Par Philippe Baumel, Gwenagan Bui, Olivier Dussopt, Régis Juanico, Arnaud Leroy et François Pupponi
Libération – Tribunes – 27 août 2014
Militants politiques, délégués syndicaux, bénévoles associatifs, tous très engagés dans l’organisation de la vie collective, « encaissons » avec gravité la montée de l’abstention et des populismes à toutes les élections, depuis plusieurs années. Devons-nous baisser les bras, avec ce retour très sévère de la société par rapport à notre engagement ? Nous avons pourtant la conviction que le besoin et le désir de démocratie n’ont pas diminué. L’intensité croissante de notre engagement ne suffit pas, nous devons agir différemment.
Le premier secrétaire a proposé d’organiser des états généraux du Parti socialiste à la fin de cette année. Nous souhaitons formuler ici quelques conditions de sa réussite.
À l’opposé d’une assemblée de copropriétaires du parti, les états généraux doivent, pour être utiles, être ouverts à la société. Cette ouverture est d’ailleurs devenue irréversible depuis le succès des primaires citoyennes, mais surtout indispensable pour garder l’espoir de re-mobiliser nos militants, nos ex-adhérents, et encore plus nos sympathisants et nos électeurs de 2012.
Pour être ouverts à tous, les états généraux doivent inaugurer de nouvelles méthodes. Pour participer aux travaux du Parti socialiste, il faut à la fois les codes, une technicité et une abnégation qui rebutent de plus en plus nos concitoyens… et nos militants. À l’inverse, en dehors de notre parti, la constitution de collectifs engagés et mobilisateurs suit d’autres règles, plus accessibles, plus adaptées à la volatilité mais aussi à la diversité de l’engagement. Il s’agit d’utiliser, sans les fétichiser, les réseaux sociaux pour élargir notre mobilisation et les savoir-faire du numérique pour faciliter la participation à nos débats.
L’ouverture et notre confrontation au réel réclame aussi et surtout de couper court à la tentation de centrer nos débats sur le Parti socialiste lui-même ou sur « l’état de la gauche ». Notre histoire centenaire est respectable, instructive, et reste une source de fierté pour nous. Mais c’est l’engagement pratique des hommes et des femmes dans les dynamiques sociales réelles, ici et maintenant, qui donne son énergie politique au Parti socialiste, c’est leur engagement légitime à réclamer plus de considération, plus de reconnaissance, c’est leur soif d’émancipation pour eux-mêmes, pour leurs collègues, pour leurs voisins, pour leurs enfants.
Notons d’ailleurs que ces dynamiques ne s’arrêtent pas à nos frontières nationales. Il est urgent d’ouvrir nos discussions à nos concitoyens européens, engagés eux aussi dans ces mêmes revendications et à ouvrir nos réflexions sur l’état réel du monde.
Le rôle du Parti socialiste n’est pas de gagner des élections pour éteindre les dynamiques sociales. D’ailleurs, nous ne gagnerons plus d’élection si nous faisons primer le réalisme sur la réalité. Le choix de nos thèmes de débat doit par conséquent découler de l’expression des réalités vécues par les Français, sans chercher à esquiver les problèmes.
Elles naissent parfois d’une expérience de l’injustice. Vivre l’expérience du racisme, du sexisme, de la prédestination sociale. Ne recevoir aucune reconnaissance de sa capacité de travail. Être convaincu qu’on n’a pas sa place à l’école…
Les dynamiques naissent parfois de peurs. Peur de l’impuissance de l’autorité, peur de l’empoisonnement alimentaire ou environnemental, peur de se faire imposer un mode de vie différent « chez soi », peur de ne pas pouvoir subvenir à ses besoins, de ne pas pouvoir protéger ses enfants, peur de l’incertitude et du progrès, peur de l’assistanat, peur que les autres soient plus entendus que soi, peur de la complexité…
Ces thèmes ne nous mettent pas toujours à l’aise, ils sont souvent contradictoires, mais ils doivent impérativement trouver leur place dans nos débats.
Nos travaux sont souvent marqués par une confusion entre ce sur quoi on peut agir et ce qui s’impose à nous. Chacune de nos campagnes électorales nous a conduits à tabler sur des hypothèses trop optimistes quant à des facteurs que nous ne maîtrisons pas, et au silence quant aux facteurs que nous pouvons influencer.
La démographie, le climat ou la croissance faible sont portés par des tendances longues, certaines, sur lesquelles nous aurons peu d’influence à un horizon de vingt ans. À l’inverse, d’autres systèmes conditionnent aussi notre vie collective, sur lesquels notre action peut être plus décisive : la régulation fiscale, la construction européenne ou les relations internationales par exemple.
Dans notre vie qui change sans cesse, le Parti socialiste doit tracer des lignes. Notre réel est toujours plus ambigu, à cheval entre liberté et sécurité, entre laïcité et culture, entre protection et initiative, entre public et privé, entre coopération et compétition… À ceux qui le représentent, ceux qui le constituent, ceux qui s’en sentent proches, le Parti socialiste doit offrir une grille de lecture du réel qui guide l’action, qui permette l’engagement de tous. Si les états généraux tracent notre chemin vers cela, alors oui, ils auront été utiles.
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