La Gazette a réuni, le 24 avril 2012, Philippe Dallier (UMP) et Olivier Dussopt (PS), représentant l'un Nicolas Sarkozy, l'autre François Hollande. Entre le vice-président du groupe UMP au Sénat et le vice-président de la Fédération nationale des élus socialistes et républicains (FNESR), une pomme de discorde : la participation du secteur local au redressement des comptes publics.
Dotations et autonomie fiscale
Comment définissez-vous la relation qu’entretient « votre » candidat avec les élus locaux ?
Philippe Dallier : Quand Nicolas Sarkozy parle de corps intermédiaires, il ne vise pas les élus locaux. A l’UMP, nous sommes nombreux à considérer qu’il faut un acte III de la décentralisation. Nous estimons simplement que les collectivités locales ne peuvent être utilisées comme « boucliers sociaux » face au gouvernement.
Olivier Dussopt : Au contraire de Nicolas Sarkozy, François Hollande a confiance dans les élus locaux. Il est l’un d’entre eux. Il a su tisser des liens très forts avec tous ceux, à gauche, qui administrent les collectivités municipales, départementales et régionales. Plus de la moitié de ses soixante propositions ne peuvent s’appliquer sans le concours des territoires. Si nous l’emportons, nous présenterons un acte III de la décentralisation au Parlement avant la fin de l’année 2012. Cette réforme supprimera le conseiller territorial et clarifiera les compétences de chacun. Dans le même temps, nous maintiendrons et garantirons le niveau des dotations de l’Etat durant toute la durée du quinquennat. En cas de retour de la croissance, la contribution aux collectivités sera augmentée en vertu d’une clause de retour à meilleure fortune.
N’est-ce pas là que se situe le principal clivage ?
P. D. : La ligne de partage, c’est effectivement la rationalisation. Nous voulons un système public local plus efficace et moins coûteux là où, de l’autre côté, on se contente de dire qu’on va davantage décentraliser. La diminution de l’enveloppe normée s’imposera à nous si la situation économique se tend encore.
O. D. : On connaît le refrain, la gauche va transférer toutes les compétences aux collectivités, augmenter les impôts et plonger la France dans la situation de la Grèce !
P. D. : Je n’ai jamais déclaré cela ! J’ai simplement dit que l’Etat n’avait plus de visibilité. Ses recettes fiscales se sont effondrées de 25 % en 2009. Pourtant, il a fait de nombreux efforts. La dotation de solidarité urbaine a plus que doublé. Elle est passée de 600 millions d’euros en 2004 à 1,3 milliard aujourd’hui. Alors, de grâce, arrêtez de hurler avant d’avoir mal !
Nicolas Sarkozy veut tout de même baisser les dotations aux collectivités et aux intercommunalités de plus de 30 000 habitants qui remplacent plus d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite…
P. D. : C’est un sujet extrêmement compliqué. Les délégations de service public à des entreprises privées n’entrent pas dans ce calcul. Elles ont pourtant un coût pour le contribuable parfois plus élevé que le travail en régie. De même, la palette des compétences varie fortement d’une interco à une autre. C’est la raison pour laquelle je suis davantage favorable à des critères fondés sur des ratios de coût par compétence et par strate démographique.
O. D. : Nous n’acceptons pas cette condamnation a priori des élus. Les collectivités ne sont pas responsables de l’endettement. Elles sont assujetties à la règle d’or. La proposition du candidat sortant est tout à fait contraire au principe d’autonomie des collectivités affirmé par la Constitution. Celles-ci doivent de nouveau disposer d’une fiscalité dynamique à leur main. Cela passe notamment par des pouvoirs sur la détermination du taux de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE).
P. D. : Revenir à des taux modulables en fonction des territoires comme vous le souhaitez, c’est permettre aux plus riches de fixer des taux bas. Dans le même temps, vous ne cessez de pointer le risque d’une compétition entre les territoires. Vous n’êtes pas à une contradiction près ! Arrêtons de nous plaindre de notre manque d’autonomie fiscale et budgétaire. N’oublions pas que nous sommes plutôt bien lotis par rapport à nos collègues allemands et anglais.
Lien avec l’Etat et cumul des mandats
Comment comptez-vous rétablir la confiance entre les collectivités et l’Etat ?
P. D. : Je suis plutôt partisan que certaines compétences très coûteuses pour les départements, comme le revenu de solidarité active (RSA) et l’allocation personnalisée d’autonomie (APA), à la charge des départements, soient recentralisées.
O. D. : Vous mettez le doigt sur ce que nous dénonçons depuis ces transferts, en 2004. Les modalités et le niveau de compensation entraînent de graves difficultés pour nos conseils généraux. Dans ces domaines, gardons un mécanisme d’Etat. Sinon, le risque d’une rupture de l’égalité entre les territoires serait trop grand.
Souhaitez-vous relancer la Conférence nationale des exécutifs Etat-collectivités qui ne s’est plus réunie depuis avril 2010 ?
O. D. : François Hollande a indiqué la voie dans son discours de Dijon, le 2 mars 2012. Il a appelé à un dialogue Etat-collectivités beaucoup plus construit sur les questions d’autonomie fiscale, de péréquation et de normes. Cela passe par un haut-conseil des territoires, rassemblant des représentants du Sénat et des associations d’élus, et regroupant notamment les actuels Comité des finances locales et Commission consultative d’évaluation des normes.
P. D. : Dès qu’un problème se présente, vous créez une commission ! Quel travers français ! Nous avons déjà une institution qui représente les collectivités : le Sénat. Le dialogue doit donc, avant tout, se dérouler en son sein. C’est d’ailleurs ce que dit la Constitution. Nous n’avons pas à transférer le pouvoir aux associations d’élus et à une commission extra-parlementaire. Fort heureusement, nous ne sommes pas soumis à un mandat impératif. Si, au Parlement, des majorités, fussent-elles de rencontre, veulent défaire ce que vous avez décidé dans votre commission « tartemuche », elles le feront !
O. D. : Mais nous ne proposons ni commission ni transfert !
P. D. : Alors de quoi parlez-vous ?
O. D. : D’un lieu où seront réunies toutes les parties prenantes et qui permettra, en cas de restriction du cumul des mandats, de garder le lien avec les territoires.
Quel serait le périmètre de cette limitation du cumul des mandats ?
O. D. : François Hollande a été clair : les parlementaires et les ministres ne pourront pas présider l’exécutif d’une collectivité ou d’une intercommunalité à fiscalité propre. Et ce mouvement doit s’accompagner d’un renforcement du statut des élus.
P. D. : Vous voulez laver plus blanc que blanc. Vous faites croire à nos concitoyens que le cumul est une horreur absolue. C’est assez désolant. Avec le mandat unique, le maire en place qui perdra les élections n’aura plus rien. S’il n’est ni fonctionnaire, ni profession libérale, il ira « pointer » au RSA car sa « boîte d’origine » ne voudra pas de lui. Au Sénat, beaucoup de mes collègues socialistes, et même certains élus Verts, sont très réservés face à cette mesure.
O. D. : Si j’étais moi-même un militant acharné du mandat unique, je ne serais pas député maire. Mais c’est ainsi. Cette remise en ordre et cette longue marche vers l’éthique vont dans le sens de l’Histoire.
P. D. : Dans le sens du vent, vous voulez dire !
Organisation à la carte et pouvoir normatif
Etes-vous partisan d’une organisation politique et administrative à la carte ?
P. D. : Le conseiller territorial est le bon instrument pour sortir du modèle napoléonien dans lequel sont structurées exactement de la même manière la Seine-Saint-Denis et la Lozère. Les Alsaciens qui sont en train de constituer une collectivité unique région-départements nous donnent une bonne leçon ! Ailleurs, si la base prend la décision, on n’ira pas très loin. Sur le Grand Paris, c’est au chef de l’Etat d’impulser la direction. Or François Hollande s’en remet aux élus réunis dans le syndicat mixte d’études Paris métropole. Comme pour sa commission « tartemuche » ! Il veut fédérer tout ce qui existe, c’est-à-dire ajouter une nouvelle couche dans le millefeuille sans rien changer à l’existant ! Claude Bartolone (président PS du conseil général de la Seine-Saint-Denis), Bertrand Kern (président PS de la communauté d’agglomération Est Ensemble dans la Seine-Saint-Denis) et beaucoup de collègues de province comme Gérard Collomb (maire PS de Lyon) jugent pourtant que les départements n’ont plus de raison d’être en petite couronne (Paris, Hauts-de-Seine, Seine-Saint-Denis). Il faut aller vers la fusion avec les intercommunalités. Hélas, nous n’avançons pas parce que Jean-Paul Huchon (président PS de la région Ile-de-France) n’entend pas bouger et que Bertrand Delanoë (maire PS de Paris) dépend de lui pour financer son tramway.
O. D. : L’Ardéchois que je suis n’est pas le plus à même pour vous répondre. Tout ce que je peux vous dire, c’est que François Hollande souhaite que la position des élus soit mieux prise en compte, notamment au sein de la Société du Grand Paris (chargée de mettre en œuvre les projets de transports et d’aménagement, ndlr) aujourd’hui dominée par l’Etat. Nous savons aussi que, en termes de transports ou de logements, nous ne pouvons pas en Ile-de-France rester sur un découpage classique commune-département-région.
Les prérogatives des régions doivent-elles être augmentées ?
O. D. : Nous souhaitons renforcer leurs pouvoirs dans le domaine de l’emploi et de la formation professionnelle. Leurs schémas régionaux d’aménagement du territoire doivent devenir prescriptifs. Il faut aussi que les régions prennent les compétences en matière de développement économique qui leur ont été refusées, en 2004, par le gouvernement et le Parlement. Enfin, nous souhaitons, après autorisation du Parlement, leur donner un pouvoir quasi-normatif pour adapter au cas par cas un certain nombre de lois à la réalité des territoires.
P. D. : Que l’on puisse moduler, sous le contrôle du Parlement, l’organisation territoriale, très bien. Mais au nom de l’égalité républicaine, ne mettons pas le doigt dans l’engrenage de l’adaptation des lois. Je vois trop les excès en termes de déficits publics et d’endettement auxquels peut conduire le fédéralisme en Espagne.
Quels seraient, en cas de victoire de François Hollande, les modes de scrutin aux élections cantonales et régionales ?
O. D. : Notre réflexion se poursuit pour les cantonales. En ce qui concerne les régionales, nous sommes favorables au mode de scrutin appliqué en 2004 et 2010.
P. D. : Mais personne ne connaît ses conseillers régionaux ! Le scrutin de liste favorise l’éloignement. Les contribuables ne font pas le lien entre la feuille d’impôts et les décisions de tel ou tel élu. La remarque vaut aussi pour les cantonales en milieu urbain. Rien n’a changé depuis l’époque de Coluche. Quand arrivent les cantonales dans la Seine-Saint-Denis, les électeurs se demandent toujours s’ils ne vont pas élire le cantonnier !
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