Monsieur le Premier président,
Je me félicite de la publication de ce deuxième rapport de la Cour des comptes exclusivement consacré aux finances locales. L’année dernière, dans sa réponse, l’Association des Petites Villes de France (APVF) avait appelé de ses vœux la pérennisation de ce rapport public thématique, comme la Cour des comptes le fait déjà pour les finances de l’État et de la sécurité sociale. L’APVF ne peut donc que se réjouir de cette nouvelle édition du rapport « Les finances publiques locales ».
Au préalable, il convient de souligner que la parution de ce rapport intervient dans un contexte de tensions économiques et sociales. Tous les élus locaux entament leur mandat avec des budgets très contraints alors même que les attentes des entreprises et des ménages sont très importantes en matière d’investissement et de service public de proximité, et que l’État leur demande de mettre en œuvre la lourde réforme des rythmes scolaires.
► Généralités
Dès l’introduction du rapport, la Cour rappelle que les collectivités locales sont soumises à la règle d’or, contrairement à l’État ou les organismes de sécurité sociale, et que la dette locale représente seulement 9,5% de la dette totale. Elle indique aussi que les impôts locaux constituent 12,7% des prélèvements obligatoires. Ce sont là deux rappels importants.
La progression des dépenses des administrations publiques locales inquiète fortement la Cour puisqu’elle juge leur situation financière « très préoccupante » et qu’elle considère que « les collectivités territoriales n’ont pas apporté en 2013 la contribution attendue à la réduction des déficits publics ». À la lecture de ce premier diagnostic, les collectivités locales semblent désignées comme étant responsables du difficile « respect par la France de ses engagements européens en venant limiter la portée des efforts de maitrise de leurs dépenses accomplis par l’État et les organismes de sécurité sociale ».
Pour l’APVF, ces affirmations ne sont pas acceptables et il est nécessaire non seulement de distinguer la situation financière des différentes strates de collectivités et également d’identifier les véritables causes de l’évolution à la hausse des dépenses. L’APVF rappelle que toutes les dépenses des collectivités locales ne doivent pas être appréhendées de la même manière, certaines pouvant avoir un impact bénéfique sur la croissance et l’emploi. De plus, certaines dépenses locales ne sont que le résultat de la mise en œuvre des politiques nationales et de l’application de nombreuses normes.
Cependant, la Cour reconnaît qu’une meilleure connaissance « des déterminants de l’investissement des collectivités territoriales, (…) de même que l’identification des facteurs exogènes et des causes endogènes de la croissance des dépenses contribueraient à une meilleures programmation des finances locales ». Nombreux sont les élus locaux qui souhaitent davantage de lisibilité et de stabilité dans les politiques publiques afin de pouvoir élaborer une réelle stratégie financière locale pluriannuelle. Or, aujourd’hui, certaines politiques nationales et l’édiction de nouvelles normes viennent impacter, brutalement et sans concertation, les budgets locaux aussi bien dans leur section de fonctionnement que d’investissement.
Pour l’APVF, dans le cadre d’une analyse des finances publiques locales, il faudrait pouvoir distinguer entre ce qui relève des choix de gestion et de la politique locale, et des décisions nationales ayant des conséquences budgétaires pour les collectivités.
► Fiscalité locale
À plusieurs reprises la Cour évoque l’importante capacité de modulation des taux des impôts directs pour les communes. Cependant, en pratique, cette modulation est plus complexe. L’APVF rappelle qu’en 2013, le bloc communal n’a augmenté ses impôts que de 0,5%, permettant ainsi de parler de « pause fiscale ». L’augmentation des recettes fiscales locales est principalement due à l’évolution des bases. Cette pause devrait perdurer en 2014 et 2015, surtout du fait des tensions économiques et sociales. De plus, tous les élus locaux ne pourront pas utiliser le levier fiscal pour pallier la baisse des dotations, au risque d’aggraver les difficultés rencontrées par les entreprises et les ménages. En ce sens, il ressortait d’une enquête menée par l’APVF fin 2013 que 85% des élus de petites villes ne comptaient pas augmenter leurs impôts locaux.
L’APVF partage pleinement les analyses de la Cour sur la révision des valeurs locatives et insiste sur la nécessité d’aller au bout du processus de révision tout en veillant à ce que la péréquation soit préservée.
S’agissant de la Cotisation sur la Valeur Ajoutée des Entreprises (CVAE), dont le taux est fixé au niveau national, l’APVF précise qu’après une phase de progression en 2013, les collectivités locales doivent s’attendre en 2014 à une nette diminution des recettes. Dans ce rapport, la Cour explique les particularités de cet impôt économique et les raisons de ses fluctuations. L’analyse de la CVAE formulée par la Cour renforce d’autant plus les demandes de l’APVF concernant la modification des règles des groupes, la révision du dégrèvement barémique, l’information des collectivités locales sur cet impôt et la réflexion sur son taux.
S’agissant de la Cotisation Foncière des Entreprises (CFE), si le bloc communal dispose en effet d’un pouvoir de modulation des taux, l’APVF aurait souhaité que la Cour développe davantage les conséquences sur les budgets locaux de la révision du barème de la cotisation minimale. Il est sur ce point excessif d’affirmer que les marges de manœuvre du bloc communal sont importantes. L’APVF rappelle à cette occasion la nécessité de trouver une juste imposition des professions libérale, de remettre à plat ce barème et de redéfinir l’assiette de la cotisation minimale afin qu’elle se rapproche davantage de la valeur ajoutée des entreprises.
De manière générale, l’APVF partage le constat de la Cour sur la difficulté à envisager de nouveaux impôts locaux eu égard aux risques qui pourraient peser sur l’activité économique. Elle regrette néanmoins que l’État ne soit pas plus vigilant en matière de baisse des dotations lorsque les collectivités locales l’alertent sur les mêmes risques.
► Les dépenses de personnel
Comme dans son précédent rapport, la Cour évoque largement la problématique des dépenses de personnel qui pèsent lourdement sur les budgets locaux et freinent les objectifs nationaux de réduction des dépenses publiques. Cependant, l’APVF regrette que la Cour n’ait pas détaillé précisément l’impact des normes sur l’ensemble des charges de personnel. Si la Cour distingue bien l’évolution des effectifs et les règles relatives à la fonction publique territoriale (rémunérations, régimes indemnitaires, Caisse Nationale de Retraites des Agents des Collectivités Locales (CNRACL), revalorisation du SMIC, …), l’APVF aurait souhaité que le coût de l’ensemble de ces normes ainsi que la mise en œuvre des nouveaux rythmes scolaires puisse être précisément mesurée.
Il ressort de ces différentes analyses que la question des dépenses de personnel demeure prégnante mais que les élus locaux, seuls, ne peuvent la résoudre. Les normes relatives à la fonction publique territoriale sont édictées au niveau national et ne sont aucunement liées à la qualité de gestion des ressources humaines au niveau local. Aussi, les élus locaux ne pourront réduire leurs charges de personnel que s’ils disposent des outils juridiques pour le faire. Les économies réalisées seront alors immédiates contrairement à la mutualisation qui n’est qu’un outil de gestion et qui, selon la Cour, ne peut permettre à court terme de diminuer les dépenses publiques.
► Baisse des dotations
Concernant la baisse des dotations de l’État aux collectivités locales, l’APVF tient à souligner son inquiétude pour plusieurs raisons.
La Cour semble minimiser l’impact de la baisse annoncée pour les trois prochaines années en qualifiant cette baisse de « sensiblement accrue ». Beaucoup de communes vont voir leur budget amputé d’un quart de leurs recettes sans pouvoir compenser cette perte par une augmentation des recettes fiscales pour les raisons économiques et sociales que l’on vient de citer.
La Cour considère également que la baisse des dotations de 2014 est « plus que compensée par l’évolution de la fiscalité transférée… ». En réalité, cette compensation ne concerne aucunement le bloc communal. Aussi, l’APVF estime que ces conclusions ne peuvent être généralisées à l’ensemble des collectivités territoriales. Elles minimisent les difficultés budgétaires majeures rencontrées par beaucoup d’élus locaux de petites villes.
Par ailleurs, selon la Cour, la baisse des dotations engagée par l’État et qui a pour objectif de diminuer le poids des dépenses publiques ne serait pas suffisante puisque les dépenses des collectivités locales ont tout de même continué à progresser. L’APVF considère que si les politiques publiques et les normes continuent à faire varier à la hausse les dépenses locales, alors la baisse des dotations n’aboutira qu’à un étranglement financier des collectivités pouvant se traduire par une baisse des investissements et une dégradation des services publics de proximité. Aussi, non seulement l’effet escompté ne sera pas atteint mais de surcroit, un effet récessif sur l’économie nationale est à craindre. L’APVF regrette d’ailleurs que les conséquences économiques et sociales de la baisse des dotations ne soient pas mieux évaluées. La Cour reconnaît elle-même que ces conséquences sont difficilement prévisibles.
La répartition de la baisse des dotations décidée par le Comité des finances locales en juillet 2013 pourrait sans doute faire l’objet d’ajustement à la marge ou d’amélioration mais l’APVF doute que l’introduction de mécanismes de péréquation soit parfaitement pertinente comme le laisse entendre la Cour. Cette dernière constate d’ailleurs une juxtaposition de la péréquation qui aboutit bien souvent à des contradictions. L’APVF demeure ainsi réservée sur une répartition de la baisse des dotations associée à une péréquation « en dedans » au sein du bloc communal, qui est peu lisible et rend les prévisions financières complexes. Les prochaines séances du Comité des finances locales seront sans doute l’occasion de revenir sur les modes de répartition de la baisse des dotations.
► Les péréquations
L’APVF partage le constat de la Cour sur l’empilement des nombreux critères et mécanismes de péréquation qui rendent aujourd’hui les dispositifs peu efficaces et illisibles. La Cour revient notamment sur la composition et les caractéristiques des différentes dotations présentes dans l’enveloppe normée. À cette occasion, l’APVF rappelle que la majeure partie des dotations existantes sont le résultat de suppression d’impôts locaux et qu’aujourd’hui l’enveloppe normée est vouée à se réduire considérablement. Aussi, l’APVF souhaite que toute suppression d’impôts ou taxes locales soit remplacée par d’autres recettes fiscales et non par de nouveaux mécanismes de dotations que l’État ne serait en mesure de garantir à moyen et long termes.
L’APVF souhaite souligner que le gel puis la baisse des dotations engagée depuis plusieurs années aboutissent à une mutation de la nature de la péréquation puisque sa montée en puissance est désormais financée par les collectivités locales elles-mêmes. En effet, si la péréquation progresse, des collectivités connaissent simultanément une diminution des compléments de garanties et de la compensation « part salaires », qui deviennent alors des variables d’ajustement.
C’est pourquoi, si l’APVF, tout comme la Cour, souhaite que la péréquation soit repensée pour plus d’efficacité et de clarté, elle insiste sur l’importance d’une péréquation qui serait véritablement verticale. En d’autres termes, la réforme de la Dotation Globale de Fonctionnement ne doit pas être l’occasion de revenir sur le bien-fondé des dotations de l’État aux collectivités, mais doit permettre au contraire de faciliter leur mise en œuvre et leur progression en tenant compte de la richesse réelle des collectivités.
Cette réforme doit inévitablement être mise en perspective et en cohérence avec la nouvelle organisation territoriale. À ce titre, une réflexion doit être menée sur la pertinence des écarts entre Établissements Publics de Coopération Intercommunale de la dotation d’intercommunalité. Si la compensation des charges de centralité régionales demeurent indispensables pour les métropoles et communautés urbaines, les nouvelles charges qui incomberont aux autres EPCI devront être compensées de façon plus juste.
S’agissant de la péréquation horizontale, l’APVF partage la position de la Cour sur le nécessaire maintien du Fonds national de Péréquation des ressources Intercommunales et Communales (FPIC) qui apparaît, pour l’heure, comme l’outil de péréquation le plus efficace.
► Nouvelle gouvernance
L’APVF ne partage pas les préconisations de la Cour pour une autre gouvernance des finances locales. Tout dispositif visant à encadrer strictement les dépenses et les recettes des collectivités locales risquerait d’entraver la libre administration et l’autonomie financière des collectivités locales, et ne règlerait pas la problématique du maintien des investissements et de la préservation des services publics de proximité. Alors même que la Cour reconnaît que la baisse des dotations n’apparaît pas comme la solution la plus efficace à la baisse des déficits publics, pourquoi contraindre davantage les dépenses et les recettes locales sans en mesurer parfaitement tous les effets au niveau national ?
L’APVF n’est pas opposée à la mise en œuvre d’une loi de financement des collectivités territoriales, comme outil de transparence et gage de meilleure gestion, mais, telle que présentée dans le rapport, elle s’apparente davantage à un verrou à la libre administration.
Alors même que le dialogue et la concertation entre tous les acteurs publics apparaît aujourd’hui nécessaire à tous et que l’APVF continue de préconiser la création d’un lieu d’échange réunissant l’État et les collectivités locales, il serait contradictoire de vouloir les contraindre si fortement et donc de remettre en question leur capacité à concevoir des politiques locales responsables et conformes aux impératifs nationaux et européens. Cette nouvelle gouvernance serait perçue par une grande majorité d’élus comme une remise en question de la décentralisation.
En remerciant une nouvelle fois les membres de la Cour des comptes pour la qualité et le sérieux de ce rapport, dont les propositions ne pourront que susciter des débats approfondis, je vous prie de croire, Monsieur le Premier président, à l’assurance de mes sentiments les plus distingués.
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