Par Benoît HAMON, Député européen
« Les races supérieures, c'est-à-dire les
sociétés occidentales parvenues à un haut degré de développement
technique, scientifique et moral, ont à la fois des droits et des
devoirs à l’égard des races inférieures ». C’est par ces mots que
Jules Ferry justifiait le 28 juillet 1885 à la tribune de la Chambre la
nécessité de l’expansion coloniale. On aurait tort cependant de croire
qu’à la fin du 19ème siècle, cette vision du monde faisait
l’unanimité, puisque Clémenceau dès le 30 juillet 1885 s’emportait déjà
contre ces velléités expansionnistes : « La conquête que vous
préconisez, c’est l’abus pur et simple de la force (…) Ce n’est pas le
droit, c’en est la négation. Parler à ce propos de civilisation, c’est
joindre à la violence l’hypocrisie. »
Depuis, 130 années se sont écoulées, le débat
entre Ferry et Clemenceau semble tranché et cette page honteuse de
l’histoire de la République tournée. Pourtant, le 23 février 2005, par
le vote de la loi « Portant reconnaissance de la nation et contribution
nationale en faveur des Français rapatriés », dont l’article 4 dispose «
Les programmes scolaires reconnaissent en particulier le rôle positif
de la présence française outre mer, notamment en Afrique du nord »,
la droite Française a fait la démonstration des rapports ambigus
qu’elle entretient avec le passé colonial de la France. En effet, cette
entreprise négationniste menée par une poignée de parlementaires
clientélistes nostalgiques du « temps béni des colonies », sous l’œil
apparemment indifférent d’un gouvernement aux abonnés absents, impose
une histoire officielle en ne retenant que le « rôle positif » de la
colonisation et en jetant le voile sur les crimes, les massacres,
l’esclavage, le racisme hérité de ce passé. Oubliés, les zoos humains,
le régime de l’indigénat, le travail forcé, l’oppression économique,
les déplacements de population, niées, la conquête sanglante, et la
guerre de libération meurtrière marquée par la pratique généralisée de
la torture : les manuels scolaires se devront de relayer le mensonge
officiel et de mettre l’accent sur le « rôle positif » de la présence
française.
Au-delà l’injonction éducative, la droite affirme
par cette loi, la hiérarchie entre communautés qui structure à ses
yeux, à la fois l’Histoire des hommes mais aussi le présent de la
société française. En définitive, elle portraite, considère et juge
d’une manière assez semblable « l’indigène » des colonies et la «
racaille » des banlieues.
Il suffit de constater le silence médiatique
assourdissant qui accompagne la condamnation de l’ancien président de
France télévision Marc Tessier, du présentateur, du rédacteur en chef
et de l’assistant d’une émission au cours de laquelle a été diffusé un
SMS faisant référence aux « odeurs des blacks » , et au soutien appuyé
que le ministre de la culture a apporté au présentateur mis en cause ,
ou de réfléchir aux propos du ministre de l’intérieur Nicolas Sarkozy à
Argenteuil, utilisant le terme de « racaille » pour qualifier
les jeunes des banlieues, pour se convaincre que les stéréotypes issus
du passé dictent les pratiques d’aujourd’hui. » pour
qualifier les jeunes des banlieues, pour se convaincre que les
stéréotypes issus du passé dictent les pratiques d’aujourd’hui.
De même, la politique de Nicolas Sarkozy, qui
cherche à confessionnaliser les problèmes sociaux, avec
l’instrumentalisation du conseil français du culte musulman (CFCM),
créé pour régler des questions cultuelles mais qui se voit de plus en
plus fréquemment sollicité comme porte parole d’une « communauté »,
révèle une persistance des réflexes de l’administration coloniale, qui
traitait avec les oulémas et définissait les indigènes par leur
religion.
Enfin, lorsque l’on voit que à qualification
égale, le taux de chômage des jeunes issus de l’immigration est deux
fois supérieur, le déclassement deux fois plus fréquent des diplômés
vers des tâches d’exécution, on ne peut que s’interroger sur une
perpétuation de la hiérarchie des tâches issue de l’époque coloniale -
ce sont toujours les mêmes qui construisent les routes et transportent
les poubelles.
Le message est il alors qu’il faut que les
communautés s’organisent afin de faire respecter leur droit à la
dignité ? Le communautarisme est-il la seule solution face aux
racismes, pour des citoyens à qui la République n’offre que
discrimination à l’embauche, concentration dans les cités, invisibilité
électorale, sous représentation médiatique, surexposition au zèle
policier et judiciaire ?
Je refuse l’idée selon laquelle les
communautés pourraient être un instrument de l’égalité, de même que
l’idée selon laquelle les discriminations positives pourraient «
réparer » les discriminations dont sont victimes nos concitoyens
descendants d’immigrés africains ou asiatiques, les « minorités
visibles ». De même que le racisme consiste d’une part dans la division
du genre humain en catégories d’Hommes selon leurs appartenances, et
d’autre part dans la hiérarchisation de ces catégories ainsi définies,
le communautarisme commence par distinguer des communautés avant de les
hiérarchiser, chacun défendant la primauté ou la supériorité de la
sienne. Ces hiérarchies implicites deviennent ainsi un substitut de
citoyenneté et le règlement des conflits sociaux se privatise : le
résultat de cette stratégie, c’est l’abandon de la République,
communauté de droit et de valeurs au profit d’une société dans laquelle
la discrimination ou la violence qui frappent un citoyen en raison de
ses origines, de sa foi, de ses convictions n’insultent plus la
collectivité mais relève désormais du conflit particulier.
Hier, la République était le rempart des
citoyens français face à la violence faite à un seul d’entre eux au nom
de l’antisémitisme ou du racisme. Aujourd’hui le gouvernement privatise
le règlement des conflits et décharge la République de sa mission
protectrice et émancipatrice. La droite qui gouverne aujourd’hui n’est
plus Républicaine, au sens où on l’entend ici, elle est Républicaine au
sens où on l’entend Outre Atlantique.
Pour éviter la contagion de la violence, il est urgent de propager la dissidence.
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