A lire les éditorialistes et à entendre les responsables de l’opposition, la France serait mauvaise élève en matière de gestion des dépenses publiques. Dépensière, prompte à la gabegie, elle serait incapable de gérer les deniers publics dans l’intérêt de ses citoyens. Il serait donc urgent de réduire, couper, trancher dans cette masse de dépenses publiques inutiles, justes bonnes à peser sur la trajectoire budgétaire et à faire perdre de précieux «A» à la note délivrée à la France par les agences de notation. Le problème, c’est que cette source qui ferait jaillir les économies par milliards est largement fantasmée. On nous parle d’une dépense publique faramineuse représentant 56% du PIB, presque un record, seulement battu par le Danemark, pourtant pas considéré comme un pays spécialement laxiste. Mais utiliser ce chiffre de 56% n’a aucun sens dans la comparaison internationale ! D’abord, parce que tous les pays ne comptabilisent pas les mêmes dépenses dans cette catégorie. L’exemple le plus flagrant est celui des Etats-Unis où, si l’on réintégrait dans le calcul les dépenses de santé - qui ne sont pas «obligatoires» mais qui sont quand même dépensées par les ménages lorsqu’elles ne sont pas prises en charge par le secteur public -, le taux de prélèvements obligatoires augmenterait de dix points.
Ensuite, parce qu’en France, près de la moitié des dépenses publiques revient directement aux citoyens sous forme d’allocations familiales, d’aides au logement, de pensions de retraite… Contrairement à d’autres pays, nous avons choisi de partager une plus grande part de la richesse produite afin qu’elle profite à tous, et pas seulement à quelques privilégiés. Notre modèle social tout entier est fondé sur cette ambition solidaire. Les politiques publiques redistributives (qui représentent près de la moitié des dépenses publiques) ont été créées dans cet objectif de réduction des inégalités entre les Français les plus aisés et ceux qui n’ont pas eu la chance d’avoir les mêmes possibilités. Et cela fonctionne ! Grâce à la redistribution, l’écart de niveau de vie entre les plus riches et les plus pauvres de nos concitoyens est réduit de moitié.
Il ne faut pas oublier que le service public est le patrimoine de ceux qui n’en ont pas. La possibilité de bénéficier d’une place en crèche, de suivre une formation de qualité, de se déplacer sur des routes bien entretenues, de se soigner, de pouvoir confier ses aînés à des structures d’accueil fiables… tout cela représente, pour chaque citoyen français, un filet de sécurité que d’autres pays n’offrent pas. Alors, évidemment, cela a un coût, en termes de dépenses publiques. Cela implique de payer des impôts. Mais souhaitons-nous réellement changer de modèle ? Souhaitons-nous laisser le marché répondre aux besoins sociaux de nos compatriotes, avec le creusement des inégalités que cela impliquerait ? Accepterions-nous que certains ne puissent plus payer les soins de santé de base ? Ou, de l’autre côté de la chaîne, qu’obtenir un diplôme de médecin nécessite de s’endetter sur des dizaines d’années ?
En tant que ministre d’un gouvernement de gauche, je réponds sans l’ombre d’une hésitation «non» à ces questions. Nous devons défendre notre modèle social. Il est le garant de la solidarité entre les Français et de la compétitivité de notre pays. Solidarité, parce qu’il a l’ambition de ne laisser personne sur le bord du chemin. Compétitivité, car il permet aux entreprises de s’implanter dans de bonnes conditions, d’accéder à la recherche, d’embaucher des salariés qualifiés, d’avoir accès à des infrastructures fiables, à une administration qui se modernise.
Attention, défendre notre modèle social, élément essentiel de notre pacte républicain, ne veut pas dire ne rien faire pour réduire les déficits laissés par la majorité précédente et par la crise. Au contraire, nous devons retrouver des marges de manœuvre pour mener les réformes dont le pays a besoin pour se redresser. Mais il faut agir avec discernement, associer les parties prenantes, ouvrir un vaste débat, tout mettre sur la table et tordre le cou aux idées reçues qui voudraient que des économies substantielles et suffisantes puissent être réalisées uniquement dans le train de vie de l’Etat. Ce n’est pas vrai. Il faut faire la pédagogie de la dépense publique, réexpliquer aux Français en échange de quelles prestations ils paient des impôts, impliquer les fonctionnaires pour qu’ils soient forces de proposition.
Au fond, nous devons répondre à deux questions : quel effort de solidarité chacun d’entre nous est-il prêt à offrir pour préserver un «vivre ensemble» de qualité ? Quelles dépenses publiques pouvons-nous réduire, et avec quelles priorités, sans remettre en question notre modèle social ?
La démarche de modernisation de l’action publique (MAP) lancée par le gouvernement vise d’abord à améliorer le service rendu aux citoyens, à favoriser l’innovation, à construire ensemble l’action publique du XXIe siècle. Mais elle contribue aussi à répondre à cette double préoccupation. En prenant en compte l’ensemble de l’action publique, en associant les administrations, les agents, les élus, les entreprises et les usagers à la réflexion, et en assumant de prendre le temps nécessaire pour évaluer toutes les politiques publiques et éviter de prendre de mauvaises décisions, nous nous donnons les moyens de réussir là où la RGPP du gouvernement Fillon avait échoué.
Il est vrai que la méthode du coup de rabot permettrait d’afficher beaucoup plus rapidement un tableau de chasse comprenant des milliards d’économies. Mais cette méthode n’a pas fait ses preuves. Nous gérons au quotidien, avec grande difficulté, la désorganisation profonde des services et le sentiment d’abandon et d’injustice dans beaucoup de territoires. Pour redresser cette situation, nous mettons en place une méthode responsable et exigeante qui aboutira au finale à des économies plus importantes et surtout plus pertinentes, car décidées après concertation avec tous les acteurs concernés. Alors arrêtons de polémiquer et de dénigrer la France ! Refaisons-nous confiance, et choisissons l’efficacité pour redresser notre pays.
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