A l'occasion du centenaire de la naissance d'Aimé Césaire, nous avons adopté une résolution proposée par Serge Letchimy, Député de la Martinique, avec le soutien du groupe SRC. Ci-après son intervention.
Nous célébrons aujourd’hui le centenaire de la naissance du grand poète Aimé Césaire, le 26 juin 1913, à Basse-Pointe, en Martinique.
Aimé Césaire était un homme de conviction et un homme d’action. Comme le dit Daniel Maximin, écrivain et poète guadeloupéen, dans la revue Présence africaine, en 1983, au cours d’une interview avec l’écrivain : « On imagine mal le poète solitaire Césaire et le député-maire Césaire aussi près l’un de l’autre, à tenter de faire la synthèse entre l’action poétique et l’action politique. »
Avec Aimé Césaire, nous sommes confrontés à la présence d’un homme de lettres, mais aussi à celle d’un homme d’action étroitement mêlé à la vie politique. Nous rencontrons un écrivain qui a su faire que ses écrits ne soient pas seulement des essais ou des poèmes, mais aussi des repères jalonnant l’action publique.
Maire de Fort de France de 1945 à 2001, député de la Martinique de 1945 à 1993, il n’a pas seulement œuvré pendant un demi-siècle au développement des Antilles, il a aussi contribué à l’éveil de la conscience internationale en militant contre le colonialisme et contre toutes les formes d’abaissement de la dignité humaine.
En menant son combat contre la damnation de l’Afrique et du « Nègre » et contre les méfaits du colonialisme, Aimé Césaire ne s’est pas contenté de défendre les seules valeurs humaines. Il fut un prodigieux observateur de la nature et de ses équilibres. De son observation de l’inouï du Vivant, il a su ramener une ouverture de son combat, une amplitude de sa pensée. Le partage, l’échange, la préservation des diversités, donc de la différence, l’indispensable concert des cultures et des civilisations, l’organisation du donner-recevoir entre toutes les présences, furent pour lui des valeurs tutélaires.
De même, sa connaissance du combat des esclaves dans les Antilles françaises lui a permis de comprendre que c’est grâce à leurs résistances que la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen a pu, par la première abolition de 1794, atteindre son caractère véritablement universel, c’est-à-dire valable pour toutes et tous. Que c’est aussi par leur révolution du 22 mai 1848 que ces mêmes esclaves ont contribué à sortir l’idée de République de toute partition raciste ou raciale, pour l’installer, des décennies plus tard, au prix des luttes pour la décolonisation, sur les bases saines de la citoyenneté reconnue pour tous, et surtout de l’égalité reconnue pour tous dans le respect des différences.
On peut rappeler cette phrase d’Aimé Césaire prononcée dans l’hémicycle en 1983, à l’occasion du débat sur le projet de loi de décentralisation déposé à cette date et venant compléter la loi Defferre de 1982 :
« Notre époque, c’est celle de l’identité retrouvée, celle de la différence reconnue, celle de la différence mutuellement consentie et, parce que consentie, surmontable en complémentarité, ce qui rend possibles, je veux l’espérer, une solidarité et une fraternité nouvelles. »
Dès lors, cette égalité de tous les citoyens de la République doit être d’autant plus garantie que les mutations en cours dans le monde exigent que la créativité de tous s’attache à la production d’expériences insoupçonnées, de solutions nouvelles, d’audace renouvelée. La valorisation des différences et des identités doit donc être facilitée afin qu’elle se traduise en initiatives, en projets, en explorations inédites qui participent pleinement de la richesse commune et des élans de l’unité nationale.
Ma proposition de résolution en hommage à Aimé Césaire, en ce 24 juin, est un juste rappel que le développement des sociétés humaines doit et peut se faire dans le respect du pluralisme culturel et des équilibres de la planète ; que toute idée d’humanisme ne saurait se départir d’une inscription plus humble et plus ouverte dans l’ensemble du Vivant ; que la multiplicité des cultures et des civilisations produites par l’espèce humaine constitue une richesse offerte à tous ; que l’unité républicaine peut parfaitement s’accomplir dans la diversité ; enfin, que l’égalité des citoyens de la République demande à se réaliser dans le respect valorisé des différences et des identités.
PROPOSITION DE RÉSOLUTION
L’Assemblée nationale,
Vu l’article premier de la Constitution ;
Vu l’article 34-1 de la Constitution ;
Vu la loi constitutionnelle n° 2005-205 du 1er mars 2005 relative à la Charte de l’environnement, rappelant que les ressources et les équilibres naturels ont conditionné l’émergence de l’humanité ;
Vu l’article 136 du Règlement ;
Considérant que les atteintes aux Droits de l’Homme sont souvent fondées sur un refus des différences ;
Considérant le principe d’Égalité comme une valeur fondamentale de la République, auquel il ne saurait être porté atteinte ;
Considérant le niveau de complexité que nous atteignons dans les rapports contemporains entre les cultures, les civilisations, les religions, les individus ;
Considérant que cette complexité nous oblige à prendre davantage en compte les rapports entre les notions d’unité et de diversité ;
Considérant l’importance des équilibres inédits à trouver pour que nos sociétés, désormais imprégnées de cultures plurielles, puissent connaître un meilleur vivre-ensemble ;
Considérant que réaffirmer solennellement le principe de l’Égalité peut libérer les initiatives, stimuler la créativité individuelle et collective, favoriser le respect des différences, des diversités, des opinions et des convictions de chacun, et participer, au total, à un vivre-ensemble national plus ouvert et plus juste ;
Considérant que l’unité dans une diversité parfaitement valorisée, complètement assumée, est au fondement même de la République tout comme aux tréfonds du vivre-ensemble des hommes, des peuples, des cultures et des civilisations ;
Considérant que la République permet une meilleure intégration de la diversité des situations dans son fonctionnement égalitaire ;
Demande :
1. Que, dans le prolongement de la pensée d’Aimé Césaire, le pluralisme culturel, condition universelle de l’émancipation de l’Homme, soit valorisé de toutes les manières possibles afin que les responsabilités individuelles et collectives soient bien mieux assurées ;
2. Que la capacité des Départements et Régions d’Outre-mer d’exercer des responsabilités et de prendre des initiatives soit renforcée, sans remise en cause de leur acquis et de leur égalité au sein de la République, pour leur permettre de mener leurs projets à terme et d’assurer leur rayonnement dans une pleine valorisation de leur identité, de leurs singularités et de leurs différences.
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