Rapporteur à l’Assemblée nationale du texte de loi Mapam (modernisation de l’action publique et affirmation des métropoles) voté en 2013, et de celui, à venir, sur l’organisation territoriale et la clarification des compétences des collectivités territoriales, j’ai récemment été interviewé sur la métropole d’Aix-Marseille-Provence.
Spécialiste du dossier métropolitain, le parlementaire socialiste Olivier Dussopt, député de l’Ardèche, croit farouchement en cette réorganisation. La gronde des élus face à la métropole d’Aix-Marseille-Provence lui rappelle étrangement la réforme des intercommunalités, qui avait bousculé à l’époque les élus locaux. Interview.
GoMet’ : La métropole d’Aix-Marseille Provence doit voir le jour en janvier 2016. Quels sont ses enjeux ?
Olivier Dussopt : L’agglomération marseillaise se caractérise par une ville-centre de plus de 850.000 habitants, à savoir Marseille, deuxième ville la plus peuplée de France ; une communauté urbaine (Marseille Provence Métropole) comptant un peu plus d’un million d’habitants, soit la troisième de France ; et une unité urbaine, Marseille Aix-en-Provence, qui, avec plus d’1,5 million d’habitants, se positionne juste derrière Paris. Cette grande agglomération a de très nombreux atouts. Elle compte sept pôles de compétitivité, le premier centre hospitalier universitaire de France ou encore la première zone commerciale d’Europe. Le Grand port maritime de Marseille est le premier port de la Méditerranée et le troisième port pétrolier mondial. Son territoire dispose également d’une industrie forte, notamment en matière d’aéronautique.
G’ : Mais malgré tous ces points forts, le territoire reste fragmenté…
O.D : Oui, effectivement, cette agglomération connaît un fractionnement des lieux de décisions et d’actions publiques, mais aussi de grandes inégalités de richesse. Ce morcellement est d’ailleurs devenu l’un des freins majeurs au développement du territoire. Il est aussi responsable des difficultés économiques et sociales de la deuxième métropole française, car ses acteurs publics se sont retrouvés dans l’incapacité de répondre à des évolutions locales très contrastées au cours de ces dernières décennies.
G’ : Avez-vous des exemples précis ?
O.D : Marseille, la ville-centre de cette agglomération, est membre de la communauté urbaine Marseille Provence Métropole. Elle en regroupe 81% des habitants, mais aussi 80% de l’emploi et 83% des entreprises*. MPM est donc enfermée dans un cadre beaucoup trop exigu, loin de correspondre à celui de l’unité urbaine Marseille Aix-en-Provence, pour porter la dynamique de développement social et économique de l’agglomération. D’autant plus que cette dernière compte cinq autres intercommunalités : la communauté d’agglomération du Pays d’Aix-en-Provence, la communauté d’agglomération Salon Étang de Berre Durance, la communauté d’agglomération du Pays d’Aubagne et de l’Étoile, le syndicat d’agglomération nouvelle Ouest Provence et la communauté d’agglomération du Pays de Martigues.
G’ : La métropole prendra donc la place de ces six intercommunalités ?
O.D : Oui, au 1er janvier 2016, la métropole d’Aix-Marseille-Provence se substituera à ces six établissements publics de coopération intercommunale (EPCI), afin de renforcer la solidarité financière des territoires et pour que l’action publique se mette pleinement au service de la qualité de vie des citoyens de l’agglomération marseillaise et de ses dynamiques territoriales.
G’ : En quoi la métropole aura-t-elle une véritable capacité d’action ?
O.D : La création de la métropole va permettre l’élaboration d’un projet commun, l’unification des politiques publiques du territoire et la gestion en réseau des services publics. Concernant ses domaines d’actions, Aix-Marseille-Provence aura les mêmes compétences que les neuf autres métropoles de droit commun créées par la loi du 27 janvier 2014 (Bordeaux, Grenoble, Lille, Nantes, Nice, Rennes, Rouen, Strasbourg et Toulouse). Elle interviendra donc en matière de développement et d’aménagement économique, social et culturel (promotion du tourisme, création et aménagement des zones d’activité industrielle…) ; d’aménagement de l’espace métropolitain (élaboration du schéma de cohérence territoriale, organisation de la mobilité…) ; de politique locale de l’habitat (élaboration du programme local de l’habitat, amélioration du parc immobilier bâti…) ; de politique de la ville (dispositifs locaux de prévention de la délinquance ou contractuels de développement urbain…) ; de gestion des services d’intérêt collectif (comme l’eau et l’assainissement, les abattoirs…) ; de protection et de mise en valeur de l’environnement ; et de politique du cadre de vie (gestion des déchets ménagers, lutte contre la pollution de l’air…).
G’ : Quelles seront les différences avec les compétences précédemment prises en charge par les intercommunalités ?
O.D : La métropole d’Aix-Marseille-Provence sera une intercommunalité très intégrée dotée de compétences plus nombreuses que celles des communautés urbaines. De plus, elle pourra se voir transférer des prérogatives départementales ou régionales et obtenir, par délégation, des compétences étatiques. Par ailleurs, l’effacement progressif des départements, tel que prévu par la nouvelle réforme territoriale, permettra à la métropole de bénéficier dans les années à venir d’un nouveau renforcement de ses attributions.
G’ : Concrètement, quels effets seront visibles sur les transports ou le logement, par exemple ?
O.D : L’agglomération marseillaise connaît une insuffisante coordination des services publics. C’est particulièrement le cas dans le domaine des transports, où cohabitent actuellement dix autorités organisatrices sur le futur espace métropolitain. Cette fragmentation a des conséquences très préjudiciables pour les habitants du territoire au quotidien. La création d’Aix-Marseille-Provence permettra l’émergence d’une seule autorité organisatrice de la mobilité sur l’ensemble de son territoire. En matière de logement, la métropole d’Aix-Marseille-Provence élaborera un programme local de l’habitat, qui planifiera l’ensemble de la politique locale de l’habitat avec la définition du nombre et des types de logements à réaliser, ainsi que des moyens à mettre en œuvre pour atteindre les objectifs fixés. Elle aura également vocation à promouvoir des actions en faveur du logement social, à encourager la réhabilitation et la résorption de l’habitat insalubre.
G’ : Et pour l’emploi, autre défi majeur du territoire ?
O.D : La gestion unifiée du développement économique sur l’ensemble de l’agglomération Aix-Marseille favorisera le dynamisme économique de tout le territoire. La métropole mettra ainsi en œuvre une politique économique commune qui permettra de valoriser les activités industrielles, de haute technologie, de services ou de recherche. En parallèle, ses actions en matière d’aménagement de l’espace et de transport profiteront également aux entreprises et aux salariés.
G’ : Pensez-vous que la métropole réponde à un réel besoin citoyen ?
O.D : À Marseille comme ailleurs, les habitants veulent pouvoir se loger, travailler, se déplacer, se divertir… Et pour accomplir tout cela, ils ne s’attardent pas sur les frontières institutionnelles de leurs lieux de vie. Par exemple, un habitant de Gardanne peut travailler à Marseille et faire ses achats à Aubagne. De son point de vue, ces trois villes appartiennent au même bassin de vie. Dans les faits, elles relèvent de trois intercommunalités différentes à l’origine de politiques parfois contradictoires. Avec la création d’Aix-Marseille-Provence, l’architecture institutionnelle correspondra à la réalité de ce territoire vécue par les habitants.
G’ : Les élus locaux ont largement boycotté les réunions organisées par le préfet Laurent Théry, en charge du projet métropolitain. Ils sont manifestement inquiets. Ces craintes sont-elles justifiées ?
O.D : Pour répondre à cette question, je souhaite d’abord détailler l’organisation particulière prévue pour Aix-Marseille-Provence. Contrairement aux autres métropoles de droit commun, elle sera composée de conseils de territoire dont le périmètre sera fixé par décret ; car Aix-Marseille-Provence est en effet le fruit d’une fusion de plusieurs intercommunalités. Pour tenir compte de la spécificité de ses territoires et du caractère polycentrique de l’agglomération, le conseil métropolitain pourra donc déléguer certaines ce ces prérogatives non stratégiques aux conseils de territoire. Ainsi, ces derniers pourront exercer l’ensemble des compétences de la métropole, à l’exception des attributions structurantes comme les transports, les grandes infrastructures ou la programmation de schémas en matière de logement et de politique de la ville.
G’ : Quelle marge de manœuvre auront-ils dans la construction de la future métropole ? La ministre Marylise Lebranchu a dû lâcher du lest…
O.D : Marylise Lebranchu, ministre de la Décentralisation et de la Fonction publique, a installé, le 16 juin dernier, le conseil paritaire territorial de projet qui copilotera la mise en place d’Aix-Marseille-Provence. Durant cette réunion, elle a annoncé que des amendements pourraient être présentés sur le fonctionnement de la métropole pendant l’examen, à l’automne du deuxième projet de loi de la réforme territoriale dont je serai le rapporteur. Ces amendements pourront notamment porter sur l’élaboration du plan local d’urbanisme métropolitain ou sur la convergence de la fiscalité, deux sujets qui préoccupent beaucoup les maires de l’agglomération. Toutefois, la ministre a rappelé qu’il existait des lignes rouges : le périmètre de la métropole ne pourra pas être modifié et les compétences stratégiques ne pourront être totalement déléguées aux conseils de territoire.
G’ : La mise en place des intercommunalités dans les années 2000 avait suscité des blocages similaires. La métropole connaîtra-t-elle le même destin ?
O.D : La création d’une intercommunalité engendre très souvent des inquiétudes chez les maires concernés, car elle peut être vécue comme une perte de pouvoir. Je suis un grand défenseur des communes, qui sont les cellules de base de notre République. Mais tout en étant moi-même maire de la ville d’Annonay, en Ardèche, et président de l’association des Petites Villes de France, je suis également partisan de l’intercommunalité, qui favorise la coopération et la solidarité entre communes en vue de l’élaboration d’un projet de développement territorial. Ces deux positions ne sont pas contradictoires, à condition que le fait intercommunal ne vide pas les municipalités de toutes leurs compétences et que les communes n’agissent pas en opposition avec les politiques communautaires. C’est pourquoi je suis favorable à la généralisation d’une conférence de l’ensemble des maires dans toutes les intercommunalités : elle donnerait son avis sur les grandes orientations. Je suis certain que la métropole d’Aix-Marseille-Provence fera rapidement l’unanimité à la suite de sa création en 2016, car les élus constateront son impact bénéfique pour leurs communes. J’ai en tête de nombreux maires, notamment franciliens, qui étaient vent debout contre l’entrée de leur ville dans un EPCI et qui sont aujourd’hui les plus fervents défenseurs de celui-ci.
G’ : Finalement, la création de la métropole est-elle vraiment menacée ?
O.D : C’est un fait, la création d’Aix-Marseille-Provence a été fortement contestée lors de l’examen parlementaire de la loi du 27 janvier 2014. Certains ont prolongé cette contestation, mais tous reconnaissent aujourd’hui l’esprit d’ouverture de Marylise Lebranchu. Je suis convaincu que cette métropole verra finalement le jour.
G’ : Qu’est-ce qui vous rend si optimiste ?
O.D : Premièrement, sa gouvernance sera équilibrée, par la coexistence du conseil de la métropole, des conseils de territoire et de la conférence métropolitaine des maires. Le conseil métropolitain, présidé par le président la métropole, centralisera l’ensemble des directions fonctionnelles et mettra en œuvre les compétences stratégiques. Les conseils de territoire, composés d’élus des communes de leurs périmètres, exerceront des compétences par délégation pour favoriser la prise en compte des spécificités locales afin d’adapter les politiques métropolitaines aux impératifs de proximité. Enfin, la conférence métropolitaine des maires réunira l’ensemble des maires de la métropole, qui pourront être consultés pour avis lors de l’élaboration et de la mise en œuvre des politiques métropolitaines. Deuxièmement, le pilotage stratégique d’Aix-Marseille-Provence dans le domaine des transports, du logement, du développement économique, de la recherche et du développement durable sera au service du bien-être des habitants et du dynamisme économique de ce vaste ensemble métropolitain.
(*Source : Insee - Mairie de Marseille)
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