Dans un entretien exclusif, la ministre de la Décentralisation et de la Fonction publique dit vouloir « des organisations syndicales fortes, représentatives, légitimes » à l’issue des élections professionnelles du 4 décembre. Marylise Lebranchu confirme par ailleurs une remise à plat de la dotation globale de fonctionnement en 2016.
Après avoir annoncé la suppression des conseils généraux et affirmé vouloir aller vite, le gouvernement semble temporiser et revoit sa position sur les départements. Où en est-on de la réforme territoriale ?
Pour bien comprendre, il faut partir de la première loi que j’ai portée, qui a créé les métropoles et adapté l’action publique à la diversité des territoires. Cette loi a acté qu’au 1er janvier 2017, un certain nombre de compétences des départements seront transférées aux métropoles. Elle a aussi créé la conférence territoriale de l’action publique pour décider « qui fait quoi » en termes de politiques publiques sur chaque territoire régional. Cette avancée importante nous permet de supprimer la clause de compétence générale et d’ouvrir la voie à de grandes régions et à des intercommunalités plus fortes. C’est dans ce cadre que se pose aujourd’hui la question des conseils généraux.
L’idée de supprimer, partout, le conseil général en 2020 n’est donc plus d’actualité ?
À partir du moment où l’on a décidé de donner de nouvelles compétences aux régions, notamment les routes et les collèges, il était logique que le département se recentre sur ses compétences de solidarité : solidarité territoriale et sociale. C’est là qu’ont surgi les inquiétudes légitimes de certaines communes ou communautés de communes qui n’ont pas de métropole à proximité, ni parfois de réseau de villes suffisamment dense, avec une question : « qui va porter la solidarité si le conseil général disparaît ? » Je rappelle que les services publics sont le patrimoine de ceux qui n’en ont pas.
D’où un effacement du département à géométrie variable…
Le gouvernement s’est dit que pour des départements très ruraux, il n’était pas absurde de conserver une forme d’assemblée départementale. Reste à savoir quelles seront ses ressources : est-ce qu’elle prélèvera un impôt ? Est-ce qu’elle vivra de dotations ? Nous devrons apporter des réponses lors du débat parlementaire sur le projet de loi portant « Nouvelle organisation territoriale de la République » (NOTRe) mais nous avons le temps nécessaire, jusqu’à 2020, pour trouver une solution adaptée à la réalité de chaque territoire. Nous distinguerons trois cas de figure : les territoires qui ont une métropole, ceux où il existe des intercommunalités fortes et ceux où il n’y en a pas.
Vous semblez vouloir laisser le débat ouvert…
Oui, car d’ici 2020, il faut se poser toutes les questions et recueillir toutes les propositions. À quoi bon fermer le débat aujourd’hui ? Il y a des éléments démographiques, économiques dont il faudra tenir compte le moment venu. La réforme territoriale fait partie des réformes structurelles car elle doit aider au redressement du pays, des comptes publics, contribuer à la simplification et à la modernisation de l’action publique, mais aussi poser la question de la solidarité et de qui la porte, qui la finance.
Débat ouvert aussi sur les intercommunalités et le seuil des 20 000 habitants…
Le seuil des 20 000 est tranché aujourd’hui dans le projet de loi que je porte sur la nouvelle organisation territoriale de la République. Je suis favorable à ce qu’on conserve ce seuil, qui est un marqueur pour signifier la taille critique minimale que doivent avoir les intercommunalités. Quand il existera des intercommunalités fortes, la question du rôle du département se posera moins. Mais je suis très attentive à ce que l’on tienne compte des spécificités des territoires, notamment les territoires montagneux, avec deux critères à prendre en compte : la densité de population et les distances.
Quel sera le calendrier parlementaire pour le projet de loi sur la compétence des régions, à venir au Parlement ? Et pour le texte sur la délimitation des régions et le calendrier électoral, qui a déjà fait l’objet d’une lecture ?
Le texte portant « Nouvelle organisation territoriale de la République » sera examiné, d’abord par le Sénat, dans le courant la semaine du 3 novembre, puis à l’Assemblée nationale dans la première quinzaine de décembre. D’ici là, le texte relatif à la délimitation des régions porté par Bernard Cazeneuve [le ministre de l’Intérieur, ndlr] aura poursuivi son parcours parlementaire comme prévu initialement. Il s’agit des deux volets d’une réforme structurelle majeure dont le Premier ministre a confirmé lui-même le calendrier à plusieurs reprises.
Combien de fonctionnaires de l’État vont-ils être transférés aux régions ?
Le projet de loi pour une nouvelle organisation territoriale de la République n’est pas, à proprement parler, un projet de loi de décentralisation. Les éventuels transferts entre État et collectivités seront marginaux.
Comprenez-vous la crainte des élus locaux qui répètent : « baisse des dotations = baisse de l’investissement local » ?
Les dernières élections municipales l’ont montré : les élus locaux ont fait campagne sur des promesses très raisonnables, ils sont extrêmement sérieux concernant les dépenses publiques locales. Les citoyens font le lien entre une politique municipale dispendieuse et des impôts locaux élevés. Il y a aujourd’hui une demande contradictoire de baisse d’impôts et de services publics plus efficaces. La réponse réside notamment dans la mutualisation de certains services publics et dans la remise à plat de la dotation globale de fonctionnement (DGF), à laquelle je travaille avec les élus dans la perspective du projet de loi de finances 2016.
Vous demandez donc aux élus d’expliquer ce que sont les dotations de l’État…
Non, je n’ai pas à demander cela aux élus, mais il est bon de réexpliquer d’où viennent les dotations aux collectivités. Il faut savoir que c’est l’impôt national qui est redistribué aux collectivités sous forme de dotations. En même temps, les collectivités locales devront pleinement contribuer au redressement de notre pays. Il y a donc un équilibre à trouver pour réduire les déficits tout en préservant autant que possible l’investissement local.
C’est-à-dire ?
La baisse globale de 11 milliards d’euros [la part de baisse des dépenses publiques dévolue aux collectivités territoriales, ndlr] s’appliquera bien, mais elle est accompagnée d’un effort très significatif en faveur des collectivités les plus fragiles, avec le doublement des dotations de péréquation de la DGF et la poursuite de la montée en charge de solidarité entre collectivités portée par des instruments comme le Fonds national de péréquation des ressources intercommunales et communales (FPIC) et le Fonds de solidarité des communes de la région Île-de-France (FSRIF). Il existe aujourd’hui, chacun peut le constater, des inégalités fortes entre collectivités, particulièrement entre communes et entre intercommunalités. Ces écarts trouvent leur origine dans les inégalités de richesse fiscale entre collectivités, mais aussi dans l’existence de dotations de l’État correspondant à d’anciennes ressources fiscales. Résultat : les collectivités sont dans des situations financières très variables, certaines n’ayant aucun problème de financement. Si l’État veut soutenir l’investissement local, ce ne sont pas ces collectivités aisées qui doivent être aidées.
Serez-vous attentive au cas de certaines communes ou intercommunalités qui n’arriveront pas à mener à terme une partie de leurs investissements ?
Il faut que l’on regarde, au cas par cas. C’est le rôle de l’État sur les territoires. Les préfets devront nous faire remonter les informations.
Thierry Mandon, qui a repris le portefeuille de la Réforme de l’État en juin, a lancé une démarche d’évaluation et de « scannage » des politiques publiques avant un séminaire décisionnel en début d’année prochaine. Quelle est la différence avec ce que vous avez fait durant deux ans avec la Modernisation de l’action publique ?
Il n’y évidemment pas de rupture entre ce que fait Thierry Mandon et ce que j’ai fait. Il y a même une continuité. L’avantage aujourd’hui, c’est que la réforme de l’État est directement placée sous l’autorité du Premier ministre. Cela permet de gagner du temps. Mais depuis 2012, le gouvernement a lancé 61 évaluations de politiques publiques et 35 sont terminées. Cela veut dire qu’on est dans l’application de ce qui a été décidé. Dans mon ministère, nous faisons un gros travail d’accompagnement, en termes de ressources humaines, des transformations qui touchent les services concernés. Vous voyez que je ne suis pas complètement « débranchée » de ces sujets !
Concernant la fonction publique, quels sont les enjeux de la négociation « parcours professionnel, carrières, rémunérations » engagée jusqu’en 2015 ?
Le statut de la fonction publique a trente ans. Elle s’est complexifiée au fil des années et elle fait face à de nouveaux enjeux. Il faut simplifier et fluidifier pour que celui qui devient fonctionnaire aujourd’hui ait la possibilité d’un vrai parcours, quelle que soit sa catégorie. La négociation avec les syndicats commence, elle se fera par étapes. Par exemple, je leur proposerai des carrières plus intéressantes contre un allongement de ces carrières : je dis qu’il vaut mieux mettre plus de temps pour avancer dans chaque échelon mais avoir la perspective de monter plus haut, plutôt que d’avoir une carrière et une rémunération bloquées alors qu’il vous reste dix ans à travailler. Étaler les revalorisations dans le temps permettra aussi d’avancer tout en lissant les dépenses.
Les fonctionnaires sont mal payés. L’idée qu’il y en ait moins, mais mieux rémunérés, ne vous tente-t-elle pas ?
Le principe qui consisterait à choisir entre salaires et effectifs n’est pas raisonnable. Si nous avons moins de fonctionnaires et des services publics fermés sur 60 % du territoire, comment fait-on ? Il existe des tailles critiques de services pour assurer les missions de service public. Avec la modernisation liée à Internet, on peut bien sûr redéployer des postes. De la même manière, on mutualise des services entre communes et intercommunalités. En revanche, pour les fonctions de contrôle par exemple, nous manquons d’effectifs. Sur l’école, de la même façon, la démographie est en hausse, on ne peut donc pas réduire le nombre d’enseignants ! Je rappelle que le service public en France est une pépite enviée dans le monde entier. Attention aux idées simplistes autour des fonctionnaires…
Êtes-vous sûre que le gouvernement ne reviendra pas sur la promesse de maintenir les effectifs de la fonction publique d’État entre 2012 et 2017 ?
Oui, c’est un engagement fort du président de la République. Nous avons en revanche un problème d’attractivité que nous devons régler. C’est tout l’objectif de la négociation en cours sur les parcours professionnels et les carrières.
Le 4 décembre, les 5 millions d’agents des trois fonctions publiques sont appelés aux urnes pour les élections professionnelles. Redoutez-vous un faible taux de participation ?
Je souhaite un fort taux de participation, et c’est pour cela que nous mobilisons les administrations de l’État, des hôpitaux et les collectivités territoriales pour qu’elles incitent leurs agents à voter le 4 décembre. Je crois aux corps intermédiaires. Pour les renforcer, une participation importante est nécessaire. On a besoin de syndicats en qui les mandants auront confiance d’autant plus que la participation aura été forte.
Mais des fédérations de fonctionnaires moins fortes, moins représentatives, ce sont finalement des syndicats qui mobilisent moins, sur les salaires par exemple…
Sauf que le jour où ça craque, le gouvernement se retrouve face à la rue, avec des coordinations au lieu de syndicats. Comment négocie-t-on avec la rue ? Non, je préfère des organisations syndicales fortes, représentatives, légitimes. C’est ça, la démocratie sociale.
Propos recueillis par Bruno Botella et Sylvain Henry
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