions résulte d’un plan délibéré, mené de manière méthodique, et non d’une suite d’escarmouches lancées au hasard.
Demain, notre travail d’opposants sera rendu plus ardu dans cette enceinte, puisque vous allez tenter d’étouffer notre voix. Pourtant, n’en doutez pas, les obstacles que vous dressez sur notre chemin n’entameront pas notre volonté de le poursuivre, avec une vigueur renouvelée par l’adversité. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
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