Libération - Tribune - Le 16 décembre 2014
La France doit appliquer sans tarder les décisions de la Cour européenne des droits de l'homme. Nous vivons dans un État de droit où l'on ne marchande pas les décisions de justice ni les droits fondamentaux.
Qu’elles soient opposées à toute légalisation de la gestation pour autrui (GPA), comme Roselyne Bachelot, ou favorables à une GPA éthique, comme Élisabeth Badinter, 170 personnalités appellent à dépasser le climat de haine et de passions qui sévit depuis deux ans sur ce sujet. Le Conseil d’État vient de reconnaître le droit des enfants nés de GPA à la nationalité française, mais la question de la reconnaissance de leur filiation reste entière. Rassemblés pour la première fois par-delà leurs divergences, les signataires appellent à respecter l’essentiel : l’intérêt supérieur de l’enfant.
Le 26 juin, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a condamné la France pour avoir porté atteinte à l’identité de trois enfants, en refusant de reconnaître dans notre droit leur état civil valablement établi à l’étranger. Les trois filles concernées par ces deux décisions font partie des milliers d’enfants qui naissent chaque année par GPA (gestation pour autrui) dans le monde, dont environ 200 de familles françaises. Dans leur pays de naissance, les États-Unis, elles disposent d’un acte de naissance où figure le nom de leurs deux parents français, conformément à la loi locale. Mais en France, toute reconnaissance de leur filiation a été refusée, au motif de l’interdiction de la GPA sur le territoire national. Ce refus pose d’immenses problèmes dans toutes les démarches administratives (carte d’identité, école, prestations sociales) et si rien n’est fait, cette situation risque d’empirer, par exemple si leurs parents se séparent ou s’ils décèdent.
Pour ces raisons, les deux familles se sont battues pendant plus de dix ans en justice pour leurs enfants jusqu’à obtenir ces décisions de la plus haute juridiction garante des droits fondamentaux, décisions qui, il faut le souligner, ne remettent pas en cause la souveraineté de chaque État à interdire ou non la GPA.
Deux mois après l’entrée en vigueur des décisions de la CEDH et cinq mois après leur publication, la violation des droits fondamentaux des enfants persiste et s’amplifie : ces derniers n’arrivent toujours pas à obtenir la transcription de leur acte de naissance, ni le droit de figurer sur le livret de famille de leurs parents. Selon les associations, 2000 enfants seraient dans le même cas en France.
Cette situation est insupportable, elle doit cesser. Les décisions de la Cour européenne des droits de l’homme s’imposent dans les 47 pays membres du Conseil de l’Europe et signataires de la convention européenne des droits de l’homme. L’application du droit n’est pas à géométrie variable. Le respect de l’intérêt supérieur de l’enfant ne doit pas être subordonné aux postures politiciennes ou idéologiques.
La responsabilité républicaine est d’appliquer les décisions de la Cour européenne parce que nous vivons dans un État de droit où l’on ne marchande pas les décisions de justice ni les droits fondamentaux. La peur irraisonnée d’une vague de naissances par GPA qui résulterait du respect des droits de ces enfants est infondée : les pays qui ont suivi les premiers cette voie, comme l’Autriche ou les Pays-Bas, n’ont pas vu une explosion des cas.
Voulons-nous continuer à faire de ces enfants des «sous-enfants» sans droits ? Voulons-nous accorder aux enfants des droits qui varient selon leur mode de conception ? Voulons-nous les rendre coupables en les distinguant à vie des autres enfants parce qu’ils sont simplement nés autrement ? Cette situation nous replonge immanquablement dans une autre époque : celle des enfants naturels ou des enfants de divorcés. Ces discriminations d’un autre temps doivent cesser et nous demandons au président de la République et au gouvernement de s’engager à faire respecter le droit en ce moment symbolique du 25e anniversaire de la convention de New York relative aux droits de l’enfant.
Quelles que soient nos opinions envers la GPA, que nous soyons favorables à sa légalisation ou non, nous voulons que ces enfants obtiennent enfin la transcription de leur acte de naissance sur les registres de l’état civil en France et cessent ainsi d’être discriminés et traités en petits fantômes de la République.
Nous demandons instamment que toutes les mesures nécessaires soient prises pour que les droits de ces enfants soient enfin respectés et que les décisions de la CEDH soient appliquées.
Signataires :
Jean-Jacques Aillagon, ancien ministre ; Roselyne Bachelot, ancienne ministre ; Anne Hidalgo, maire de Paris ; Jean-Paul Huchon, président du conseil régional d’Ile-de-France ; Geneviève Fraisse, philosophe, ancienne déléguée interministérielle aux droits des femmes ; Dominique Versini, ancienne défenseure des enfants ; Michèle André, sénatrice du Puy-de-Dôme ; Esther Benbassa, sénatrice du Val-de-Marne ; Luc Carvounas, sénateur du Val-de-Marne ; Alain Milon, sénateur du Vaucluse; Christian Assaf, député de l’Hérault ; Erwann Binet, député de l’Isère ; Patrick Bloche, député de Paris ; Colette Capdevielle, députée des Pyrénées-Atlantiques ; Marie-Anne Chapdelaine, députée d’Ille-et-Vilaine ; Sergio Coronado, député des Français établis hors de France ; Pascale Crozon, députée du Rhône ; Olivier Dussopt, député de l’Ardèche ; Elisabeth Pochon, députée de Seine-Saint-Denis ; Christine Revault d’Allonnes, députée européenne ; Serge Blisko, député honoraire ; Jean-Yves de Chaisemartin, maire de Paimpol ; Rémi Féraud, maire de Paris Xe ; Christophe Girard, maire de Paris IVe ; Bruno Julliard, premier adjoint à la maire de Paris ; Caroline Mécary, avocate et conseillère de Paris ; Christine Frey, conseillère régionale d’Ile-de-France ; Jean-Luc Romero, conseiller régional d’Ile-de-France ; Marc Mancel, secrétaire national du PS à la santé, la famille et la petite enfance ; conseiller régional d’Ile-de-France ; Marie-Pierre de la Gontrie, secrétaire nationale du PS à la Justice et aux libertés ;
Elisabeth Badinter, philosophe et historienne ; Philippe Besson, écrivain ; Geneviève Brisac, écrivain ; Pascal Bruckner, écrivain ; Annie Ernaux, écrivain ; Ladislas Chollat, metteur en scène ; Olivier Ciappa, photographe ; Stéphane Facco, metteur en scène ; Clément Hervieu-Léger, pensionnaire de la Comédie française ; Nathalie Kuperman, écrivaine ; Brigitte Lefèvre, ancienne directrice de la danse de l’Opéra de Paris ; Dominique Noguez, écrivain ; Véronique Olmi, romancière ; Daniel San Pedro, metteur en scène ; Marianne Théry, éditrice ; Daniel Auteuil, comédien ; Aurore Auteuil, comédienne ; Djamel Bensalah, cinéaste ; Shirley Bousquet, comédienne ; Yannick Debain, comédien ; Thierry Frémont, comédien ; Hélène de Fougerolles, comédienne ; Isabelle Gélinas, comédienne ; Sara Giraudeau, comédienne ; Rebecca Hampton, comédienne ; Christophe Honoré, cinéaste ; Sam Karmann, comédien et réalisateur ; Axelle Laffont, comédienne ; Jalil Lespert, comédien et réalisateur ; Elodie Navarre, comédienne ; Natacha Régnier, comédienne ; Sonia Rolland, comédienne et réalisatrice ; Bruno Solo, comédien ; Alice Taglioni, comédienne ; Marc Lavoine, chanteur et comédien ;
Fabienne Servan-Schreiber, productrice ; Melissa Theuriau, journaliste et productrice ; Michèle Fitoussi, journaliste et romancière ; Nicolas Martin, journaliste et réalisateur, Estelle Denis, journaliste et animatrice TV ; Juliette Arnaud, comédienne et animatrice TV ; Valérie Damidot, animatrice TV ; Laurent Petitguillaume, animateur TV ; Karine Lemarchand, animatrice TV ; Christophe Michalak, chef pâtissier et animateur TV ; Nagui, animateur radio/TV et producteur ; Stéphane Plaza, animateur TV ; Julia Vignali, animatrice TV ;
Geneviève Delaisi de Parseval, psychanalyste ; Corinne Ehrenberg, psychanalyste ; Caroline Eliacheff, pédopsychiatre ; Serge Héfez, psychanalyste ; Elisabeth Roudinesco, psychanalyste ; Serge Tisseron, psychanalyste ; Véronique Fournier, directrice du Centre d’éthique clinique de l’hôpital Cochin ; Daniel Guerrier, endocrinologue ; Claire Fekete, gynécologue obstétricienne ; Juliette Guibert, gynécologue ; Bernard Hédon, président du Collège national des gynécologues obstétriciens de France ; Brigitte Letombe, présidente d’honneur de la Fédération nationale des collèges de gynécologie médicale ; Israël Nisand, gynécologue obstétricien ; François Olivennes, gynécologue obstétricien ;
Laurent Barry, anthropologue ; Simone Bateman, sociologue ; Marianne Blidon, sociologue ; Michel Bozon, sociologue et démographe ; Fabienne Brugère, philosophe ; Anne Cadoret, anthropologue ; Jérôme Courduriès, anthropologue ; Alain Ehrenberg, sociologue ; Arlette Farge, historienne ; Agnès Fine, anthropologue ; Marie Gaille, philosophe ; Maurice Godelier, anthropologue ; Isabelle Grellier, philosophe et théologienne ; Martine Gross, sociologue ; Danièle Hervieu-Léger, sociologue ; Laurent Jaffro, philosophe ; Laurence Hérault, anthropologue ; Sandra Laugier, philosophe ; Didier Le Gall, sociologue ; Agnès Martial, anthropologue ; Dominique Mehl, sociologue ; Jennifer Merchant, politologue ; Jeanine Mossuz-Lavau, politologue ; Valérie Nicolet-Anderson, philosophe et théologienne ; Ruwen Ogien, philosophe ; Mona Ozouf, historienne ; Michelle Perrot, historienne ; Enric Porqueres i Gené, anthropologue ; Alain Prochiantz, neurobiologiste, professeur au Collège de France ; Pierre Rosanvallon, historien, professeur au Collège de France ; Bertrand Pulman, anthropologue ; Violaine Sebillotte, historienne ; Alfred Spira, épidémiologiste ; Sylvie Steinberg, historienne ; Irène Théry, sociologue ; Laurent Toulemon, démographe ; Georges Vigarello, historien ;
Pénelope Agallopoulo, juriste ; Sophie-Marie Barbut, juriste ; Régine Barthélémy, avocate ; Alain Blanc, magistrat honoraire ; Florian Borg, président du Syndicat des Avocats de France ; Hubert Bosse-Platière, juriste ; Laurence Brunet, juriste ; Aurore Chaigneau, juriste; Géraud de la Pradelle, juriste ; Pierre Emaille, avocat ; Stéphanie Hennette-Vauchez, juriste ; Aurélie Lebel-Cliqueteux, avocate ; Anne-Marie Leroyer, juriste ; Françoise Martres, présidente du Syndicat de la Magistrature ; Eric Millard, juriste ; Marc Nicod, juriste ; Serge Portelli, magistrat ; Laurence Roques, avocate ; Valérie Sebag, juriste ; Françoise Thouin-Palat, avocate ; Michel Troper, juriste ; Alain Vogelweith, magistrat ;
Yeshaya Dalsace, rabbin ; Rivon Krigier, rabbin ; Philippe Lachkeur, président du Beit Haverim ; Corinne Lanoir, théologienne ; Stéphane Lavignotte, pasteur, président du Mouvement du christianisme social ; Marc Pernot, pasteur ; Marina Zuccon, présidente du Carrefour des Chrétiens Inclusifs ; Salima Naït-Ahmed, Musulmans Inclusifs de France ; Ludovic-Mohamed Zahed, imam, fondateur de Musulman-es progressistes de France ; Jean-Pierre Mignard, avocat et codirecteur de Témoignage chrétien ; Daniel Keller, grand maître du Grand Orient de France ;
Nathalie Allain-Djerrah, présidente des Enfants d’Arc-en Ciel ; Jérôme Beaugé, président de l’inter-LGBT ; Frédérick Getton, président de Centr’égaux ; Nicolas Gougain, ancien porte-parole de l’inter-LGBT ; Sylvie et Dominique Mennesson, coprésidents de l’association CLARA ; Catherine Michaud, présidente de Gaylib ; Laëtitia Poisson-Deléglise, présidente de l’association MAIA ; Denis Quinqueton, président de Homosexualité et Socialisme ; Yohann Roszéwitch, président de SOS Homophobie; Alexandre Urwicz, président de l’Association des Familles Homoparentales ; Vincent Violain, président du collectif Tous unis pour l’égalité.
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