Interview donnée dans la Revue des Collectivités Locales de mai 2016.
C'est l'occasion pour moi de revenir sur les grands sujets de l'actualité des collectivités locales : finances et investissements, réforme des dotations, sécurité, accès à la santé... Les sujets nombreux et les assises de l'APVF à la fin du mois seront l'occasion de les aborder.
1/ Quelle est la situation financière des petites villes ?
Les collectivités territoriales se trouvent confrontées à une baisse des dotations dont l’ampleur et le rythme sont inédits. Or, cette baisse des dotations se conjugue avec une hausse des charges imposées aux collectivités : la généralisation des rythmes scolaires, la revalorisation des catégories C et désormais la revalorisation du point d’indice des fonctionnaires dont le coût est estimé à un peu moins de 700 millions d’euros, mais aussi la hausse de la CNRACL.
Nous avons déjà alerté à de nombreuses reprises sur les conséquences de cette baisse des dotations pour l’économie des territoires. En 2016, 40 % des maires de petites villes vont de nouveau diminuer leurs dépenses d’investissement selon une enquête de l’APVF. D’une petite ville à l’autre, les situations budgétaires et les ressources financières sont très disparates mais certaines pourraient connaitre des baisses d’investissement supérieures à -25%.
De plus, il faut souligner que cette baisse touche le fonctionnement et crée une crise d’autofinancement, plus de 70% des petites villes ont réduit leurs dépenses en 2016, et certaines baisses atteindront près de 10%. Celles-ci impactent des services publics importants, comme la voirie, l’organisation d’événements culturels et sportifs, la construction ou la gestion d’établissements culturels et sportifs et les subventions aux associations.
2/ A de nombreuses reprises, vous avez part de vos inquiétudes quant à la baisse de l’investissement local. Quelles mesures permettraient, à court terme, de redresser la situation ?
A l’APVF, nous avons sur ce sujet le mérite de la constance et de la cohérence. Effectivement, nous avons alerté depuis presque deux ans maintenant sur les conséquences très néfastes pour les collectivités de la baisse à marche forcée des dotations d’Etat. Nous avons mis rapidement l’accent sur les risques d’effondrement en matière d’investissement local. Nos craintes étaient justifiées si l’on en croit les dernières statistiques. Contrairement à d’autres associations d’élus, nous savions parfaitement qu’en raison des engagements pris par l’Etat auprès de la Commission européenne en matière de réduction des déficits publics, le Gouvernement ne reviendrait pas sur l’objectif de faire 50 milliards d’économies dont 11 milliards pour les collectivités locales. C’est pourquoi, alors que d’autres demandaient l’annulation pure et simple de la baisse prévue en 2017, nous avons avancé, depuis déjà plusieurs mois, une proposition plus réaliste : celle de l’étaler sur deux ans au moins, afin que la marche soit moins pénalisante pour les collectivités et qu’elles puissent reconstituer des marges d’autofinancement pour investir. Il est essentiel de soutenir et de relancer l’investissement local. Le Gouvernement semble en avoir pris conscience puisqu’il a annoncé, à l’automne dernier, un fonds d’investissement d’un milliard d’euros réparti en plusieurs enveloppes, dont une en faveur des bourgs centres. Toutefois, ces dispositifs, pour être réellement efficaces, demandent à être pérennisés dans le temps comme l’a été la hausse de 30% de la DET décidée en 2015. C’est une de nos demandes fortes dans le cadre de la préparation de la prochaine loi de finances.
3/ L’attractivité des petites villes est l’un des thèmes principaux du congrès de votre association. Comment leur donner plus de visibilité et leur permettre de capter une partie de la richesse économique de notre pays ?
Depuis longtemps, nous portons des propositions pour modérer l’idée du « big is beautiful ». C’est un fait, les métropoles captent l’essentiel de la richesse et constituent le moteur essentiel de la croissance économique. Les affaiblir ne contribuera pas forcément à enrichir les petites villes et leurs territoires. Nous pensons cependant que cette richesse doit être partagée et se diffuser. Il faut donc mettre en place une coordination territoriale qui n’existait pas jusque-là. La réforme territoriale telle qu’elle a été conçue par le Législateur vise à créer les conditions de la croissance et à aboutir un rééquilibrage entre territoires face à l’enjeu des « fractures françaises ». La loi MAPTAM est venue reconnaître et renforcer le rôle de moteurs économiques joués par les pôles urbains en donnant aux métropoles une taille et des compétences indispensables à leur développement et à la création de richesse. Dans un second temps, la loi portant Nouvelle organisation territoriale de la République, dite « loi NOTRE » permet une montée en puissances des régions sur le plan économique, comme sur le plan de l’aménagement. L’objectif ? Faire en sorte que les régions soient ainsi en mesure de ventiler, de répartir les moyens de production et de mieux redistribuer les fruits de la croissance issus des pôles métropolitains, vers les petites villes et le reste du territoire. Dans ces conditions, le tandem « métropole-région » a vocation à libérer la croissance et à permettre une meilleure redistribution de la richesse au sein des territoires. Tout cela ne doit certainement pas dispenser l’Etat de jouer un rôle moteur en matière d’aménagement équilibré des territoires, car « l’égalité des territoires » ne doit pas rester un engagement abstrait et vide.
4/ La prévention de la délinquance sera également au cœur des débats. Quelle est l’ampleur du problème dans les petites villes ?
Alors que les petites villes ne représentent que 8% des communes française, il faut savoir que près de 20% des Zones de Sécurité prioritaire (ZSP) concernent des villes de notre strate. Si ce chiffre suffit à montrer à nous montrer à quel point nos villes sont au cœur des problématiques nationales de sécurité, il ne doit pas nous faire oublier que de nombreuses petites villes sont directement confrontées à une délinquance de droit commun, moins spectaculaire, comprenant incivilités (dégradations, troubles à l’ordre public) et délits (cambriolages, trafic de stupéfiants, vols). En plus d’une délinquance « installée », les petites villes sont aussi régulièrement confrontées -du fait de leur position périphérique- à une délinquance de passage issue des communes et métropoles environnantes.
Avec l’application de la Révision générale des politiques publiques (RGPP) sous le précédent gouvernement, 13.700 postes de gendarmes et de policiers nationaux ont été supprimés. Face à la fermeture des commissariats et à la baisse des effectifs, les maires petites villes ont dû réagir et compenser ce désengagement en créant des postes de policiers municipaux. L’urgence était de répondre au sentiment d’insécurité des administrés. Cela explique pourquoi, il existe des policiers municipaux mais également des agents de surveillance de la voie publique dans l’immense majorité des villes de notre strate aujourd’hui. Moins de 10% seulement des petites villes ne disposent aujourd’hui d’aucun de ces deux services.
5/ Gère-t-on les problèmes de sécurité de la même manière que dans les agglomérations plus importantes ?
Les petites villes n’ont pas les ressources financières équivalentes à celles des grandes agglomérations, ni les mêmes problématiques. Cela a naturellement un impact sur leurs stratégies. D’une part, les petites villes accèdent moins facilement aux crédits du Fonds interministériel de prévention (FIPD) qui sert à financer des équipements pour les policiers municipaux, la vidéoprotection, mais également des actions de médiation. De fait, et c’est regrettable, les petites villes bénéficient en général d’un niveau d’équipement dédié à la sécurité moins important.
L’accès limité aux aides a également une autre conséquence : les dispositifs d’accompagnement des victimes (dispositifs « ex post ») qui relèvent du champ de la prévention de la délinquance semblent encore insuffisamment investis par les élus de petites villes, faute de moyens. Près de 75% des maires de petites villes affirment qu’il n’existe pas de dispositif d’accompagnement pour les personnes victimes d’actes de délinquances sur leur commune. Dans une certaine mesure, les politiques d’accompagnement demeurent le parent pauvre des politiques locales de prévention.
Il est intéressant de noter que élus de petites villes organisent une intercommunalisation croissante de leur politiques de sécurité qui se traduit par exemple par une mutualisation des effectifs de polices municipales et le développement des CISPD. L’intercommunalisation en matière de sécurité est de plus en plus perçue par les maires comme une solution financière viable pour garantir le droit à la sécurité dans les territoires.
6/ De longue date, l’APVF lutte contre les zones grises et blanches qui touchent environ un millier de petites villes. Quels sont les enjeux liés suppression de la fracture numérique ?
Vous avez raison de le souligner. Selon nos estimations, environ 1.000 petites villes rencontrent des difficultés liées à une couverture insuffisante en matière de téléphonie et internet mobiles. Cette fracture nous interpelle par son ampleur : il n’est pas concevable de s’en tenir au statu quo. La fracture numérique doit être résorbée pour plusieurs raisons : d’abord, parce qu’elle est très mal vécue par nos habitants et renforce un sentiment de relégation intolérable alors que l’égalité des territoires doit être le crédo des politiques publiques d’aménagement. L’autre raison relève de l’attractivité économique : il s’avère compliqué d’attirer l’activité et l’emploi dans des lieux mal couverts. Enfin, « la révolution numérique » est porteuse de beaucoup de promesses en ce qui concerne la gestion intelligente des services publics. Le gouvernement a prévu une mobilisation importante en faveur d’une meilleure couverture des territoires qui s’appuie sur une collaboration entre les collectivités, les services de l’Etat et les opérateurs : nous espérons que les partenariats et les moyens financiers dégagés seront véritablement à la hauteur de l’ambition affichée.
7/ Trois ministres seront présents lors des Assises de l’APVF, qu’attendez-vous de leur présence ?
Effectivement, trois ministres seront présents à notre Congrès à la Grande Motte. Emmanuel Macron, Ministre de l’Economie, de l’Industrie et du Numérique, le Ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve et le nouveau Ministre de l’aménagement du territoire et des collectivités locales, Jean-Michel Baylet. Leur présence nous honore et atteste de la place qu’a su acquérir l’APVF parmi les associations d’élus. Nous les accueillerons avec plaisir mais nous leur présenterons aussi un certain nombre de demandes sur lesquelles nous attendons des réponses précises.
8/ Quelles sont vos pistes de réflexion pour enrayer la progression des déserts médicaux qui touche aussi des villes plus importantes ?
L’offre de soins est une préoccupation ancienne de l’APVF et l’étude que nous avons fait paraître en février 2016 confirme nos inquiétudes : de nombreux territoires ruraux, mais aussi périurbains et en périphérie de grandes villes sont touchés par ce phénomène.
L’APVF porte de nombreuses propositions dans ce domaine. Tout d’abord, dans le débat qui émerge de plus en plus sur la désertification médicale, elle se fait le relais des élus locaux qui, toutes tendances confondues, souhaitent que la question de la régulation de l’installation des médecins, accompagnée de nouvelles mesures incitatives, soit posée.
Au-delà de cette question, nous faisons plusieurs propositions. Il s’agit par exemple de la mise en place de territoires prioritaires de santé qui, sur le modèle des « quartiers prioritaires » s’agissant de la politique de la ville concerneraient des territoires où l’offre de soins est la plus faible. Le but est de favoriser une approche territoriale qui implique l’ensemble des acteurs et de l’offre de soins (hôpitaux, notamment de proximité, médecine ambulatoire, pratiques avancées et centres de santé). Les mesures prises dans ce cadre pourront se matérialiser par un soutien au financement de certaines activités ou à l’implantation de certaines structures (centres de santé), par des mesures dérogatoires (seuil d’ouverture ou de fermeture de services, pratiques avancées, etc.), par des encouragements à l’innovation et à l’expérimentation, etc.
L’APVF avance également d’autres propositions : encouragement du cumul emploi-retraite pour les médecins libéraux, régionalisation de l’internat, attention particulière à l’importance des soins de proximité dans les futurs projets médicaux partagés et à la place des élus dans les groupements hospitaliers de territoire dont le rôle doit être revu à la hausse.
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