La commission des Lois de l’Assemblée nationale a examiné la semaine dernière le projet de loi constitutionnelle de protection de la Nation. Huit amendements ont été adoptés et seront présentés en séance comme amendements de la commission des Lois.
Le projet de loi constitutionnelle de protection de la Nation comporte deux articles. L’article 1er constitutionnalise l’état d’urgence. L’article 2 étend la déchéance de nationalité aux personnes nées françaises qui détiennent une autre nationalité.
Présenté au Conseil des ministres du 23 décembre dernier, un peu plus d’un mois après les attentats terroristes qui ont frappé notre pays dans la soirée du 13 novembre, cette réforme constitutionnelle suscite de très nombreux débats. Ils sont légitimes et c’est désormais au législateur constituant de travailler à un texte qui donne à l’État les moyens de protéger la Nation contre le terrorisme et qui respecte nos principes fondamentaux. Pour ma part, je suis favorable à la constitutionnalisation de l’état d’urgence.
Actuellement, notre Constitution prévoit deux régimes particuliers pour le temps de crise. Son article 16 donne des pouvoirs exceptionnels au Président de la République quand « le fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels est interrompu ». L’article 36 de la Constitution régit, quant à lui, l’état de siège. Eu égard aux évènements dramatiques du 13 novembre dernier, le recours à l’un de ces deux articles n’était pas pertinent. L’existence de régimes particuliers, tant qu’ils sont juridiquement bornés, ne choque pas le parlementaire que je suis. Comme l’écrivait Guy Carcassonne, « lorsque les circonstances deviennent exceptionnelles, le droit devient dérogatoire ». L’état d’urgence, créé par la loi du 3 avril 1955, est le troisième « état de crise » que connaît notre pays. Alors qu’il est le régime de circonstances exceptionnelles le plus fréquemment utilisé sous la Ve République, il est le seul à ne pas être inscrit dans la norme juridique la plus haute. Au regard de notre hiérarchie des normes, la non constitutionnalisation de l’état d’urgence est une anomalie. Le projet de loi constitutionnelle revient donc sur cette situation. La constitutionnalisation de l’état d’urgence constitue également un rempart contre sa banalisation ou d’éventuels recours excessifs. En effet, contrairement aux craintes qui ont pu être exprimées, l’introduction de l’état d’urgence dans notre loi fondamentale renforce l’encadrement juridique de ce régime. Une fois inclus dans la Constitution, il faudra une réforme constitutionnelle et non un simple projet de loi ordinaire pour modifier les conditions permettant de recourir à l’état d’urgence.
Le premier amendement précise que les mesures de police administrative prises par les autorités civiles pendant l’état d’urgence sont soumises au contrôle du juge administratif. C’est déjà le cas aujourd’hui, mais ce contrôle apparaîtrait désormais explicitement dans la Constitution.
Deux amendements reprennent deux garanties que l’on retrouve à l’article 16 de la Constitution : l’un dispose que le Parlement se réunit de plein droit pendant la durée de l’état d’urgence, quand l’autre interdit la dissolution de l’Assemblée nationale pendant cette durée. Ces deux amendements ont l’avantage de faciliter l’application du quatrième amendement qui précise que la loi doit prévoir les conditions dans lesquelles le Parlement contrôle la mise en œuvre des mesures de l’état d’urgence. Ce dernier amendement vise donc à constitutionnaliser le contrôle parlementaire de l’état d’urgence, qui a aujourd’hui une valeur législative suite à la loi du 20 novembre 2015 et à l’initiative de mon ancien collègue député Jean-Jacques Urvoas, nouveau ministre de la Justice. Pour rappel, ce contrôle parlementaire permet d’évaluer la pertinence des mesures adoptées et de formuler, le cas échéant, des recommandations.
Un amendement de la commission des Lois réécrivant l’article 2 relatif à la déchéance de nationalité sera également présenté en séance. Il est à l’initiative du Gouvernement.
Cet article est vraisemblablement celui qui divise le plus.
La déchéance de nationalité est dans notre droit depuis plus d’un siècle. Aujourd’hui, l’article 25 du code civil permet de déchoir de la nationalité française, par décret pris après avis conforme du Conseil d’État, un individu qui a acquis la qualité de Français et qui dispose d’une autre nationalité « s’il est condamné pour un acte qualifié de crime ou délit constituant une atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation ou pour un crime ou un délit constituant un acte de terrorisme ». Il faut préciser que la déchéance n’est encourue que si les faits reprochés à l’individu en question se sont produits soit antérieurement à l’acquisition de la nationalité française ou dans le délai de quinze ans à compter de la date de cette acquisition. Ainsi, et ce point est malheureusement peu rappelé dans le débat public, notre droit circonscrit déjà la déchéance de nationalité à une partie seulement de nos concitoyens : les Français naturalisés depuis moins de quinze ans et disposant d’une autre nationalité.
Dans la version initiale de son projet de loi constitutionnelle, le Gouvernement a fait le choix d’étendre la déchéance de nationalité à tous les Français disposant d’une autre nationalité et ayant commis des actes de terrorisme. Je comprends le malaise que cette disposition a pu susciter chez de nombreuses personnes.
Sans vouloir justifier une mesure que je n’ai pas appelée de mes vœux, et en écartant provisoirement la question du champ d’application de la déchéance de nationalité, je souhaite de nouveau rappeler que cette dernière fait partie de notre droit républicain depuis des décennies. L’objectif symbolique du Gouvernement de « sanctionner les auteurs d’infractions si graves qu’ils ne méritent plus d’appartenir à la communauté nationale », pour reprendre l’expression du Conseil d’État dans son avis du 11 décembre 2015, est légitime. Ceux qui ramènent systématiquement la question de la déchéance de nationalité aux idéologies réactionnaires et xénophobes oublient que cette vision de la nationalité renvoie avant tout au concept de citoyenneté apparu à la Révolution française. Être français c’est vouloir appartenir à la communauté nationale, les auteurs d’actes de terrorisme s’excluant eux-mêmes de cette communauté.
À mes yeux, toute la difficulté de la mesure réside dans le périmètre des personnes pouvant être concernées par la déchéance de nationalité.
Il y a finalement quatre possibilités – aucune n’étant en mesure de recevoir le soutien unanime du Parlement comme de l’opinion publique – qui sont envisageables :
Étendre la déchéance de nationalité à tous les auteurs d’actes de terrorisme, qu’ils aient seulement la nationalité française ou qu’ils soient binationaux. Cette option aurait pour conséquence de créer des apatrides ;
Maintenir l’article 25 du code civil dans sa rédaction actuelle et donc la distinction existante aujourd’hui entre les Français binationaux auteurs d’actes de terrorisme ;
Étendre la déchéance de nationalité à tous les Français binationaux auteurs d’actes de terrorisme. C’est ce que prévoit l’article 2 du projet de loi constitutionnelle présenté au Conseil des ministres en décembre ;
Supprimer la déchéance de nationalité de notre corpus juridique.
L’amendement de réécriture générale de l’article 2 porté par le Gouvernement et adopté par la commission des Lois le 28 janvier conserve le périmètre du projet de loi constitutionnelle initial avec deux nouveautés. L’une est cosmétique mais symbolique avec la suppression de la référence à la double nationalité dans la Constitution. L’autre nouveauté permet de déchoir la personne condamnée pour des actes de terrorisme de tout ou partie des droits attachés à la nationalité.
Pour connaître la portée exacte de l’article 2, il est nécessaire de se pencher sur l’avant-projet de loi portant réforme de la déchéance de nationalité transmis par le Gouvernement aux parlementaires le 29 janvier.
Selon cet avant-projet, l’article 25 du code civil disposerait que « toute personne peut être déchue de la nationalité française ou des droits attachés à celle-ci lorsqu’elle est définitivement condamnée pour un crime ou un délit constituant une atteinte grave à la vie de la Nation dans les conditions prévues à l’article 131-18-1 du code pénal. ». L’article 131-18-1 du code pénal, créé par l’avant-projet de loi, ferait de la déchéance de nationalité ou des droits attachés à la nationalité des peines complémentaires aux peines déjà prévues pour crimes d’atteintes aux intérêts fondamentaux de la Nation, crimes constituant des actes de terrorisme, délits constituant des actes de terrorisme punis d’au moins 10 ans d’emprisonnement et délits d’atteintes aux intérêts fondamentaux de la Nation punis d’au moins 10 ans d’emprisonnement. Cet article entendrait par droits attachés à la nationalité le droit de vote, le droit d’éligibilité, le droit d’exercer une fonction juridictionnelle et le droit d’exercer une fonction publique ou un emploi réservé aux nationaux et aux ressortissants d’un État membre de l’Union européenne. L’article 131-18-1 du code pénal préciserait aussi que la peine complémentaire de déchéance de la nationalité ne peut pas rendre la personne condamnée apatride. De fait, seuls les Français binationaux condamnés pour les actes cités à l’article 131-18-1 du code pénal pourraient être déchus de leur nationalité française. Le Gouvernement a donc fait le choix de ne pas créer d’apatride et de supprimer la distinction entre les binationaux nés français ou naturalisés. Les oppositions à cette orientation seront nombreuses et légitimes et ce sera au Parlement de trancher la question lors de l’examen du projet de loi portant réforme de la déchéance de nationalité.
L’avant-projet de loi comporte deux avancées que je soutiendrai à l’Assemblée nationale. D’une part, la déchéance de nationalité sera une peine complémentaire qui devra être prononcée par un juge judiciaire et non plus une décision prise par décret après avis conforme du Conseil d’État. D’autre part, le Gouvernement a entendu les nombreux parlementaires demandant la création d’une peine de dégradation républicaine ou nationale. La déchéance des droits attachés à la nationalité est tout aussi symbolique que la déchéance de la nationalité sans toutefois créer une distinction entre les Français ne disposant que de la nationalité française et les Français binationaux.
En conclusion, je souhaite que les amendements portés par la commission des Lois soient adoptés en séance publique. Celle-ci débutera le 5 février et le vote solennel se déroulera le 10 février.
Le travail parlementaire se prolongera avec l’examen des deux projets de loi d’application de la révision constitutionnelle. L’élargissement des mesures de police administrative prévu par le projet de loi d’application de l’article 1er devra être regardé avec attention, l’état d’urgence devant rester un régime temporaire et respectueux autant que possible des libertés individuelles. La gradation des peines et le nouveau rôle du juge judiciaire proposés par le projet de loi d’application de l’article 2 devront être défendus. Le périmètre des crimes et délits concernés et celui des personnes pouvant être déchues de leur nationalité feront l’objet à coup sûr de longues discussions.
Enfin, je terminerai en soulignant que la protection de la Nation passe principalement par un travail de prévention. Les moyens donnés à la Justice et à l’Éducation depuis 2012 en sont une illustration, après des années de coupes budgétaires aveugles. Cet effort doit être poursuivi, car la République n’est pas seulement un ensemble de valeurs, elle est aussi une promesse.
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