Par Philippe Baumel, Gwenegan Bui, Olivier Dussopt, Régis Juanico, Arnaud Leroy et François Pupponi Députés socialistes - Libération, le 24 décembre 2014
Les victoires et les défaites idéologiques ne se mesurent pas seulement dans les urnes. Qu’est-ce qu’une victoire électorale lorsqu’on a repris mot pour mot ce que l’on prétendait combattre ?
Quand la «compétitivité» fait irruption dans le vocabulaire de la gauche à l’automne 2012 suite à la présentation du rapport Gallois, la question est celle de la capacité de l’industrie française à se relever. Mais, comme souvent, un glissement sémantique nous a tous débordés depuis deux ans : le mot «compétitivité» ne porte plus sur les produits industriels français ; la compétition s’immisce dans notre modèle socio-économique, dans le monde associatif, dans la question territoriale, voire notre pays tout entier, au sein de l’Europe.
La répétition des mots «compétitivité» et «compétition» dans nos discours nous a fait progressivement endosser l’idée que, comme le monde est concurrentiel, c’est par la concurrence que nous allons préserver la qualité de vie des Français. Et par cette seule voie !
Si la concurrence est un fait, ce n’est pas une valeur. La valeur de gauche, c’est la coopération. Le chemin de la coopération, dans notre monde d’après guerre froide, est un chemin étroit. Comme le formule Christian Harbulot, directeur de l’Ecole de guerre économique (EGE), désormais «un allié est aussi un adversaire». Nous ne pouvons plus considérer que le «couple franco-allemand» protège nos entreprises contre une concurrence brutale - voire déloyale - des entreprises allemandes. Nous ne pouvons pas feindre que l’Union européenne nous protège contre le dumping social et fiscal des autres Etats-membres. Mais, c’est précisément cela qu’il faut changer ! Renforcer nos coopérations pour s’assurer de la création d’un modèle social cohérent et convergent partout en Europe. Ou bien soixante ans de construction européenne se termineront en désastre.
La coopération est un combat, un combat contre l’évidence qui voudrait que ça aille mieux en traitant l’autre comme un ennemi, sur lequel on aurait tous les droits. Pour coopérer avec l’autre - pays, ville, salarié - il faut d’abord surmonter son propre pessimisme. Et se tenir loin de toute naïveté : la coopération ne fonctionne qu’entre puissances égales : pas de coopération sans le courage de nous affirmer comme des égaux vis-à-vis de nos «alliés», de nos voisins, de nos collègues.
En France, les pouvoirs des collectivités locales, accrus par la décentralisation, ont conduit beaucoup de dirigeants politiques à tenir un discours de concurrence territoriale. Il s’agit pour eux d’attirer les emplois, les touristes, les étudiants ou les cadres aux dépens des territoires voisins.
Après la course à la «taille critique» des collectivités - dont nul n’est capable de définir ce qu’elle représente -, la concurrence territoriale s’exacerbe, maintenant, en revendications «identitaires» dans des formulations incompatibles avec notre République. Les dirigeants politiques des collectivités ont une responsabilité lourde. S’ils privilégient les bénéfices à courte vue d’une posture de concurrence, nous quitterons la trajectoire de l’aménagement équilibré de notre territoire national.
Même dans le monde du travail, nous devons rompre avec une vision où tout ne serait que concurrence vitale. L’entreprise est, certes, un lieu de rapports de force. Le socialisme est, d’ailleurs, né du désir de contrer la domination qui se déploie dans les rapports de travail. Mais l’entreprise ne peut pas être que cela : c’est aussi un ensemble, avec un patron et des salariés. C’est un collectif qui doit se réinventer, pas l’un contre les autres mais les uns avec les autres. En Allemagne, un comité d’entreprise apparaît dès le seuil de 5 salariés ! Et ce n’est pas considéré comme un frein à la compétitivité, bien au contraire !
Les entreprises elles-mêmes doivent reprendre le chemin de la coopération avec l’Etat. Car, renforcer la responsabilité des partenaires sociaux dans la conduite des affaires économiques, n’est possible que s’ils parviennent à dialoguer et qu’ils œuvrent au développement de notre pays. En cas d’échec, ce sera alors au Parlement de reprendre la main. L’attitude du Medef qui, jusqu’à présent, pense l’Etat comme un adversaire fragilise la promesse collective de relance et de progrès.
Les canons de la communication encouragent tous les dirigeants à brandir, sans cesse, la menace et la peur. Menace d’être dépassés à l’école, dans l’entreprise, dans les régions, en Europe, dans le monde. Peur d’être déclassés par des concurrents sans visage. Cela n’est pas sans effets sur le moral des Français, sur l’image d’eux-mêmes et de leur pays, et donc sur la croissance !
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