Vous trouverez ci-après le discours prononcé par Marylise Lebranchu, Ministre de la Réforme de l'Etat, de la Décentralisation et de la Fonction Publique à l'occasion des voeux pour l'année 2013.
Ce texte trace la feuille de route de la réforme de l'organisation territoriale et de l'action publique sur les territoires. Je serai, au cours de cette année, très impliqué sur ce texte qui devrait d'abord être examiné au Sénat puis à l'Assemblée, après avoir été adopté en conseil des ministres au début du mois de mars.
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Permettez-moi, en mon nom personnel et au nom d’Anne-Marie Escoffier, de vous remercier de votre présence pour cette cérémonie de voeux, qui est la première que j’organise dans ce ministère, mais qui correspond aussi au trentième anniversaire d’une des grandes lois de décentralisation portées par Gaston Defferre et Pierre Mauroy.
Il y a trente ans en effet paraissait la loi du 7 janvier 1983 dite "loi portant répartition de compétences entre les communes, les départements, les régions et l’Etat". Cette loi procédait au premier transfert de compétences.
Elle faisait elle-même suite à la première loi de 1982, qui avait posé le cadre de la décentralisation.
Ces lois ont changé la France. Elles ont libéré les collectivités de la tutelle de l’Etat. Elles ont surtout permis d’inventer de nouvelles politiques publiques, de mieux répondre aux besoins de la population et de donner aux élus les responsabilités qu’ils attendaient depuis des décennies.
Et si je me permets d’y faire référence, ce n’est ni par nostalgie, ni pour l’anecdote, mais au nom des impératifs de l’actualité et des défis de l’avenir.
En 1982 déjà, la décentralisation a correspondu à un besoin vital pour une France en crise. C’était la conviction des auteurs de la loi, notamment de François Mitterrand, qui avait eu cette phrase : "La France a eu besoin de la centralisation pour se faire. Elle a besoin de la décentralisation pour ne pas se défaire."
Trente ans après, la décentralisation est toujours aussi nécessaire car, chacun le sent bien, c’est de la mobilisation commune de l’Etat et des collectivités locales que viendra la solution à la crise économique que traverse notre pays. Soutien des PME, formation des jeunes, logement, enseignement supérieur, recherche, culture, environnement, écologie : c’est ensemble, Etat et collectivités, que nous serons à la hauteur des attentes des Français pour relever ces défis.
Voilà pourquoi le Gouvernement a décidé d’engager sans attendre cette nouvelle étape de décentralisation. Non pas par principe, mais parce que nous sommes tous animés par une conviction : c’est que nos territoires sont des lieux de démocratie, d’énergie, de vitalité, d’innovation, de croissance. Et qu’au moment où il faut redresser la France, où il faut chercher des gisements pour l’investissement, pour la formation, pour l’innovation, c’est sur les territoires que nous les trouverons.
C’est le premier pilier du projet que le Gouvernement prépare en ce moment même. Sa priorité est d’aller jusqu’au bout de la logique des blocs de compétences sur certains sujets. Le Président de la République lui-même en a dessiné les grands axes, qui seront repris à l’article 2 du projet de loi :
Aux régions les compétences économiques et de formation professionnelle.
Aux départements, une mission renforcée de garant de la solidarité entre les hommes et de la cohésion des territoires, dans tous les domaines, et pas seulement dans le domaine social.
Au bloc communal, la responsabilité de mettre en oeuvre la transition énergétique avec le logement, l’urbanisme et les mobilités.
Et puis enfin, l’émergence d’une nouvelle réalité institutionnelle pour les métropoles voulue par le Président de la République. Les propositions du Gouvernement en la matière seront fondatrices car elles donneront les moyens à nos plus grandes aires urbaines de jouer un rôle moteur décuplé sur la scène nationale et internationale. C’est un engagement présidentiel, porté par le Premier ministre, et nous le mettrons en oeuvre, tout autant que la lutte contre les inégalités territoriales. C’est l’action que poursuit Cécile Duflot.
Ces projets sont indispensables pour permettre la mobilisation des forces vives de nos territoires au service du redressement. Mais ils ne suffiront pas. Car aller jusqu’au bout de la logique de 1982, ce n’est pas seulement transférer et décentraliser, y compris au profit de nouvelles entités. C’est d’abord tirer toutes les conséquences de 30 ans de libertés locales qui ont montré la maturité et la capacité des collectivités à développer les territoires.
A cet égard, le texte que le Gouvernement prépare n’est pas à proprement parler un énième acte de décentralisation. Il n’est pas le prolongement de l’acte II de 2004. Il en diffère par ses objectifs et par son esprit.
Car il est avant tout l’acte I de la modernisation de l’action publique que le Président de la République s’est engagé à conduire. Il ne s’agit pas de décentraliser pour décentraliser, mais de construire un cadre pérenne et durable d’évolution de l’action publique dans son ensemble.
C’est tout le sens du Ministère dont j’ai la charge : mettre en cohérence les missions de l’Etat avec les compétences des collectivités locales. Et garantir que la réforme de l’Etat et la décentralisation avancent à un même rythme sur des lignes convergentes. C’est un exercice par nature complexe, mais il est décisif pour l’avenir des collectivités car la présence territoriale de l’Etat ou la simplification des normes conditionnent largement la capacité d’action de bien des collectivités.
Contrairement à l’acte II de 2004 et contrairement à la RGPP, nous voulons d’abord penser et réécrire les missions de la puissance publique. Pour cela, il nous faut partir de l’usager. Partir du service public au citoyen, et non pas de l’institution qui le porte.
L’objectif prioritaire n’est pas de transférer aux collectivités des compétences dont elles ne veulent pas ou qu’elles ne peuvent pas assumer. Il est d’abord de clarifier les compétences et de simplifier les procédures avec un double objectif : restaurer la confiance et garantir le service au citoyen.
Pour cela, nous avons fait un choix : nous appuyer sur la libre administration, faire confiance aux collectivités pour redéfinir leurs politiques publiques, clarifier leurs méthodes et faire émerger des solutions nouvelles.
C’est pourquoi le principal levier de ce projet de loi, ce n’est pas le transfert, mais le contrat.
L’article premier du texte consacrera à cet égard un principe nouveau de libre organisation des compétences. Il prévoira que les collectivités locales, entre elles et avec l’Etat, déterminent librement les modalités d’exercice de leurs compétences par un pacte de gouvernance territoriale dans le cadre de la conférence territoriale de l’action publique.
C’est le choix de la responsabilité et de la maturité que nous faisons, parce que, contrairement à d’autres, nous avons la conviction que les élus locaux en sont capables.
La cadre retenu par le Président de la République pour ce nouveau dialogue, c’est d’abord, au niveau national, le Haut Conseil des territoires qu’il a plusieurs fois appelé de ses voeux.
Il s’agira de mettre en place une véritable instance de concertation et de négociation entre l’Etat et les collectivités. La clarté, c’est celle qui doit se faire dans la relation entre l’Etat et les collectivités. Nos concitoyens doivent savoir qui fait quoi dans la République.
Il appartiendra au Haut-Conseil des territoires de clarifier, sur tous les sujets, le rôle et les responsabilités de chacun dans la mise en oeuvre de politiques partagées. Il ne sera ni un substitut du Parlement, ni un champ clos pour les ambitions de chaque niveau de collectivité, mais un lieu de confrontation des visions et d’émergence de compromis dans le partage des rôles et des coûts.
Ce dialogue aura lieu également au niveau local via les conférences territoriales de l’action publique : les communes, les régions, les départements mais aussi les intercommunalités y seront représentées, en présence du représentant de l’Etat, pour déterminer l’organisation des compétences la plus appropriée à la réalité de nos territoires.
Ces conférences sont le coeur de notre projet. Il s’agit de permettre aux collectivités et à l’Etat de discuter tous les 5 ans compétence par compétence des modalités concrètes d’exercice, dans le respect du principe de non tutelle d’une collectivité sur l’autre. Elles concrétisent notre souhait de ne pas enfermer les collectivités locales dans un modèle unique, qu’il s’agisse des compétences transférées ou des formes de leur exercice.
Je crois à l’unité de la République, pas à son uniformité. La France se nomme diversité, et cette diversité doit enfin être reconnue dans le système juridique français. Ce qui suppose d’abord qu’elle soit fondée sur la clarté, c’est-à-dire sur une définition précise du rôle de chacun, avec des compétences pleinement assumées et financées.
C’est par le dialogue au plus près des réalités locales que nous pourrons sortir d’un cycle qui a vu des vagues de décentralisation se perdre dans de longues périodes de recentralisation rampante, notamment en matière financière et budgétaire.
Les conférences territoriales de l’action publique seront là pour construire une architecture partagée, acceptée et claire de l’action publique. L’exercice des conférences territoriales doit également faire progresser la mutualisation des moyens, investissement de moyen terme de nos organisations publiques. Au moment où la maîtrise de la dépense est un impératif, nous devons prouver qu’existent des leviers pour dégager des marges de manoeuvre.
Cette confiance de l’Etat à l’endroit des collectivités, et la responsabilité qu’elle entraîne, sera la condition et la contrepartie au rétablissement de la clause générale de compétence pour les régions et les départements que le Président de la République a confirmé.
Evidemment, cette responsabilité nous rappelle la nécessité de repenser les moyens financiers des collectivités.
C’est la condition du pacte de confiance. Tout en participant à l’effort national de redressement des finances publiques, nous avons le devoir de restaurer l’autonomie des ressources des collectivités locales.
Car on ne peut pas demander aux élus d’aller au bout de leurs blocs de compétences sans leur en donner les moyens : c’est la condition d’une confiance retrouvée entre l’Etat et les collectivités locales.
Cela passe par la restauration de l’autonomie fiscale des régions, et par la garantie de ressources pérennes et suffisantes permettant aux départements de faire face au financement des trois allocations individuelles de solidarité dont la loi leur confie la charge. Ce chantier de la fiscalité locale sera ouvert dès cette année pour 2014.
Le Gouvernement a clairement mis le cap sur la péréquation. Dans le projet de loi de finances pour 2013, le gouvernement a pris aussi ses responsabilités en doublant le Fonds national de péréquation des ressources intercommunales et communales (FPIC) le rythme de progression de la dotation de solidarité urbaine et de la dotation de solidarité rurale dès l’année prochaine.
C’est une première étape, et il y en aura d’autres. Car il ne peut y avoir de décentralisation sans une politique vigoureuse d’égalité des territoires. Après avoir, à de nombreuses reprises ces dernières années, modifié les dispositifs de péréquation entre collectivités, il faut aujourd’hui avoir le courage de repenser les finalités de la péréquation verticale : nous ne pouvons plus faire l’économie d’une redéfinition des potentiels financiers et fiscaux.
Ils doivent retrouver leur sens originel. Cette péréquation doit notamment mieux accompagner les mutualisations de moyens et de services, notamment entre les communes et les intercommunalités. Je souhaite que ces travaux s’engagent dès cette année.
L’Etat doit rester le garant de cette justice entre les citoyens, et c’est à lui que doit revenir la lourde charge de faire en sorte que la liberté des territoires et la diversité des politiques ne se solde pas par un creusement des inégalités.
Voilà, Mesdames et Messieurs, quelques uns des grands défis qui nous attendent en 2013.
C’est un exercice de pédagogie et de conviction auquel nous allons devoir nous livrer, sous la pression d’une opinion publique peu encline à accepter que les élus s’opposent sur des querelles de périmètre. Il nous faudra donc être collectivement responsables dans notre expression publique, mesurer nos paroles et surtout la portée de nos propos et de nos actes.
L’année qui s’ouvre sera décisive pour l’avenir des collectivités comme pour l’avenir de l’Etat. Nous ne pouvons pas nous permettre de rater cette opportunité. C’est un pari sur la responsabilité des élus que nos prédécesseurs ont fait en 1982. Leur réforme a réussi parce qu’elle a été portée à l’époque par une génération d’élus qui partageaient une vision commune de la démocratie locale.
C’est cette vision et cet esprit de responsabilité auxquels nous devons rester fidèles aujourd’hui et je nous souhaite collectivement, pour l’année qui vient, d’en être dignes.
Je sais qu’ensemble nous en sommes capables et je ne doute pas de notre réussite.
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