Beaucoup d'entre vous m'ont demandé quelle est ma position sur la loi Travail, le recours au 49,3 et la motion de censure.
Vous trouverez ci-dessous les éléments de réponse que je souhaite apporter en deux parties : ma position sur le texte et le 49,3 mais aussi l'état du texte adopté avec les dernières modifications apportées par le Gouvernement.
1. Sur l'adoption du texte et le recours au 49,3 :
Vendredi dernier, j'ai rendu publics les amendements que je portais et les modifications que je demandais en première lecture sur le projet de loi Travail, tel qu'il était issu des travaux de la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale.
Ce lundi 9 mai, j'ai indiqué mes fortes réserves sur deux points en particulier : les conditions permettant de procéder à un licenciement pour motif économique et la généralisation de l’inversion des normes, avec les accords d’entreprise primant les accords de branche. J'ai donc déclaré publiquement que je ne pourrai pas voter en faveur du texte si ces deux points n'étaient pas amendés.
Mardi, le Premier ministre a décidé de recourir à l’alinéa 3 de l’article 49 de notre Constitution en engageant la responsabilité du Gouvernement devant l’Assemblée nationale sur le vote du projet de loi Travail. Je tiens à souligner, mais j’y reviendrai, que le contenu de ce dernier a évolué avec la décision du Gouvernement d’intégrer de son propre chef de nombreux amendement porté par le rapporteur du texte, mon collègue Christophe Sirugue.
Dans le cadre de l'application de l’alinéa 3 de l’article 49 de la Constitution, le texte est considéré comme adopté, sauf si une motion de censure, déposée dans les vingt-quatre heures, est votée au moins quarante-huit heures après son dépôt. Seuls sont recensés les votes favorables à la motion de censure, qui ne peut être adoptée qu’à la majorité des députés composant l’Assemblée. Ainsi, ceux qui ne souhaitent pas l’adoption de la motion ne viennent généralement pas voter.
Voter une motion de censure revient donc à refuser l’adoption du texte concerné et à contraindre le Premier ministre à remettre au Président de la République la démission du Gouvernement.
Le texte de la motion de censure porte aussi un message politique et celle déposée le 10 mai par le groupe Les Républicains et le groupe UDI reproche au Gouvernement un texte « contraire aux intérêts de nos entreprises », qui verrouille le « monopole syndical » ; en résumé l’opposition reproche à la loi Travail de ne pas assez déréguler le marché du travail. Le texte de la motion est consultable sur le lien suivant : http://www.assemblee-nationale.fr/14/dossiers/motion_censure_travail_nouvelles_libertes_protections.asp
Sur la procédure du 49-3.
Député dans l’opposition sous le précédent quinquennat, j’ai défendu la suppression de l’alinéa 3 de l’article 49 de la Constitution. Je n’ai pas changé d'avis. Je considère que cette disposition constitutionnelle est une arme juridique qui déséquilibre trop le rapport de force entre le Gouvernement et l’Assemblée nationale, au détriment de cette dernière. C’est désormais la 85ème fois qu’elle est utilisée depuis 1958, empêchant de fait les députés de débattre et d’amendement un texte.
Si l’alinéa 3 de l’article 49 de la Constitution est vu par l’exécutif comme un moyen de garantir l’adoption d’une réforme, je crains que son utilisation constitue une raison supplémentaire donnée à ses opposants pour ne pas reconnaître la légitimité de cette réforme.
C'est en tout cas un outil de droit, qui s’inscrit dans cadre du parlementarisme rationnalisé, et je trouve excessif les procès en dictature qui accompagne son usage. J'aurais préféré un compromis autour d'un texte acceptable par tous et c'est le sens des amendements que j'avais déposés.
Pourquoi je n'ai pas souhaité signer une motion de censure avec d'autres députés de gauche
Je considère que le remède aurait été pire que le mal. La probable démission du Gouvernement (car les groupes de droite auraient saisi cette occasion et voté pour cette motion) aurait certainement entraîné la dissolution de l'Assemblee nationale, provoquant de nouvelles élections législatives avec le risque d'une nouvelle majorité conservatrice, pour ne pas dire extrême. De plus, j'ai estimé qu'il était inutile d'ajouter de la division à la division en considérant qu’une partie des signataires de ce projet de motion était plus soucieuse des échéances de 2017 que de la loi Travail.
Par ailleurs, même si je ne partage pas toujours les orientations de l’exécutif, au point de parfois de m’y opposer, je considère que le Gouvernement actuel mène une politique très différente de celle que mènerait un gouvernement de droite dans la plupart des domaines. Je pense notamment à l’Éducation, à la Justice, à la Culture, à la Santé et plus généralement au maintien des services publics et à la protection des droits et acquis sociaux.
J’estime aussi que la loyauté en politique est une valeur qui a du sens et j'en aurais manqué, à mes yeux et envers ma famille politique, si j'avais signé cette motion. Je suis membre de la majorité en votant la confiance au Premier ministre et j'ai souhaité être soutenu par le Parti socialiste lors des dernières élections législatives. Ces choix m’engagent, même si j’aimerais que la loyauté puisse parfois être plus réciproque…
Mon refus, qui n’est le fruit d’aucune pression, de signer le projet de motion porté par des collègues de gauche est donc un choix que j'assume, même si je sais que parmi celles et ceux qui me soutiennent, qui nous soutiennent, certains souhaitaient l’aboutissement de cette procédure de sanction initiée par une partie de la Gauche à l’égard du Gouvernement. Dans tous les cas, il ne doit pas effacer mes engagements, mes combats et mon travail à l’Assemblée et en Ardèche depuis des années.
Pourquoi je ne voterai pas une motion de censure déposée par les députés de droite
Le texte de la motion de censure proposée par le groupe Les Républicains et le groupe UDI juge le projet de loi Travail comme n’étant pas assez libéral. Je ne vois pas comment les députés de gauche, qui se sont opposés au texte pour des motifs exactement inverses, pourraient la voter. Sauf à considérer cyniquement que la fin justifie les moyens.
De plus, comme je l'évoquais plus haut, il ne m'est pas possible de souhaiter la chute du Gouvernement et un retour de la Droite au pouvoir avec son cortège de mesures déjà annoncées : la retraite à 65 ans, le retour aux 39 heures payées 35, la hausse de la TVA et la suppression de l'ISF pour Alain Juppé ; la suppression de la fonction publique territoriale pour Bruno Le Maire ; la diminution de 5 milliards d’euros de plus des dotations aux collectivités, le retour de la RGPP et le non remplacement d'un fonctionnaire sur deux dans l'Éducation, la Santé et les forces de sécurité selon le projet des Républicains.
Je ne peux pas, en mon âme et conscience, soutenir un texte porté par de telles inspirations. Certains considèrent qu'ils peuvent voter cette motion de censure en la présentant comme un outil de sanction du Gouvernement et sans être engagés par le fond de son texte. Je pense que c'est une facilité intellectuelle qui ne tient pas compte de ce qui se passerait le jour d’après. Pour reprendre les mots de Maw Weber, j’ai toujours privilégié l’éthique de responsabilité à l’éthique de conviction.
2. Que contient désormais le projet de loi Travail ?
Comme je l'indiquais précédemment, le Gouvernement a souhaité apporter des modifications par amendements au texte sur lequel il a engagé sa responsabilité. Ce point est important, car c’est sur cette nouvelle version que travaillera le Sénat, avant un retour du projet de loi à l’Assemblée nationale en deuxième lecture.
Sans surprise, les mesures positives du projet de loi sont maintenues. Je pense par exemple à la mise en place du compte personnel d’activité (CPA), à l’extension de la Garantie jeune et au renforcement de la lutte contre les discriminations et le harcèlement
Pour les dispositions qui restaient en débat et qui suscitaient des oppositions, voici les principales évolutions présentées par l’agence de presse AEF (en italique, mes remarques) : http://www.aef.info/depeche/libre/537996
Critères des licenciements économiques
Parmi les points les plus attendus, figurent les évolutions des critères retenus sur les licenciements économiques de l’article 30 du projet de loi. Le gouvernement reprend le compromis proposé par le rapporteur Christophe Sirugue visant à "supprimer la limitation au seul territoire national, introduite par le projet de loi, du périmètre pris en compte pour apprécier les difficultés économiques d’une entreprise relevant d’un groupe". "Cet amendement propose donc de stabiliser la jurisprudence actuelle, qui apprécie les difficultés économiques, mais aussi la nécessité d’assurer la sauvegarde de la compétitivité d’une entreprise, au niveau de l’entreprise si celle-ci ne relève pas d’un groupe. En revanche, si l’entreprise appartient à un groupe, l’appréciation des difficultés ou de la nécessité d’assurer la sauvegarde de la compétitivité s’effectue au niveau du secteur d’activité commun aux entreprises du groupe, et cela, quel que soit leur lieu d’implantation", précise le député.
Concernant l’article 30, je me réjouis que nous revenions à la jurisprudence actuelle concernant le périmètre d’appréciation des difficultés économiques de l’entreprise. Toutefois, je regrette le maintien des nouveaux critères qui caractérisent les difficultés économiques.
Modulation des cotisations chômage
Le gouvernement décide de ne pas reprendre son amendement visant à inscrire dans la loi, l’obligation pour les partenaires sociaux de prévoir durant leurs négociations sur l’assurance chômage, un système de modulation des cotisations notamment en fonction de la durée des contrats. Souvent caricaturée en parlant de surtaxation des contrats courts, cette modulation restera optionnelle dans le code du travail. Ainsi, l’exécutif laisse la main aux partenaires sociaux sur le sujet. Et compte tenu de l’unanimité syndicale sur la nécessité de faire évoluer les dispositions de 2013 sur la modulation de cotisations, ce point est central dans la négociation en cours.
Je soutiens ce choix. D'une part, cela permet de redonner la main aux partenaires sociaux. D’autre part, je ne trouvais pas cohérent de surtaxer les CDD, la priorité devant de mon point de vue être donnée à la lutte contre l’abus de CDD. Je rappelle qu’en Ardèche, le grand nombre de postes saisonniers implique d'être prudent sur cette question.
Accords majoritaires
Le gouvernement maintient sa disposition de validation des accords d’entreprise par accord majoritaire à 50 % d’engagement et, le cas échéant, par référendum à la demande de syndicats représentants 30 % des suffrages. Ceci étant, il revient sur la décision de la commission des Affaires sociales qui souhaitait évaluer l’expérimentation sur les accords afférents au temps de travail, avant d’envisager la généralisation du dispositif. Ainsi, le gouvernement va proposer d’acter dans la loi, une généralisation de l’accord majoritaire au plus tard au 1er septembre 2019.
Je ne partage pas l’orientation choisie par le Gouvernement. Si la validation des accords d’entreprise par accord majoritaire à 50 % est une avancée, je ne suis pas favorable au contournement des syndicats permis par le référendum. En effet, il n’est pas opportun de permettre à des syndicats minoritaires de pouvoir contrer par référendum une opposition syndicale majoritaire.
Accords dits « offensifs »
Conformément aux conclusions de la commission des Affaires sociales, le gouvernement fixe les conditions d’accompagnement des salariés refusant de se voir appliquer les dispositions d’un accord de préservation ou de développement de l’emploi, dit "offensif". S’apparentant au CSP, ce dispositif spécifique d’accompagnement s’appuierait sur deux volets complémentaires :
"D’une part, un accompagnement renforcé et personnalisé qui serait assuré par Pôle emploi et dont les modalités seraient définies par décret. Le salarié pourra notamment bénéficier d’un accès facilité aux périodes de formation et de travail" ;
"D’autre part, pour les bénéficiaires justifiant d’une ancienneté d’au moins douze mois, une sécurisation financière à travers le versement d’une allocation d’un montant supérieur à celui de l’allocation d’aide au retour à l’emploi".
Regard des branches sur les accords d’entreprise
Le gouvernement va reprendre l’amendement n°4329 du rapporteur Sirugue qui prévoit que "les commissions paritaires de branche [dont le projet de loi propose la mise en place à l’article 13] dressent chaque année un bilan de l’activité conventionnelle des entreprises de leur secteur dans les domaines concernés [durée du travail, repos, congés]" par la primauté de l’accord d’entreprise sur l’accord de branche. "Le niveau de la branche, qui joue un rôle traditionnel de régulation économique et sociale, apparaît comme le plus approprié pour assurer cette mission de sentinelle", explique le rapporteur.
C'est une première avancée pour limiter les effets de l’inversion de la hiérarchie des normes, mais je considère qu’il est souhaitable de renforcer davantage le pouvoir de contrôle des commissions paritaires de branche. Mon objectif reste toutefois de rétablir le principe de faveur.
Représentativité patronale
Le gouvernement reprend le complexe compromis trouvé tardivement par la CGPME, le Medef et l’UPA sur la représentativité patronale. "La mesure d’audience est appréciée soit au regard du nombre d’entreprises adhérentes, employant ou non des salariés, soit au regard du nombre de leurs salariés au niveau considéré", peut-on lire dans l’exposé des motifs de l’amendement gouvernemental n°5059.
De plus, "pour la répartition entre les organisations professionnelles d’employeurs des fonds collectés par le fonds de financement du dialogue social, l’audience est mesurée pour moitié au regard du nombre d’entreprises adhérentes employant au moins un salarié et pour moitié au regard du nombre de salariés qu’elles emploient". Enfin, les modalités de répartition des voix au sein du Conseil d’administration de l’Association de gestion des fonds pour le financement du dialogue social "seront déterminées en fonction de l’audience patronale à hauteur de 30 % du nombre des entreprises adhérentes aux organisations professionnelles d’employeurs, à hauteur de 70 % sur celui des salariés qu’elles emploient".
Compte personnel d’activité
Le gouvernement limite les modalités d’utilisation du CPA pour les retraités, en précisant que le recours est possible pour le compte d’engagement citoyen mais pas pour le CPF, ce dispositif étant fait pour sécuriser les parcours professionnels. De même, l’exécutif fait en sorte que les salariés des chambres consulaires soient bien couverts par le CPA. De plus, le gouvernement souhaite reprendre à son compte l’amendement n°4745 de Jean-Patrick Gille, (SRC, Indre-et-Loire), visant à doubler le nombre d’heures de CPF acquis par année d’activité pour les salariés sans qualification par rapport aux autres salariés. La version initiale du texte prévoyait 40 heures par an au lieu de 24 heures et au final, le texte devrait prévoir 48 heures par an pour les non qualifiés.
Autres dispositions
Le gouvernement fait aussi légèrement évoluer les dispositions afférentes à la restructuration des branches professionnelles pour coller au mieux à la position commune trouvée par les partenaires sociaux. Évoluent aussi sensiblement les dispositions sur le détachement illégal de travailleurs avec la prise en compte d’amendements de Gilles Savary. Le texte comprendra aussi des mesures sur les travailleurs handicapés, les particuliers employeurs ou les salariés des franchisés.
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