François Hollande en a fait sa priorité. Dès la primaire socialiste, le député de Corrèze avait choisi d’insister sur l’école et proposé, à la surprise générale, de créer 60 000 postes dans l’Education nationale. Depuis des mois, il affine ses propositions avec, à la baguette, le député européen Vincent Peillon. Pressenti comme ministre de l’Education nationale en cas de victoire de la gauche le 6 mai prochain, il mène, avec l’ancien président du syndicat étudiant Unef, Bruno Julliard, de discrètes négociations avec les principales fédérations enseignantes, lassées des multiples réformes de l’école et de la baisse drastique des moyens. L’enjeu est crucial pour le PS qui a souvent déçu les personnels de l’Education. Entretien.
Mediapart : François Hollande a appelé à une refondation de l'école. Le mot est fort. Mais que signifie-t-il quand on sait que l'Education nationale a connu une réforme par an environ depuis trente ans ?
Vincent Peillon : Depuis dix ans, le terme de réforme a surtout servi à habiller des régressions. La « réforme » de la formation des enseignants a consisté en sa suppression. La « réforme Darcos » généralisant la semaine de 4 jours a consacré le « toujours moins d'école ». D’où la grande lassitude des personnels mais aussi des parents d’élèves. Mais il y a une deuxième raison à ce rejet : l'absence de vision éducative, de sens, autre que budgétaire ou managériale, de nos gouvernants.
Il ne s'agit pas pour nous de proposer une énième réforme ou un ajustement à la marge du système. Il s'agit de poser les bases d'un nouveau départ pour l'école, aujourd'hui terriblement fragilisée. Cette volonté de refondation – le mot est fort en effet – est inédite depuis le plan Langevin-Wallon (les vastes réformes de l’Education du conseil national de la Résistance) !
En dehors des questions essentielles de moyens, il faut aujourd’hui des réformes de structure, et des réformes qui doivent être conduites ensemble. Car tout se tient : comment peut-on changer les rythmes scolaires sans poser la question des pédagogies ? Comment peut-on poser la question des pédagogies sans poser celle du métier enseignant, de la formation des professeurs ?
Il faut une vision d'ensemble. Il faut aussi, si on veut réussir, un projet qui peut être porté par tous. Cela passe par une concertation dans laquelle la question du sens, des finalités, des objectifs est abordée de manière cohérente et sincère. Et cette concertation doit être conduite avec tous et dans la transparence. Le découpage « lamelle par lamelle », l'arrachage « petite peau après petite peau » a fait son temps. Nous n'avancerons pas masqués. Nous ne nous cacherons pas derrière des subterfuges administratifs, des prétextes budgétaires, ou notre petit doigt comme cela se fait depuis trop longtemps. Nous posons toutes les questions en même temps. Nous mettons tout sur la table.
Enfin, la dernière idée, c'est que l'on ne peut rien faire pour l'école s'il n'y a pas un engagement des plus hautes autorités de l'Etat, et donc de celui qui pourrait être président de la République lui-même. On a bien vu que, même quand les finances publiques étaient dans un meilleur état et si le président ne portait pas lui-même cette question, le pilotage restait purement budgétaire.
La refondation, c'est aussi essayer de faire comprendre aux Français que la question de l'école n'est pas une question catégorielle – celle des personnels de l'Education nationale – ou sectorielle. C'est une question qui concerne l'ensemble de la nation. C'est nous tous, citoyens, qui devons essayer de porter ensemble ce projet commun… même s'il faudra ensuite évidemment discuter avec les enseignants, les personnels, les parents d'élèves. Le nouveau contrat est bien un contrat entre l'école et la nation.
Il y a dix ou quinze ans, les gens qui s'intéressaient à l'école avaient des approches très différentes, très clivées, passionnées. Ce n'est plus le cas aujourd'hui. Nous disposons en effet d'un grand nombre d'études, qui, malgré leurs défauts, convergent sur deux points : le premier, c'est que la France se dirige désormais à grande vitesse vers le dernier rang de la classe européenne ; le second, c'est que les difficultés de notre école plongent leurs racines dans les premières années du primaire.
Pour relever notre système éducatif, il faudra donc remédier à une double aberration. Une aberration financière qui veut que la France consacre en moyenne 15 % de moins que les autres pays développés à l'école primaire, et 15 % de plus au lycée. Avec pour conséquence de ne disposer que d'à peine 5 professeurs pour 100 élèves, soit le plus faible taux encadrement des 34 pays de l'OCDE !
Il y a ensuite une aberration pédagogique. Pour lutter contre l'échec scolaire ou la reproduction des inégalités, il vaut évidemment mieux prévenir que guérir, ou à défaut guérir le plus tôt possible. Si l'on prend les chiffres d'entrée en 6e, 40 % des élèves ont des difficultés dans la maîtrise de la langue écrite. Or, les élèves, qui sont en difficulté en 6e, le sont déjà à la fin du cycle 2 (grande section-CP-CE1). Tout se joue dans les premières années, et la France met moins d'argent là elle devrait en mettre le plus !
Il faut commencer par le commencement, et le commencement, c'est le primaire. Mais il ne s'agit pas que de moyens : il faut aussi améliorer les pédagogies, la formation des enseignants, la nature des enseignements menés dans les classes charnières ou fondamentales. Cela vaut pour le primaire mais pas seulement.
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