Il y a quelques jours de cela, Jean-Paul Chanteguet, Président de la Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, était à l’initiative d'une lettre ouverte adressée à Manuel Valls.
En effet, il est en même temps rapporteur d’une mission d’information sur la place des autoroutes dans les infrastructures dont le rapport définitif devait être rendu très prochainement.
Comme Barbara Romagnan et plusieurs autres de mes collègues parlementaires, je souscris tout-à-fait à cette démarche.
« Monsieur le Premier Ministre,
L’État français doit aujourd’hui non seulement maintenir la qualité de nos infrastructures de transport, c’est-à-dire entretenir et réparer les réseaux existants mais aussi les adapter au changement climatique –qui nous impose de diminuer nos émissions de gaz à effet de serre— développer des approches multimodales, investir dans les chemins de fer et les voies d’eau, tout en consommant l’espace naturel juste nécessaire, dans un esprit de préservation des territoires. Pour mener à bien cette politique globale et durable du transport, nous sommes tenus par l’actuelle discipline budgétaire. Celle-ci nous oblige à trouver de nouvelles sources de financement, qui ne creusent pas le déficit public et n’augmentent pas l’impôt. L’application de l’écotaxe puis du péage de transit poids lourds ayant été abandonnée, il est temps d’agir en procédant au rachat des contrats de concessions autoroutières passés en 2006 avec les six sociétés historiques, critiqués par l’ensemble de la classe politique et dénoncés tant par la Cour des comptes que par l’Autorité de la concurrence.
Il s’agirait là d’un puissant acte de gauche, dont votre Gouvernement pourrait être crédité. Loin de nationaliser les concessions, comme cela a été écrit à tort pour mieux renvoyer cette proposition vers le passé, vous placeriez l’État en position de force, vous lui donneriez de réels moyens de négocier, dans de meilleures conditions, de nouveaux contrats de délégation à des sociétés privées, qui pourraient d’ailleurs fort bien être les actuels concessionnaires. Cette délégation de gestion confirmerait l’attachement de votre Gouvernement au monde de l’entreprise tout en défendant l’intérêt général, celui des Français et de leur État, qui ne peut être confondu avec l’intérêt des actionnaires des actuelles sociétés concessionnaires. Les contrats signés en 2006 avaient d’ailleurs non seulement prévu cette possibilité de rachat au motif d’intérêt général et les indemnités afférentes mais également les dates (2012 ou 2013) à partir desquelles cet acte serait possible, afin de garantir aux sociétés un temps suffisant d’exploitation permettant de préserver leurs intérêts. Ces dates, aujourd’hui dépassées, vous autorisent à procéder dans la plus stricte légalité.
Il s’agirait ensuite d’un acte d’avenir. Alors que votre Gouvernement est engagé dans une politique de réduction des déficits et de relance de l’activité, qui maitrise en même temps les efforts demandés aux catégories les plus défavorisées, la renégociation de contrats de concessions, accompagnée du vote des nouvelles dispositions législatives nécessaires, permettrait d’ouvrir un horizon indispensable à notre activité économique et au message social que vous portez. En faisant revenir dans les caisses de l’Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF) plusieurs centaines de millions d’euros par an, l’État français disposerait en effet des moyens de financer le plan de relance des autoroutes et ses créations d’emplois tout comme la réalisation de nouvelles infrastructures de transport, adaptées au changement climatique, conformément à l’engagement assumé par notre pays sur la scène internationale lors de la conférence de 2015. L’État serait également en mesure d’influer davantage sur le montant des péages, qui sont aujourd’hui déconnectés de la réalité économique et manquent totalement de transparence. Nous voudrions insister sur le fait qu’il existe une alternative en matière de concessions autoroutières comme sur toutes les questions de politique économique que votre Gouvernement est en train de réformer. L’État doit sur ce sujet impérativement arrêter de se dépouiller lui-même de ses moyens d’action, comme il l’a fait dans ce domaine depuis 2006, ainsi que l’ont rapporté la Cour des comptes et l’Autorité de la concurrence. Il doit bien au contraire montrer qu’il est au service de l’intérêt public dans un contexte profondément différent des décennies précédentes mais sans renoncer à sa capacité d’arbitrage qui fait toute sa légitimité.
Il s’agirait enfin d’un acte démocratique et républicain susceptible, comme le souhaite le Ministre de l’Économie, à la fois de redonner confiance, de simplifier et de poser les choses à plat en nommant les problèmes. Votre gouvernement pourrait ainsi, par ce rachat et l’engagement d’une nouvelle négociation, revenir sur des contrats autrefois mal négociés et devenus aujourd’hui dérogatoires du droit commun. Au moment de la privatisation organisée en un temps record, les clauses qui étaient favorables à l’État, en tant que gestionnaire, ont en effet été appliquées sans changement aux sociétés concessionnaires, lésant ainsi les intérêts du concédant. Depuis 2006, d’autres contrats de concessions, comme celui du viaduc de Millau, ont été signés et préservent beaucoup mieux les intérêts de l’État en liant surrentabilité et durée de concession. Trois études, réalisées par de hauts fonctionnaires de l’ancienne direction des routes, par le cabinet privé Microéconomix et par la Banque royale du Canada, confirment d’ailleurs qu’il est tout-à-fait possible et compatible, tant avec notre politique budgétaire qu’avec la réglementation européenne, via ce rachat, de parvenir à un montage financièrement intéressant pour l’État, qui permette de réguler l’évolution des péages et de financer les infrastructures.
Enfin cette renégociation permettrait à votre Gouvernement de sortir du piège du plan de relance, lui aussi négocié depuis trop longtemps, pour être adapté à l’actuelle réalité. Ce plan prévoit en effet à la fois une prolongation des concessions jusqu’à 4 ans, donc une poursuite du triple bénéfice accordé aux sociétés concessionnaires –retour financier exceptionnel situé entre 20 et 24% du chiffre d’affaires, déductibilité fiscale des intérêts de la dette et attribution d’une part importante des travaux autoroutiers aux pôles BTP des sociétés concessionnaires– mais également une extension du réseau concédé, sans aucun appel d’offres. Le feu vert accordé par la Commission européenne ne peut, à lui seul, rendre vertueux ce plan, qui ne correspond pas aux critères définis par le Ministre de l’économie, pour libérer l’activité et déverrouiller l’économie française.
Le calendrier de ce rachat par anticipation est, comme vous le savez, contraint, puisqu’il ne peut se faire qu’au premier janvier de chaque année, moyennant un préavis d’un an, notifié au concessionnaire. Un rachat acté avant le 31 décembre 2014 permettrait de travailler tout au long de l’année 2015 à la mise en œuvre d’une autre gestion du réseau autoroutier sur de nouvelles bases plus conformes aux priorités de la Nation pour une application au premier janvier 2016. Afin d’anticiper les modalités de cette opération, le Gouvernement devrait remettre à l’Assemblée nationale, avant le 31 décembre 2014, un rapport sur la mise en place d’un EPIC, auquel serait transféré le réseau autoroutier des sociétés concessionnaires et qui, doté des droits et obligations du propriétaire, délèguerait la gestion et l’exploitation de ce réseau à des sociétés privées dans le cadre d’une procédure de régie intéressée. Ce rapport préciserait également les dispositions législatives, que le Parlement aurait à voter. L’Assemblée nationale vous apporterait ainsi tout le concours nécessaire via le vote de la loi et serait fière d’être un acteur majeur d’une réforme d’intérêt général et un soutien de la volonté de changement du gouvernement. À contrario laisser passer cette date équivaudrait à conforter les actuelles sociétés concessionnaires dans leur position de force aussi bien en termes de durée que de champ de leurs concessions.
Nous vous prions de croire, Monsieur le Premier Ministre, en l’assurance de notre haute considération. »
Commentaires