Marisol Touraine, Ministre des Affaires sociales, de la Santé et des Droits des femmes, a présidé l’installation de la commission de suivi de l’indemnisation des victimes des essais nucléaires (CIVEN). Cette commission réunit des associations de victimes, des parlementaires des deux chambres, des personnalités qualifiées et des représentants des ministères concernés. La loi de programmation militaire du 18 décembre 2013 lui a donné le statut d’autorité administrative indépendante, désormais détachée du ministère de la Défense.
Ci-après l’intervention introductive de la Ministre sur ce sujet sensible :
« C’est la première fois que nous nous réunissons depuis que le Gouvernement a réformé la gouvernance du dispositif d’indemnisation des victimes des essais nucléaires. Cette évolution était nécessaire, attendue, je le sais, par l’ensemble des acteurs de ce dossier douloureux. La commission en charge du suivi de l’application de la loi de 2010 est ainsi désormais placée sous ma présidence. Efficacité, transparence, écoute, voilà les maîtres-mots qui doivent être les nôtres. Cela commence par cette réunion d’installation, dont je souhaite qu’elle nous permette d’avancer pour mieux accompagner et mieux indemniser les victimes.
Avant de vous faire part des objectifs qui sont les miens, je veux revenir sur la mise en place du dispositif d’indemnisation par la loi de 2010.
Chacun ici connaît l’historique de ce dossier, mais je tiens à rappeler brièvement pourquoi une loi a été nécessaire. Je sais combien cette reconnaissance par les pouvoirs publics vous est importante. Entre 1960 et 1998, notre pays a procédé à 210 essais nucléaires, dont 193 dans les atolls de Mururoa et Fangataufa en Polynésie française. Ces essais ont provoqué des retombées massives de plutonium sur Tahiti. La population polynésienne et de nombreux militaires français ont pu être touchés.
Avec la loi du 5 janvier 2010, une procédure d’indemnisation a été mise en place pour les victimes. Toute personne atteinte de l’une des maladies considérées comme radio-induites et résultant d’une exposition aux rayonnements ionisants des essais nucléaires français a le droit de bénéficier d’un régime de réparation intégrale des préjudices subis.
Si les critères liés à la pathologie, au lieu et à la période d’exposition sont réunis, l’intéressé bénéficie d’une présomption de causalité simple. Cette présomption peut être écartée s’il est démontré que le risque que la maladie soit attribuable aux essais nucléaires est « négligeable ».
Avec le dispositif conçu en 2010, toute demande était soumise au CIVEN, alors rattaché au ministre de la Défense. Le CIVEN faisait connaître au ministre son avis sur la demande d’indemnisation afin que ce dernier puisse décider de la suite à donner au dossier. De même, la commission de suivi de l’application de la loi était rattachée au ministre de la Défense.
Après trois ans de fonctionnement, est venu le temps du bilan. Des interrogations légitimes ont été soulevées. Seul 1% des demandes formulées entre 2010 et 2013 a donné lieu à indemnisation. Moins de 10% de l’enveloppe impartie à l’indemnisation avait été utilisée en 2013, selon un rapport sénatorial. Oui, ces chiffres interpellent.
Le Gouvernement a souhaité prendre ce dossier à bras le corps. L’enjeu : répondre aux lacunes du dispositif et aux difficultés exprimées par les associations. C’est le sens de la réforme portée en 2013.
Il a fallu d’abord dépasser les craintes d’un dispositif considéré comme manquant d’indépendance. C’est la raison pour laquelle la loi de programmation militaire du 18 décembre 2013 a donné le statut d’autorité administrative indépendante (AAI) au CIVEN, désormais détaché du ministère de la Défense. Il lui revient d’instruire les dossiers en totale indépendance. C’est dans cette même logique que la commission de suivi des conséquences des essais nucléaires, qui avait été créée par la loi de 2010 et placée auprès du ministre de la Défense, se réunit désormais sous ma présidence.
La seconde crainte à dépasser, c’était celle d’un dispositif inadapté à la réalité de la situation. C’est la raison pour laquelle nous avons élargi les zones géographiques et les maladies prises en compte, ce qui a permis d’accroître le nombre de personnes pouvant présenter un dossier.
En accord avec le Premier ministre, je souhaite que nous franchissions aujourd’hui une étape nouvelle dans le renforcement du dispositif d’indemnisation.
Le constat est clair, je viens d’en rappeler les principaux chiffres : le nombre de dossiers retenus par le CIVEN reste trop faible, alors même que les moyens financiers sont au rendez-vous. Il nous faut avancer, et je souhaite que nous poursuivions deux grands objectifs.
Premier objectif : améliorer le dispositif d’indemnisation actuel.
Il serait prématuré de procéder aujourd’hui à des modifications législatives, car nous n’avons pas encore suffisamment de recul sur le nouveau dispositif. Mais il nous faut réfléchir, confronter les points de vue, nous interroger sur la méthode d’évaluation des dossiers par le CIVEN. L’enjeu est d’aboutir à davantage d’indemnisations des victimes. Cette méthode doit répondre à deux exigences :
- d’abord, une exigence de transparence. Les critères d’évaluation du risque négligeable et d’indemnisation doivent être écrits et publics. Les critères implicites - je pense notamment au fait que si la probabilité de causalité est inférieure à 1%, la demande est en principe rejetée - doivent être clairement formalisés et publiés ;
- ensuite, une exigence de débat. Le principe du contradictoire doit s’appliquer. Il nous faut pouvoir émettre des recommandations d’évolution si nous l’estimons nécessaire.
Mon second objectif, c’est le renforcement de l’information relative au dispositif d’indemnisation.
Moins de 1.000 demandes d’indemnisations ont été formulées depuis la mise en place du dispositif, contre 20.000 attendues. À l’évidence, les populations concernées ne sont pas suffisamment informées du nouveau dispositif de 2013. Les demandeurs doivent être mieux accompagnés dans leur démarche. En d’autres termes, il nous faut redonner confiance, lutter contre l’idée selon laquelle « les dés seraient pipés ». C’est pourquoi il faut rappeler à chacun que le CIVEN est désormais une autorité indépendante, que la commission est désormais placée sous l’autorité du ministère de la Santé et que les zones géographiques et le nombre de maladies entrant dans le champ du dispositif ont été étendus.
Mesdames et messieurs,
L’indemnisation des victimes des essais nucléaires est un sujet particulièrement sensible. Face aux victimes et aux attentes fortes des associations, il y a urgence à améliorer les pratiques pour encourager les victimes potentielles à faire valoir leur droit. Je souhaite que cette réunion nous permette d’avancer dans cette direction. Je serai à l’écoute de vos propositions et de vos pistes de travail. Je vous remercie. »
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