Avec Christian Paul, député de la Nièvre, Germinal Peiro, député de la Dordogne, Michel Vergnier, député de la Creuse, Fabien Bazin, conseiller général et maire dans la Nièvre, Jean-Philippe Huelin, animateur du site "vers un bouclier rural", nous continuons à travailler sur la problématique du développement en zone rurale.
Dans ce cadre, nous avons publié une tribune sur le site internet de l'hebdomadaire Marianne sur les questions de santé et d'accès aux services de santé.
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Aujourd’hui, les mobilisations pour défendre l’égalité de tous en matière de santé demeurent massives dans le monde rural. Les protestations pour maintenir et moderniser l’offre de soins sur des territoires abandonnés par la République sont évidemment nécessaires et utiles parce qu’elles obligent à imaginer et à inventer des solutions concrètes et adaptées à des territoires en mutation. Exode urbain, modernité d’un nouveau modèle de vie rurale, demande sociale légitime de partager les grands choix de politiques publiques, dépassement des logiques comptables à court terme sont, en effet, le socle de cette réflexion. Les suppressions de blocs chirurgicaux, les fermetures de services et en particulier de maternités de proximité, témoignent de l’aveuglement du gouvernement en matière de santé publique. Des propositions sont pourtant sur la table, issues notamment de la mission parlementaire sur l’offre de soins conduite en 2008. Le monde rural attend de l’Etat des actes concrets. Le « Bouclier rural » comporte des garanties dans le domaine sanitaire afin de stopper la désertification médicale à la campagne.
Une inégalité réelle !
Notre système de santé, longtemps glorifié comme l’un des meilleurs du monde, présente aujourd’hui de redoutables symptômes : un financement fragilisé, un pilotage contesté et éclaté, et surtout, la multiplication des inégalités d’accès à des soins de qualité qui foulent aux pieds le droit à la santé, principe reconnu par la constitution de notre République et exigence éthique essentielle.
Les progrès scientifiques et technologiques ont rendu la médecine plus fiable, mais les impasses de la prévention, de l’organisation des soins et de la démographie médicale privent un grand nombre de Français du bénéfice réel de ces performances. Derrière la crise budgétaire bien réelle, est apparue la fracture sanitaire. Le désert médical, surtout dans le monde rural, s’est installé. Ses conséquences, encore mal mesurées, sont très diverses : territoires oubliés ou relégués, délais d’accès en cas d’urgence incompatibles avec l’efficacité minimale, permanence des soins approximative. Ses origines sont forcément complexes : médecine générale méprisée, spécialités désertées, prévention notoirement insuffisante, etc.
Dans le domaine de la santé comme dans celui de l’Education, en matière d’action publique, les fruits se récoltent à moyen et long terme. Ainsi, les choix politiques à faire aujourd’hui ne trouveront-ils leur plein impact que dans un délai de deux à quatre ans voire à plus de 10 ans. Il est donc plus que temps de décider et d’agir. Trop de retards s’accumulent, qui font perdurer l’irresponsabilité, l’impuissance publique et découragent les acteurs réellement engagés sur le terrain.
Les conditions brutales et souvent anarchiques dans lesquelles sont conduites les restructurations hospitalières ont également un impact fort sur l’accès aux soins. Elles désorientent les patients et démotivent les professionnels. La coordination des soins entre la ville et l’hôpital s’en trouve désorganisée, elle est pourtant primordiale. En effet, les hôpitaux de proximité constituent un renfort indispensable pour les médecins généralistes. Les urgences et les SMUR évitent de faire peser sur les seuls praticiens de ville ou de campagne la responsabilité des situations graves. Pour de nombreuses spécialités (gynécologie, radiologie…), l’hôpital proche est un point d’appui qui renforce l’attractivité et la sécurité des territoires.
L'une des décisions indispensables sera de fixer des normes d’accès pour les soins de premier recours et pour la prise en charge hospitalière d'urgence :
L’accessibilité aux soins dans l’espace s’est dégradée. La distance géographique en temps de transport pour accéder à un généraliste ou un spécialiste s’est accrue. Il convient donc de prévoir un délai d’accès maximum, en fonction de la géographie réelle : 20 minutes d’un accueil de médecine générale, 30 minutes pour un service d’urgence (et un SAMU ou SMUR) et 45 minutes pour une maternité.
L’accessibilité financière aux soins, malgré les progrès liés à la CMU, se heurte aux déremboursements, aux franchises, aux coûts de transports et plus encore à l’effet des dépassements d’honoraires et à l’absence, dans certains territoires, de recours possibles à un médecin du secteur I. Nous devons en conséquence réduire les obstacles financiers par le plafonnement (conventionnel et légal) des dépassements d’honoraires. L’information des patients (devis préalable…), nécessaire, n’est pas suffisante. Préserver l'accès pour tous aux praticiens du secteur I nécessite qu'une politique de quotas soit appliquée au secteur II.
La lutte contre les déserts médicaux réclame une méthode de concertation mais aussi du courage. La loi Hôpital, patients, santé et territoires n’est clairement pas à la hauteur des enjeux. Cet « accord global » doit privilégier une mutation en profondeur des conditions concrètes d’exercice des professions médicales.
La prévention et les missions de santé publique doivent prendre toute leur place : il est urgent de « changer le logiciel », trop exclusivement polarisé sur le curatif. Pour l’avenir, il faut placer la santé avant les soins ! C’est en particulier le rôle du médecin traitant qui ne saurait se borner à rester un « distributeur de soins ».
Les regroupements qui s’opèrent entre professionnels de santé ne sont pas un effet de mode mais une nécessité pratique et humaine. Maisons de santé dotées d'un vrai projet médical, centres de santé, réseaux sont les modèles innovants de l’organisation professionnelle, dans les quartiers comme dans le monde rural, pour rompre l’isolement et mieux partager les tâches. Cet objectif de coopération entre les professionnels doit être encouragé vigoureusement par les pouvoirs publics comme le font depuis longtemps de nombreux pays étrangers.
Un nouveau métier, fondant un nouveau statut, doit être négocié et défini pour le médecin généraliste (et étendu à d’autres disciplines). En améliorant ainsi les conditions d’exercice, cela favorisera sans nul doute l’installation. Ce statut doit comporter plusieurs volets :
- Une définition de la médecine de premier recours, avec « un mandat de santé publique » au profit de la population d’un territoire, de prévention, de suivi des maladies chroniques, de permanence des soins.
- Une double rémunération, distinguant une partie forfaitaire liée à ces missions et le paiement des actes, dans un cadre fiscal et social unique et simplifié, lui permettant d’être à la fois libéral, salarié, vacataire, contractuel dans plusieurs lieux s’il le souhaite.
- Un transfert massif de tâches des médecins vers les autres professions de santé est nécessaire pour redonner du temps médical réel pour les praticiens, aujourd’hui en « surchauffe ». Cet appui est à trouver par du secrétariat partagé et la délégation de tâches auprès d'autres professionnels (pharmaciens, infirmiers…), en particulier pour les maladies chroniques.
- De la formation continue, obligatoire et soutenue financièrement, pour permettre l’actualisation des connaissances mais aussi l’évolution des carrières.
Nous insistons sur les améliorations à opérer à l’université pour former autrement la future génération de médecins:
- gestion des effectifs globaux, par discipline et par régions, en fonction des besoins.
- déroulement des cursus et des stages permettant en temps utile la connaissance de la médecine générale, y compris rurale.
- ouverture réelle, pour les étudiants aux disciplines non hospitalières, l’affirmation de la filière de médecine générale, tragiquement sous-dotée en postes universitaires titulaires. Sa réhabilitation aux yeux des nouvelles générations d’étudiants est une priorité absolue.
Il ne suffit pas de rappeler que les dépenses de santé sont socialisées, et que la majorité des revenus des professionnels provient de l’argent (public) de l’Assurance maladie. Il importe d’associer l’ensemble des professionnels et les organisations qui les représentent à la résorption des inégalités territoriales. Dans de nombreux départements, cette réflexion a cheminé : regroupements pluridisciplinaires, réseaux, régulation (libérale) de la permanence des soins, voire participation à l’urgence vitale. Mais l’extrême disparité et le déséquilibre géographique des installations depuis des décennies ne sont désormais plus acceptés par la société française. C’est une cause nationale : l’Etat comme l’Assurance maladie ne sauraient laisser la réponse au désert médical à la seule initiative des professionnels les plus motivés ou à la charge des collectivités locales.
Les incitations financières doivent être évaluées, encadrées pour éviter la concurrence des territoires (« on répond au désert par la jungle ») et mieux ciblées (accorder des bourses d’études cofinancées par l’Assurance maladie assorties de l’engagement d’exercer cinq ans en zones sous-denses, ou bien demander leur remboursement…). Elles sont cependant insuffisantes.
C’est pourquoi, il est devenu nécessaire de freiner les installations dans les zones excédentaires. Sans drame, les infirmier(e)s ont montré l’exemple, dans une démarche conventionnelle, en subordonnant les installations aux départs dans les zones trop denses. Nous soutenons une démarche de « réponse graduée, mais ferme ». Elle conjuguerait des mesures désincitatives (sur les charges sociales), un conventionnement plus sélectif (quotas d’installations nouvelles). Dans un avenir proche de 2 à 3 ans, si le déséquilibre actuel n’est pas endigué, des plafonds d’installation pour une période de dix ans pourraient être instaurés dans les zones excédentaires. Pour mieux coller au terrain, les critères pour établir ces zonages (excédent/déficit) doivent être revus et discutés.
Ce sera l’une des missions clés des Agences régionales de santé. Nous en approuvons le principe, pour une unité d’action et pour remédier à l’émiettement de l’Etat dans le domaine sanitaire. Le cloisonnement, le corporatisme, les concurrences excessives entre établissements de santé figurent également parmi les raisons du désordre actuel.
Une démocratie sanitaire participative est à inventer avec les élus, les associations d’usagers et de patients. Il s’agit en premier lieu de mettre en œuvre la seconde étape de la loi du 1er mars 2002 relative aux droits des malades. C’est une garantie pour que les choix répondent aux besoins, et pour prévenir les excès du centralisme, fût-il régional, qui gomme les inégalités territoriales. C’est pourquoi le mode de gouvernance des ARS ne saurait signifier une « étatisation », même rationalisée, ni se réduire à une simple redistribution des rôles entre l’Etat et les partenaires de l’Assurance maladie. La prise en compte de la géographie concrète, l’aménagement sanitaire infrarégional, la sécurité et l’accès réel aux soins nécessitent une participation accrue des élus et des représentants des territoires.
L’offre de soins de premier recours doit être élaborée en « pôles de santé », où les acteurs bâtissent ensemble un « projet médical de territoire ». Ce travail d’animation territoriale doit s’appliquer à la médecine de premier recours, pour la réhabiliter vigoureusement dans la noblesse et la diversité de ses missions. C’est vrai également pour la modernisation négociée du réseau hospitalier. Il importe en effet de préserver l’autonomie des établissements au sein de « communautés » mutualisant les personnels et les moyens. Les ARS devront être garantes de cette coopération hospitalière, entre grands centres hospitaliers et hôpitaux de proximité, en évitant le « cannibalisme hospitalier ». Des « MIGAC de continuité territoriale » doivent permettre de gérer les quelques dizaines d’exceptions géographiques, nécessitant le maintien de services en-dessous des seuils habituels et des dérogations sur l’application de la tarification à l’acte comme des choix transparents et adaptés en matière de développement des services de soins à domicile.
« Ré-humaniser les villes et revitaliser les campagnes », comme le propose Edgar Morin, passe par ce patient travail d’imagination et de remise en cause des idées reçues que veut promouvoir le bouclier rural. Sachons nous en saisir pour réparer une République aujourd’hui abimée !
Fabien BAZIN, conseiller général de la Nièvre, maire de Lormes
Jean-Philippe HUELIN, animateur du site « Vers un bouclier rural »
Christian PAUL, député de la Nièvre, président du laboratoire des idées
Michel VERGNIER, député de la Creuse
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