Martine Aubry a donné une interview au Monde le 1er septembre dernier sur l'école et les moyens à donner au système éducatif pour assurer l'égalité des chances.
L'éducation est une de vos priorités ?
Je propose aux Français une refondation de l'école. C'est une des priorités de mon projet pour la France. Je veux retrouver l'école de la République, celle qui instruit les élèves, leur donne des savoirs et compétences, leur transmet des valeurs, contribue à leur insertion citoyenne, sociale et professionnelle. L'école doit fournir les outils qui permettent à chacun de donner sens à sa vie et de tirer le meilleur de soi-même. J'accomplirai cette refondation avec l'engagement des enseignants, des professionnels de l'éducation, des parents d'élèves, parce que c'est toute la société qui doit se mobiliser pour son école.
Quel état des lieux faites-vous ?
Notre école souffre d'une double difficulté. Notre société n'a pas réfléchi à la nécessaire adaptation de son école à un monde qui a changé. Mais, surtout, depuis dix ans elle, est abîmée par le pouvoir : des classes toujours plus chargées, un encadrement affaibli par la réduction du nombre de postes, la diminution de la scolarisation des enfants de deux ans, la suppression de la carte scolaire, des programmes et des évaluations étriqués, mal pensés. Au bilan, la France est le pays dans lequel les écarts entre les résultats des élèves de milieux favorisés et ceux des élèves de familles pauvres sont les plus importants, et cette iniquité ne cesse de croître.
Qu'est-ce qui va faire le cœur du projet Aubry ?
Notre école ne peut pas se contenter de quelques aménagements. La ségrégation et la compétition précoce qui caractérisent notre système scolaire élitiste ne servent ni les enfants qui rencontrent des difficultés, ni les autres. Je veux rompre avec cette logique. Je défends un service public d'éducation national, avec des règles et des protections communes, mais qui est capable de personnaliser ses réponses au plus près des besoins.
Je veux construire un parcours scolaire cohérent, adapté à chacun, de l'école maternelle à l'enseignement supérieur. La scolarité obligatoire, de 3 à 16 ans, doit amener tous les élèves à la maîtrise d'un socle de culture commun, intégrant l'enseignement technologique et professionnel, mais aussi l'ouverture à la culture et aux sports. Dans ce parcours individualisé, des objectifs communs seront donnés à tous. Par exemple, à la fin de l'école primaire, tous les élèves devront maîtriser les savoirs et les compétences fondamentales, la lecture, l'écriture, le calcul, tout en étant familiers de l'environnement informatique ou de l'anglais.
L'objectif est noble, mais comment y parvenir ?
Nous ne pourrons pas tout faire tout de suite. Je commencerai par remettre en place une formation professionnelle des enseignants, avec une entrée progressive dans le métier. J'adapterai les moyens accordés aux établissements en fonction de la réalité des élèves et des territoires concernés : moins d'élèves par classe dans certains établissements en difficulté, plus d'élèves là où tout fonctionne bien.
Je reviendrai sur la réforme absurde qui a imposé la semaine des quatre jours à l'école primaire, en mobilisant l'ensemble des partenaires – personnels de l'éducation, parents, associations d'éducation populaire et collectivités locales – pour que l'allongement des rythmes éducatifs profite pleinement au développement des élèves.
Il faudra donc être prêts pour que, dès l'été, les mesures d'urgence soient prises pour éviter que la rentrée 2012 soit la catastrophe annoncée. Et il faut préparer cela sérieusement dès aujourd'hui. C'est la raison pour laquelle j'ai déjà rencontré les syndicats d'enseignants à la veille du rendez-vous de La Rochelle. Je négocierai avec les enseignants un nouveau contrat, dans lequel je leur donnerai la capacité d'innover, de travailler collectivement et d'adapter leur métier aux besoins.
Vous revenez sur la définition de leur métier ?
Mais – ils le savent d'ailleurs très bien et, pour l'immense majorité d'entre eux, c'est déjà le cas – le travail des enseignants ne commence pas quand ils franchissent la porte de leur salle de classe. Il ne se termine pas quand ils ont fini de corriger leurs copies. Ce qu'il faut, ce qui doit changer, c'est que ce temps de concertation pour mener des projets, pour accompagner les élèves individuellement, pour recevoir des parents soit plus clairement défini et que l'organisation de leur métier réponde à ces objectifs.
Si vous êtes élue demain, que leur proposez-vous ?
Je souhaite engager avec eux, dès le lendemain de la primaire, une large concertation. Les sujets, nombreux, sont sur la table et seront au cœur du contrat que nous passerons avec eux.
Et en échange de ces missions supplémentaires, vous les revalorisez ?
Il est vrai que le budget de l'Etat que nous laissera le pouvoir en place sera particulièrement contraint. Mais nous devons investir dans les secteurs qui préparent l'avenir, comme l'école. Et je sais qu'il y a des marges de manœuvre et des redéploiements possibles.
Les études de l'OCDE montrent que les enseignants français sont mal payés et insuffisamment reconnus dans notre société. La revendication est donc légitime. Mais, outre les salaires, la revalorisation, c'est aussi bien d'autres choses. Valoriser, c'est aussi faire confiance, en donnant aux enseignants une plus grande autonomie pédagogique, pour qu'ils puissent se concerter et travailler en équipe, partager et transmettre les initiatives qui marchent et qu'il faut mutualiser. Valoriser, enfin, c'est considérer les enseignants comme de véritables concepteurs de leur métier. L'école de demain ne se construira ni sans ni contre eux.
En Finlande, pays modèle pour l'école, les enseignants n'ont pas tous les mêmes obligations. Cela vous semble-t-il envisageable ?
Les besoins ne sont pas les mêmes partout, et certains ont davantage encore besoin de ce temps de travail en équipe. Dans les zones d'éducation prioritaire, je souhaite que les enseignants aient moins d'heures devant leurs classes pour pouvoir s'y consacrer.
Que répondez-vous à ceux qui estiment que votre projet n'est pas si loin de celui de Monsieur Sarkozy ?
Mon projet pour l'école est à rebours du leur, qui encourage la marchandisation de l'école et du savoir. Pour moi, il n'est pas question de remettre en cause le statut de fonctionnaire et de les faire recruter par les chefs d'établissements. Pas question de leur imposer d'enseigner des matières dans lesquelles ils ne sont pas compétents ou qu'ils ne souhaitent pas. La droite a recruté des enseignants à Pôle emploi ! C'est tout le contraire que je veux faire, en leur redonnant la sérénité indispensable à l'exercice de leur métier, tout en l'adaptant aux besoins d'aujourd'hui.
Voilà enfin un vrai projet cohérent pour que l'Éducation Nationale redevienne un vrai service public à part entière, pour l'avenir de nos enfants et des générations futures.
Rédigé par : Michel Bonet | 06 septembre 2011 à 08:32