Je vous invite à prendre connaissance de cette tribune, que je partage en tout, publiée par Bertrand Delanoé, Maire de Paris le 7 février 2011.
Elle traite de la crise que traverse actuellement la Justice, mise en cause par le pouvoir et qui a pour conséquence un mouvement de protestation jamais vu mais bien compréhensible.
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Ce que les journalistes appellent dorénavant la « fronde » des magistrats exprime la lassitude et la colère du corps judiciaire face à des années de mépris et de mise en cause de leur prétendu laxisme. Il faut dire ici d’abord le scandale démocratique que représente le fait de désigner à la vindicte publique des magistrats sans qu’aucune preuve n’ait été apportée dans l’affaire en question, l’enquête administrative n’étant même pas achevée. Il faut hélas rappeler qu’il n’appartient pas à l’exécutif d’annoncer sans instruction ni délibération des « sanctions » contre des magistrats au mépris non seulement des droits élémentaires de la défense mais aussi des règles spéciales qui précisément protègent les mêmes magistrats de l’arbitraire du pouvoir : délibération du Conseil supérieur de la Magistrature, notamment.
Nul ne doit demeurer impuni s’il commet une faute mais il est démagogique et populiste de toujours renvoyer à une prétendue indulgence des magistrats – que tous les spécialistes des décisions judiciaires contestent- ce qui relève de la responsabilité du politique: faiblesse des moyens en matière de prévention, et des moyens de la magistrature elle-même, insuffisance dramatique des agents de probation et autres personnels chargés de veiller au suivi des délinquants après leur sortie de prison.
Nous connaissons bien cette méthode, qui consiste, après chaque drame criminel, à annoncer de nouvelles lois toujours plus répressives comme si le problème était celui de l’arsenal législatif déjà largement remanié dans un sens toujours plus sévère- et non pas celui de l’application de ces règles, faute de capacité de le faire.
En revanche, depuis plusieurs années maintenant, le pouvoir n’a cessé de démontrer son mépris pour les juges et surtout de s’ingérer dans les affaires judiciaires. Le renforcement de l’autorité politique sur le Parquet, au mépris de tous les standards internationaux en la matière, la volonté de placer des jurys populaires en correctionnelle,la dénonciation permanente du « laxisme » des juges, tout cela contribue grandement à affaiblir l’autorité judiciaire et à en faire un bouc émissaire. C’est le signe d’une démocratie malade. Dans un Etat de droit, autorité et indépendance doivent être l’alpha et l’oméga de la justice. Il est essentiel que les juges y soient respectés.
C’est là un chantier dont la gauche devra se saisir dès son arrivée aux responsabilités : assurer une vraie indépendance du Parquet et la graver dans le marbre constitutionnel ; renforcer l’indépendance de la magistrature, donner à la justice les moyens de son action. Sans doute faut-il plus ouvrir le corps judiciaire : diversifier son recrutement en ajoutant à celui de l’Ecole Nationale de la Magistrature des passerelles plus larges pour les professeurs de droit ou les avocats par exemple. Mais il faut d’abord respecter cette fonction souvent exercée dans des conditions difficiles. Nous savons au moins depuis Montesquieu combien l’indépendance des juges est au coeur même de la démocratie.
C’est avec tristesse que l’on constate à quel point les moeurs se sont en la matière dégradées. C’est avec détermination que nous devons dire notre volonté de les changer.
Bertrand Delanoé , Maire de Paris
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