Par le Club Droits, Justice et Sécurités Pascal Beauvais, Thomas Clay,Christine Lazerges, professeurs de droit, Robert Finielz, Gilbert Flam, Jean-Paul Jean, magistrats, Marie Burguburu, Sabrina Goldman, Jean-Pierre Mignard, avocats, Christian Mouhanna et Pierre Piazza, chercheurs.Depuis huit ans, Nicolas Sarkozy répète aux Français qu’il est le seul à pouvoir éradiquer la délinquance, présentée comme le fléau n°1 de notre pays.
Aujourd’hui, alors qu’il a été cinq ans ministre de l’Intérieur, puis trois ans président de la République et superministre de l’Intérieur, la réalité le rattrape et son discours bégaie. Malgré ses proclamations solennelles et martiales, les Français constatent une dégradation constante de leur situation et un abandon du service public de la sécurité, particulièrement dans les quartiers en difficulté.
Cet échec du «premier flic de France», c’est celui de toutes les chimères qui ont nourri son discours en matière de sécurité et la sanction d’une stratégie fondée sur des idées simplistes et fausses.
Il a d’abord affirmé que la force était au cœur d’une stratégie gagnante, qu’elle devait être visible et qu’il ne fallait pas hésiter à l’utiliser. Symboliquement, il a immédiatement supprimé la police de proximité, ôtant du terrain les policiers les plus proches de la population, sans doute les mieux à même de recueillir les renseignements nécessaires au travail de police.
Il a préféré une stratégie plus médiatique : «projection de forces», quadrillage et même «ratissage des banlieues» par des forces spécialisées, de plus en plus militarisées, qui ne font illusion que l’espace d’une opération. Dans le 9-3 comme à Grenoble, il nous parle maintenant de «guerre».
En fait, il a confondu politique de sécurité et propagande sécuritaire. Il a privilégié l’émotion, les formules martiales et la stigmatisation des jeunes, des minorités visibles et des étrangers. Pour lui, la société est partagée entre d’un côté des victimes et de l’autre des délinquants. Dès lors, le policier n’est plus là que pour contrôler et interpeller, le magistrat pour condamner et emprisonner. Quant aux préfets, ils sont maintenant recrutés parmi les policiers proches du pouvoir. Cette politique s’est accompagnée d’une frénésie législative permettant au gouvernement d’afficher sa «fermeté». Chaque fait divers médiatisé a entraîné une réponse législative et la création de nouvelles infractions, ou l’aggravation des sanctions existantes. C’est cet empilement de textes qui a tenu lieu de politique pénale.
Le Président a choisi un libéralisme sécuritaire, imposant le management par le résultat et la «politique du chiffre» pour «réveiller» les policiers. Au fil des mois, policiers et gendarmes ont reçu des instructions pour faire baisser ou augmenter telle ou telle statistique, pour alimenter ou illustrer les initiatives du gouvernement en matière de sécurité.
Les critères d’évaluation de la «performance» policière ont abouti à des résultats aberrants comme l’explosion du nombre des gardes à vue inutiles et injustifiées. Plutôt que de concentrer leurs efforts sur la lutte contre les violences aux personnes, la corruption et l’économie souterraine, les policiers ont été incités à interpeller les consommateurs de cannabis, les prostituées et les étrangers en situation irrégulière.
Avec le projet Loppsi 2, Nicolas Sarkozy veut maintenant nous faire croire que le recours massif aux nouvelles technologies renforcera l’efficacité d’une politique qui a déjà fait faillite. Le discours officiel se concentre sur les armes «non létales», le contrôle du Web, les dispositifs de vidéosurveillance et la multiplication des fichiers. Mais aucune réflexion n’est engagée sur l’efficacité de ces nouveaux outils et sur les menaces qui pèsent sur les libertés individuelles.
Le gouvernement impose aux collectivités locales le développement de la vidéosurveillance, rebaptisée «vidéoprotection», alors que les études menées au Royaume-Uni montrent qu’elle ne peut jouer de rôle dans la prévention de la délinquance et du terrorisme que dans des conditions très particulières, qui devraient amener à en limiter l’usage. Le ministre de l’Intérieur multiplie les fichiers qui permettent de collecter des informations sur des millions d’individus, sans les mesures nécessaires pour lutter contre la faiblesse du régime de protection des données à caractère personnel et les erreurs constatées dans ces fichiers.
Ces dispositifs ne sont destinés qu’à masquer les diminutions d’effectifs programmées et leur mise en œuvre s’accompagne d’un transfert de charges et de responsabilité vers les collectivités locales et les sociétés de sécurité privées.
Malgré tous ses efforts, les résultats de Nicolas Sarkozy sont pitoyables et inquiétants : forces de police vécues comme des forces d’occupation par les populations qu’elles sont censées protéger, maintien de zones de non-droit et d’économiesouterraine, développement des trafics qui «contaminent» parfois des populations fragilisées par la crise et augmentation des violences aux personnes.
Son échec nous inquiète. Sa politique conduit à un affaiblissement du lien social et à un recul de l’espérance, notamment pour les populations les plus fragiles, qui sont les premières victimes de la crise et de l’insécurité.
Une rupture est nécessaire si nous voulons éviter une montée du communautarisme, de l’extrémisme religieux et une radicalisation de l’électorat lors des prochaines élections.
Une véritable politique de sécurité ne peut être que globale et doit prendre en compte les aspects économiques et sociaux. Elle doit assurer la prévention, la protection, la répression et la réinsertion. Elle appelle une révolution culturelle chez les acteurs de la sécurité si l’on veut que la population adhère à cette politique et que les policiers redeviennent des «gardiens de la paix».
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