Olivier Dussopt, 29 ans. Elu (PS) en Ardèche aux législatives de juin, le benjamin de l’Assemblée nationale se présente dur à la tâche, indifférent aux ors de la République.
Par Laure Equy
Libération : jeudi 16 août 2007
Cravate sagement nouée, silhouette fluette, bouille de jeune premier, Olivier Dussopt, 29 ans aujourd’hui, a enfilé son costume de député sans effets de manches. Escorté dans la première quinzaine de son mandat par une nuée de journalistes, il aurait sans doute préféré passer inaperçu parmi les bizuts du Palais-Bourbon. «Ne me demandez pas si j’étais impressionné en entrant dans l’hémicycle. Cette question-là, je l’ai trop entendue», lance d’emblée le benjamin de l’Assemblée nationale.
Les médias, en quête de chair fraîche dans les formations politiques, auraient bien fait de lui une énième valeur montante, aux côtés des Razzye Hammadi, Aurélie Filippetti (PS) et autres Laurent Wauquiez et Rama Yade pour l’UMP. Lui s’est prêté consciencieusement à l’exercice, récitant, mains derrière le dos, son émotion, mais surtout sa «conscience des responsabilités» . A croire que l’image de nouvel espoir masculin n’est pas son genre de beauté. Ne pas passer pour le môme fébrile, aux yeux écarquillés face au décorum de l’Assemblée, ne pas faire figure de petit bleu perdu dans les couloirs, doit-il se répéter. «Ce faste-là relève du symbole. Je n’ai rien contre, mais c’est la République qui se donne une image. La vraie vie n’est pas aux Quatre Colonnes [à l’Assemblée, ndlr]», dit-il en balayant des yeux une ruelle écrasée de soleil d’Annonay, sa ville natale. Il décoche l’un des nombreux préceptes qu’il garde en réserve : «Un pied à Paris, un pied en Ardèche», dans ce bassin industriel où il a grandi. Olivier Dussopt a eu sa dose de «politique paillettes» et n’avait qu’une hâte : se mettre au travail.
Sur un même ton paisible, il raconte son année «complètement folle» : investi en juin 2006 par les militants pour les législatives, il rejoint le conseil régional de Rhône-Alpes le même été, suite à une démission. A la rentrée, il se lance dans la campagne de Ségolène Royal en prenant soin de choisir les «thèmes qui parlent aux Ardéchois». Et le candidat crée la surprise le 17 juin dernier, en battant nettement (53,71 %) le député sortant, maire d’Annonay, Gérard Weber (UMP), dans une circonscription ancrée à droite . Là, il s’avoue «lessivé». Un emballement de courte durée, parfaitement contrôlé.
Le regard est doux, mais ne baisse jamais la garde. La voix est à la fois timide et posée. Le discours coule, sans hésitation. Un style tout de velours qui ne masque pas une volonté de fer. Hervé Saulignac, conseiller régional (PS), se souvient d’un «gosse calme et effacé», lors de leur rencontre en 2000. Mais l’image d’oisillon tombé du nid s’estompe rapidement. «J’ai tout de suite senti son intention d’aller vite, ajoute-t-il. Il est doué, impatient. La politique, c’est toute sa vie.» Dussopt, lui, ne se voit pas en sprinter brûlant les étapes. Devenir député avant même de fêter ses 30 ans ? Réponse laconique : «Je me sentais prêt, c’est tout.»
Sa génération, il la voit intéressée par la politique, curieuse, même si elle boude parfois les structures traditionnelles. «Mon engagement a été perçu bizarrement autour de moi, note-t-il. Les jeunes ont envie de se rendre utiles, mais en toute indépendance, peut-être par peur de ne pas trouver leur place» au sein d’un parti. Une jeunesse, en somme, coincée entre un refus de la politique de papa et des nouvelles pratiques militantes encore balbutiantes. Lui n’a adhéré au PS qu’en 2000, à cause d’un «deal» avec sa mère. De condition modeste, il est prié de «trouver une situation» avant de se lancer en politique et attend d’être diplômé de Sciences Po Grenoble pour s’encarter.
Mais c’est de sa première manifestation, en 1993, contre le CIP (Smic jeunes) de Balladur, que naît sa «révolte contre les inégalités» . La petite entreprise de carrosserie montée par ses parents, tous deux ouvriers, avait fait faillite deux ans auparavant. Endettés, ils ont enchaîné périodes de chômage et CDD bradés. «Je savais combien c’était dur de faire vivre sa famille avec un Smic», admet-il sans s’étendre. Le misérabilisme n’est pas son style. Mais il évoque sans détours les colères passées et des blessures qu’on devine toujours vivaces.
Deux drames surviennent coup sur coup : la mort de son frère, en 2004, dans un accident de moto, et celle de son père, l’an dernier. «J’en suis ressorti plus fort, avec la certitude qu’aujourd’hui plus grand-chose ne peut m’atteindre. Surtout pas les coups donnés en politique.» A l’évidence, Olivier Dussopt a une revanche à prendre sur la vie, avancent ses proches. Sans rage ni rancœur. Avec persévérance.
Cet acharné du travail a sillonné les villages, multiplié les rencontres publiques, empoigné les problématiques de sa région - développement touristique du Nord-Ardèche, défense du service public en zone rurale, reconversion des territoires industriels… «Je connais les dossiers», serine-t-il. «Olivier est de plus en plus énergique et de moins en moins timide», relève Jean-Claude Tournayre, conseiller général (PS), qui l’a vu, lors de la campagne, sauter de la voiture et «gambader dans un champ pour aller saluer un agriculteur. Ce dont il aurait été incapable il y a quelques années». Cette campagne «l’a révélé, il a fendu l’armure», confirme Hervé Saulignac. Et l’ex-candidat a su jouer de sa jeunesse pour convaincre les électeurs. Les jeunes s’identifient à lui et les plus âgés, en attente de relève, se réjouissent de ce «nouveau visage».
La refondation du PS, le député la souhaite, à condition de ne pas tomber dans le «piège» d’une modernité effrénée. Tout en rappelant qu’il avait 3 ans lorsque Lang et Fabius sont devenus ministres, le nouvel élu ne veut pas pousser à la retraite les caciques socialistes. Parce que renouvellement ne signifie pas uniquement rajeunissement : «On n’est pas plus malin à 25 ans qu’à 50.» Tout en concédant sur ce point, une longueur d’avance à l’UMP. «En termes d’image seulement.» Ni éléphanteau, ni jeune lion - «inutile, tout ce bestiaire» -, Olivier Dussopt veut d’abord être un député «clairement de gauche». «Se demander qui on est, quelle est la base de nos convictions, puis définir nos marges de manœuvre, oui. Mais renoncer à nos valeurs pour aller vers une conversion forcée au social-libéralisme, je refuse», tranche-t-il. Admiratif, à ses débuts, de Martine Aubry, il est proche du député européen et nouveau porte-parole du PS, Benoît Hamon, qu’il juge profondément à gauche sans être «archaïque».
Venu seul en politique, Dussopt s’est aussi appuyé sur ses aînés. Il a glané ici et là une foule de conseils : «Pour gagner une bataille, il faut choisir le champ de bataille.» «En politique, on ne gagne pas en faisant des soustractions et des divisions, mais des additions.» Ou, soufflé par un professeur : « On ne connaît vraiment un endroit qu’avec ses pieds.» Derrière le plaisir de la formule, on devine un homme qui ne badine pas avec les valeurs, aux principes arrêtés. L’expérience viendra sans doute patiner les idéaux et arrondir les angles autant qu’elle donnera à ce célibataire sans enfants un peu d’étoffe. Mais pour ce qui est d’assouplir son discours, Olivier Dussopt, exceptionnellement, prendra un peu son temps.
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