Ce mardi 20 janvier, en soirée lors de la séance de 21h30, l'Assemblée Nationale examinait l'article 13 du projet de loi organique portant application de trois articles de la Constitution modifiés lors de la révision constitutionnelle de juillet 2008. Cet article 13 est le coeur du débat. C'est celui qui permettra demain, dans le cadre du règlement de l'Assemblee qui en découlera, à la majorité et a l'exécutif de décider de limiter le temps de débat sur un texte de loi. Nous y sommes opposés et avons mis en ligne une pétition à ce sujet.
Ce "temps guillotine" aurait pour conséquence qu'au terme du délai imparti, le texte sera soumis au vote quel que soit le stade du débat et le nombre d'amendements notamment non débattus. Le groupe socialiste, radical et citoyen avait inscrit quinze intervenants sur ce texte (j'en étais, en sixième position). Après 4 interventions de notre groupe et une de Claude Goasguen, député UMP de Paris, le rapporteur et président de la commission des lois, Jean-Luc Warsmann, député UMP des Ardennes, a invoqué l'article 57-2 du règlement de l'Assemblée pour demander au président de séance la clôture du débat, jugeant l'Assemblée suffisamment éclairée. La majorité a évidemment voté la clôture du débat...
Il faut souligner que le président de la commission des lois avait déjà largement et plusieurs fois interprété à sa guise l'article 44 et l'article 127 de notre règlement. Le premier pour éliminer tous les sous-amendements que nous avons déposés en prétextant qu'ils n'avaient pas été vus en commission alors que l'obligation n'est faite que pour les amendements entiers. Le second, avec le concours déjà partisan du président Accoyer, pour éliminer 1020 amendements des la première séance consacrée à ce débat sous prétexte qu'ils n'auraient pas eu de caractère organique alors que le projet de loi est de cette nature. L'opposition a purement et simplement été privée de parole sur l'article le plus essentiel du texte, celui qui permettra demain à la majorité de renforcer sa domination et son contrôle de nos débats !
Le prétexte de la lutte contre l'obstruction est fallacieux et quelques chiffres le montrent. Depuis 1981, seuls 2% des textes ont fait l'objet de plus de 1000 articles. Seuls 7 textes ont dépassé les 100 heures de débat du fait de l'obstruction dont 4 à l'initiative de la droite et 3 de la gauche. Le texte sur l'audiovisuel a ainsi représenté 71 heures de débat seulement. Ce coup de force a été commis alors même que Jean-Marc Ayrault, notre président de groupe, venait de proposer des pistes de compromis pour arriver à un consensus sur cet article. Il y avait une volonté évidente de mépris et de brutalité. Nous avons réagi vivement et cela a provoque un grave incident de séance (la vidéo : 1ere partie et 2e partie) qui a amené le président de l'Assemblée à revenir assurer lui-même la présidence de nos débats.
Bernard Accoyer, le Président, a refusé d'entendre la demande de débat comme la demande de suspension de séance de notre groupe. Pire, Il a réouvert la séance sans tenir compte de nos manifestations de mécontentement et de nos appels au respect de la démocratie et du pluralisme. Les demandes de parole de quelques députés UMP tels Daniel Garrigue ou Jean-Pierre Grand, ont été ignorées. Eux aussi partageaient notre position et notre colère. C'est le plus grave incident de séance depuis 1947. C'est aussi la première fois qu'un texte règlementant le travail de l'Assemblée ne sera pas adopté dans le consensus.
Jamais un président de notre Assemblee n'aura été aussi partisan et n'aura autant manqué à son rôle de modérateur et de défenseur du parlementarisme. Henri Emmanuelli a justement souligné à quel point la présidence avait été exercée de manière indigne et partisane. Apres une suspension de séance obtenue de haute lutte, Jean-Marc Ayrault a dit notre stupéfaction de devant de telles méthodes. Laurent Fabius (son intervention), ancien président de l'Assemblée, a dit ses doutes sur la constitutionnalité du projet de loi. Henri Emmanuelli (son intervention), lui aussi ancien président de l'Assemblée, a souligné que derrière un texte règlementaire se joue une bataille politique sur la conception même de l'exercice du pouvoir et sa concentration actuelle.
Conscients du refus de la majorité de tenir compte d'aucune de nos propositions, confrontés a une méthode et une présidence de séance brutale et méprisante, nous avons quitté l'hémicycle à minuit. Nous l'avons fait la mort dans l'âme car nous savons que ce mardi 20 au soir s'est jouée une bataille politique sur la nature même de notre régime politique.
Je crains que la Republique n'ait pas gagné... Les récents ouvrages, tels que celui d'Alain Duhamel évoquant un régime de premier consul, ou de Patrick Rambaud soulignant une dérive autoritariste et une pratique très concentrée du pouvoir, prennent tout leur sens. Concentration du pouvoir et domination du système médiatique avec un audiovisuel public à la botte, suppression des juges d'instruction, multiplication des fichiers, remise en cause de textes fondamentaux comme le code du travail, restriction de l'expression de l'opposition... Les faits convergent et créditent la d'Arnaud Montebourg sur un césarisme présidentiel.
Dans l'Esprit des Lois de Montesquieu, la séparation des pouvoirs n'est pas vue comme une fiction ou simple formalisme institutionnel elle est l'essence même de la democratie car chaque pouvoir peut contrôler l'autre et surtout en être indépendant. Aujourd'hui, le déséquilibre au profit de l'exécutif est patent. Il est d'autant plus patent que l'exécutif n'est plus composé du Gouvernement, du Premier Ministre et du Président. Il se résume à une seule personne dont la volonté semble devenir décision et impératif.
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