Mon collègue Jean-Jacques Urvoas, Député du Finistère, a publié un article sur le fonctionnement actuel de l'Assemblée. Il démontre parfaitement que la réforme du règlement de l'Assemblée, présentée comme favorable aux droits du Parlement en général et de l'opposition en particulier, a conduit en réalité à une dégradation de la capacité de l'Assemblée Nationale à peser dans le débat et à rester un lieu d'échanges constructifs.
J'adhère totalement à son propos et je vous invite à en prendre connaissance.
"Cela va faire un an que l’Assemblée nationale a modifié son règlement pour adapter son fonctionnement à la révision constitutionnelle de 2008.
S’il est sans doute un peu tôt pour dresser un état des lieux exhaustif, un constat pourtant s’impose: le Palais Bourbon s’étiole. Loin d’avoir débouché sur une rénovation de la procédure législative et une revalorisation de la fonction parlementaire, l’application de la réforme en question se traduit par la perte de l’une de ses fonctions les plus importantes, celle de cœur battant du débat politique.
Pour nos gouvernants, les studios des médias sont devenus les seules arènes utiles de la démocratie, d’autant plus prisées que la contradiction y est rare. Consentir à débattre à l’Assemblée avec l’opposition? Une perte de temps! Justifier ses choix en s’efforçant de présenter une argumentation raisonnée? Quel intérêt? Confronter les analyses pour éclairer l’avenir? Les sondages suffisent bien! Accepter que soit contrôlée l’efficacité des lois votées? Quelle plaisanterie!
C’est donc sans vergogne qu’aussi discrètement que patiemment, le gouvernement, avec la complicité active d’un groupe UMP inféodé, dévitalise l’Assemblée nationale en multipliant de manière totalement inusitée l’usage des diverses possibilités offertes par la Constitution et en les conjuguant aux ressources étonnantes du Règlement réformé.
Règle n°1: ne pas passer trop de temps à débattre
Pour se faire, le gouvernement applique presque systématiquement la procédure dite «accélérée» aux différents textes. Prévu dans l’art. 42 al. 2 de la Constitution, ce mécanisme a une conséquence: les deux chambres ne discutent qu’une seule fois du texte.
Si sous la précédente législature, seuls 25% des textes étaient examinés suivant cette procédure, depuis 2007, 60% d’entre eux s’y trouvent soumis, dont évidemment les principales lois…
La boulimie législative de ce gouvernement explique une telle dérive. Au 1er janvier 2010, pas moins de 117 textes avaient d’ores et déjà été adoptés (28 propositions de loi et 89 projets de loi), sans naturellement tenir compte des conventions internationales! On comprend qu’au vu des exigences induites par cette frénésie confinant à l’intempérance, il faille prendre ses aises avec les vertus de la délibération dans un parlement bicaméral…
Règle n°2: encadrer l’expression de l’opposition
L’instrument imaginé à cette fin a constitué la principale innovation du règlement réformé Il s’agit d’un dispositif intitulé «temps législatif programmé», qui permet à la Conférence des présidents où la droite est naturellement majoritaire, de fixer non seulement la durée de la discussion générale mais aussi de l’examen de l’ensemble d’un texte, celui des articles compris.
Au sein de ce dispositif conçu comme une arme contre l’obstruction, le temps des débats est donc globalisé, toutes les interventions des députés étant décomptées sur le volume des groupes, sauf celles du président de la commission et du rapporteur (qui sont le plus souvent UMP). Bien sûr, les ministres échappent aussi à la règle.
Ainsi par hypothèse, lorsqu’un groupe a épuisé le temps qui lui a été attribué, la parole est refusée à ses membres. Et comme personne ne peut plus s’exprimer, les amendements déposés par ce même groupe sont simplement mis aux voix sans débat…
On retrouve bien sûr ici le fil rouge de la volonté du président de la République: réduire les débats à leur plus simple expression.
3ème règle: ne pas se faire imposer des amendements non désirés.
On applique alors la procédure dite du «vote bloqué» prévue à l’art. 44 al. 3 de la Constitution. D’une mise en œuvre particulièrement aisée, elle permet, en écartant tout amendement ou en n’intégrant que ceux auxquels le gouvernement souscrit, de ne mettre aux voix que le texte exact voulu ou accepté par le ministre.
L’Assemblée ne se prononce alors que par un seul vote sur tout ou partie du texte. Depuis 2007, il en a déjà été fait usage à vingt occasions dont neuf étaient des textes présentés par l’opposition lors des journées d’initiative parlementaire!
Le gouvernement innove aussi par la conjugaison de ce «vote bloqué» avec une demande de scrutin public appelé «vote solennel».
Ce dernier permet, à la discrétion de la Conférence des présidents, de reporter le suffrage à un autre jour que celui où sont débattus les articles. Cette procédure permet ainsi aux députés de l’UMP et du Nouveau Centre de se dispenser de rester en séance lors des discussions, leur présence étant seulement requise lorsqu’est organisé le vote solennel.
Il s’ensuit des scènes assez tristes -récemment encore lors du suffrage sur l’évolution du statut de La Poste-, où un parlementaire qui assurait l’explication de vote de son groupe n’avait pas participé une seule minute au débat de fond…
Là encore, la cadence du recours à ce vote solennel est soutenue puisqu’il a déjà été appliqué 65 fois depuis juin 2007, c’est-à-dire plus que durant la totalité de la législature 1997-2002 (62 usages). Insidieusement s’installe ainsi l’habitude de ne plus faire voter les députés que le mardi. Il est vrai que c’est l’un des rares jours où les bancs de l’hémicycle sont correctement garnis…
Naturellement l’intérêt du cumul des deux mécanismes réside dans la garantie pour le gouvernement d’éviter toute mauvaise surprise quant à l’issue du vote. En fixant le scrutin un mardi en fin d’après-midi juste après les questions au gouvernement, et en opérant des coupes claires parmi les amendements, notamment issus de l’opposition, un texte a toutes les chances d’être adopté sous la forme décidée." Jean-Jacques URVOAS
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