Il est des votes plus difficiles à déterminer que d'autres. Celui sur le projet de loi portant transcription de l'accord national interprofessionnel est le meilleur exemple. Partagé entre les avancées que porte le texte et deux défauts importants, j'ai beaucoup hésite et jusqu'aux derniers instants.
Durant la campagne des élections présidentielles, François Hollande avait fait du renforcement des droits des salariés un thème majeur de son programme. Il s’était engagé à pénaliser les entreprises recourant abusivement aux emplois précaires (engagement 24) ; à sécuriser les parcours professionnels, notamment en améliorant le droit à la formation et en dissuadant les licenciements boursiers (engagement 35) ; et à permettre la présence de représentants des salariés dans les conseils d’administration (engagement 55).
Elu à la présidence de la République, François Hollande met en œuvre ces engagements « en concertation avec les partenaires sociaux » (engagement 35). Ainsi, une Grande Conférence Sociale s’est tenue le 9 et 10 juillet 2012, qui a réuni l’Etat, les partenaires sociaux et les collectivités territoriales. Elle a été la marque du nouvel état d’esprit que souhaitent insuffler le Président de la République et le Gouvernement dans la conduite des réformes et des relations sociales.
Cette conférence a permis de définir une feuille de route sociale pour 2013, qui a arrêté le principe d’une grande négociation sur la sécurisation de l’emploi. Cette négociation a réuni les partenaires sociaux autour de quatre domaines : lutter contre la précarité sur le marché du travail ; progresser dans l’anticipation des évolutions de l’activité, de l’emploi et des compétences ; améliorer les dispositifs de maintien de l’emploi face aux aléas conjoncturels ; et améliorer les procédures de licenciements collectifs.
Après quatre mois de négociations, un accord national interprofessionnel (ANI) a été signé, le 11 janvier dernier, par les trois organisations représentatives des employeurs (MEDEF, CGPME et UPA) et trois des cinq organisations syndicales représentatives des salariés (CFDT, CFTC et CFE-CGC). Je tiens à souligner que ces trois organisations syndicales étaient majoritaires au moment de la signature de l’accord, en application de la loi du 20 août 2008 portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail. Cet accord reste majoritaire selon les derniers résultats de représentativité annoncés par le ministère du Travail le 29 mars dernier.
Le projet de loi relatif à la sécurisation de l’emploi, voté en première lecture à l’Assemblée nationale le mardi 9 avril, est le prolongement de cet accord. Il traduit la nouvelle articulation souhaitée par le Président de la République entre démocratie sociale et démocratie politique. Ainsi, la négociation sociale précède et inspire les lois sociales. Le législateur reste souverain, mais les évolutions législatives en matière sociale doivent, sauf urgence, être précédées d’une phase de consultation et, si les partenaires sociaux le souhaitent, d’une négociation.
Pour résumer, ce projet de loi est le fruit d’un processus inédit en trois temps : le premier est celui du Gouvernement, qui fixe les objectifs, comme cela a été le cas avec la feuille de route de septembre 2012 ; le second est celui des partenaires sociaux, qui négocient sur ce fondement, comme ils l’ont fait entre le mois d’octobre 2012 et le 11 janvier 2013 ; le troisième est celui du Parlement.
Sur la forme, je soutiens cette manière de procéder, qui remet le dialogue social au cœur de la méthode de réforme et du travail politique. D’autant plus, que ces trois temps ont permis d’améliorer de manière décisive le texte. En effet, je n’aurais pas voté le projet de loi s’il avait été une retranscription identique de l’ANI.
Je n’aurais pas accepté l'accord tel qu'il a été signé le 11 janvier, car malgré ses avancées en faveur des droits des salariés, il comportait de nombreuses imprécisions qui le rendaient difficilement applicable et qui fragilisaient son équilibre.
Le parlement n'a pas à voter l'accord. Il ne peut voter que des lois et il fallait donc que les principales dispositions de cet accord soit transcrites sous forme de projet de loi à proposer par le gouvernement au parlement.
La transcription de l’ANI en projet de loi par le ministre du Travail, de l’Emploi et du Dialogue social, a constitué une première étape dans l’amélioration du texte.
Elle a permis de désigner des organismes de branche pour les complémentaires santé, de rétablir des délais de prescription plus longs lorsque les salariés ont besoin de temps pour faire valoir leurs droits, de mieux encadrer les licenciements économiques individuels et les mobilités internes, et de donner à l’administration le pouvoir d’homologuer le contenu des plans sociaux.
A l’Assemblée nationale, les débats en commission et dans l’hémicycle ont constitué la seconde étape dans l’amélioration du texte. Tout en respectant l’équilibre de l’accord signé par les partenaires sociaux, les députés ont pleinement joué leur rôle de législateurs, en précisant certaines dispositions du projet de loi afin de renforcer les droits individuels et collectifs des salariés.
J’ai voté ce texte, parce que le projet de loi présenté par Michel Sapin, et amendé par la majorité parlementaire, permet :
- De donner de nouveaux droits individuels aux salariés : ils bénéficieront tous d’une complémentaire santé, d’un compte personnel de formation qui les suivra tout au long de leur vie professionnelle, du suivi du conseil en évolution professionnelle et d’une mobilité volontaire externe sécurisée.
- D’offrir de nouveaux droits collectifs aux salariés : les attributions économiques des comités d’entreprise sont renforcées. Ainsi, ils pourront se prononcer sur l’utilisation du CICE. Les conditions de consultation des CHSCT sont simplifiées. Et les salariés intègrent, avec voix délibérative, les conseils d’administration ou de surveillance des grandes entreprises.
- De lutter contre la précarité dans l’emploi et l’accès à l’emploi : les demandeurs d’emploi conserveront leurs droits à indemnisation non utilisés lorsqu’ils retrouvent un emploi, le coût des contrats courts sera renchéri pour les employeurs afin de favoriser l’embauche en CDI et le temps partiel sera encadré avec une durée hebdomadaire minimale de travail qui devra être de 24 heures minimum.
J’ai voté ce texte, parce que les débats parlementaires l’ont amélioré :
- A la suite de l’adoption d’un amendement porté par ma collègue Fanélie Carrey-Conte, les garanties retenues dans les branches et dans les entreprises concernant la couverture complémentaire collective « santé » seront conformes aux contrats solidaires et responsables.
- Un amendement du rapporteur du texte Jean-Marc Germain permettra l’entrée des salariés dans les conseils d’administration dès 2014. Par ailleurs, dans les entreprises ayant plus de douze administrateurs, le nombre de représentants des salariés devra être au moins égal à deux.
- Concernant l’encadrement du temps partiel, les étudiants âgés de moins de 26 ans pourront déroger à la durée minimum hebdomadaire de travail de 24 heures, afin que leur emploi soit compatible avec leurs études
- Plusieurs amendements ont permis de réguler la mobilité interne. L’employeur a la possibilité d’engager une négociation portant sur les conditions de la mobilité interne à l’entreprise, à condition que cela ne se fasse pas dans le cadre d’un projet de réduction des effectifs. De plus, l’accord ne pourra pas bouleverser la vie personnelle et familiale du salarié. Cela implique donc que la zone géographique d’emploi du salarié ne soit pas incompatible avec elle.
- Un amendement du groupe SRC a allongé de 8 à 15 jours le délai dont dispose l’administration pour homologuer un accord collectif majoritaire arrêtant le contenu d’un plan de sauvegarde de l’emploi, permettant une meilleure évaluation de celui-ci. De plus, dans cette procédure d’homologation, l’administration devra prendre en compte le dernier rapport du comité d’entreprise sur l’utilisation du crédit d’impôt compétitivité emploi.
Deux dispositions du texte m’ont posé problème tout au long de l’examen du projet de loi. Les débats ont permis de les améliorer sensiblement en offrant de meilleures garanties aux salariés. Toutefois, j’aurais souhaité que l’Assemblée aille plus loin dans cette direction.
Je pense à l’article 12 qui crée les accords de maintien dans l’emploi. Ces accords permettent aux partenaires sociaux, dans les entreprises connaissant de graves difficultés conjoncturelles, d’aménager temporairement la durée du travail, ses modalités d’organisation et de répartition ainsi que la rémunération, en contrepartie de l’engagement de l’employeur de maintenir les emplois pendant la validité de l’accord. Le projet de loi initial offrait des garanties aux salariés, comme la limitation à deux ans de la durée de l’accord ou l’impossibilité pour les employeurs de diminuer les petits salaires. Cependant, je considérais que ces garanties étaient trop faibles. Le débat parlementaire a répondu en partie à mes inquiétudes. Les salariés seront informés sur l’application et le suivi de l’accord pendant toute sa durée. Chaque année, le Gouvernement présentera au Parlement un rapport portant évaluation de cette nouvelle catégorie d’accords d’entreprise. Et l’accord devra prévoir les conditions dans lesquelles les dirigeants salariés, les mandataires sociaux et les actionnaires contribuent de manière proportionnée aux efforts demandés aux salariés.
Je pense aussi et surtout à l’article 16, qui réduit les délais de prescription. Ainsi, sous réserve de délais spécifiques prévus par le code du travail, toute action portant sur l’exécution ou la rupture du contrat se prescrit par 24 mois à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’exercer son droit. Ces délais ne s’appliquent pas pour des actions ne portant pas sur l’exécution du contrat de travail, telles que les actions en réparation d’un dommage corporel causé à l’occasion de l’exécution du contrat et les actions exercées pour des faits de discrimination ou de harcèlement. Par ailleurs, les demandes de salaires se prescrivent désormais par trois ans au lieu de cinq. J’estime que cet article constitue une régression pour les droits des salariés. Je souhaite que la suite du débat parlementaire permette de revenir sur ce point.
Je souhaite aussi que le gouvernement soit très attentif à son application.
J’ai donc voté le projet de loi relatif à la sécurisation de l’emploi, car il est issu du dialogue social, il comporte des avancées pour les droits des salariés et il a été amélioré par le débat en première lecture à l’Assemblée nationale.
Toutefois, je reste vigilant. La suite du débat parlementaire ne doit pas se faire au détriment de ces droits. Les prochaines grandes conférences sociales devront servir de cadres à l’évaluation des dispositifs du projet de loi. Enfin, il ne faut pas s’arrêter là et je me félicite que Michel Sapin ait annoncé l’examen d’un prochain texte de loi sur l’encadrement des stages.
Commentaires